14 Mai 2015
Le 30 juillet 2013
Le ministère de l’agriculture et de l’alimentation part en guerre contre le gaspillage de la nourriture. Vaste et louable programme dont le secrétaire d’Etat Guillaume Garot est en charge avec un certain nombre de têtes pensantes, voire bien nourries. De nombreuses commissions se réunissent. Elles rassemblent l’aréopage habituel de professionnels en recherche de légitimité auprès du pouvoir, les représentants des administrations sécurisés par cette nouvelle preuve de leur utilité générale et quelques scientifiques qui à défaut de trouver cherchent encore. A l’heure de la fatalité du chômage et de la paupérisation galopante issue de l’implacable mondialisation ultralibérale dérégulée (sic), l’Etat trouve là une mission morale et généreuse de plus qui rappelle aux écervelés de producteurs et de consommateurs que nous sommes, son incontestable bienveillance bien intentionnée envers le pouvoir d’achat, les exclus et les laissés pour compte. Tout ça est très sérieux puisqu’il y a un objectif chiffré à la clé. Il s’agit de diminuer par deux le gaspillage alimentaire d’ici à 2025.
Il y a quelques semaines de cela, j’ai reçu un coup de fil énervé d’un collègue qui me disait en substance : « Ca y est. Ca recommence. C’est une fois de plus la pomme qui va être le support de la campagne de communication du ministère contre le gaspillage alimentaire ».
J’ai connu la pomme en couverture du Nouvel Obs, oblitérée d’une tête de mort pour faire la pub du livre pourri de raclures à jeter d’Isabelle Saporta, criblée de seringues sur les affiches du WWF et plus récemment toute moche sur un projet de pub contre ce même gaspillage, qui n’a heureusement pas vu le jour à la suite à nos hurlements.
Autant dire que je ruminai déjà quelques noms d’oiseaux et autres propos peu amènes sur cette nouvelle occurrence scandaleuse de mon fruit préféré. Et puis finalement, après avoir examiné l’image, un de ces jours rêvés où je ne vois plus que le bon côté des choses, je me suis dit que la lecture du message peut être plutôt positive pour la pomme. Du genre, contre le gaspillage et la malbouffe, croquez la pomme à belles dents.
Mais avant-hier, je reçois un mail d’une vigie estivale de l’ANPP qui me pointe un lien vers les lauréats d’un concours de publicistes en herbe qui ont planchés sur le thème du gaspillage alimentaire. Les affiches publicitaires des deux couples d’étudiants, gagnants ex aequo, et les messages qu’elles contiennent m’ont cette fois-ci fait sortir de mes gondoles.
Les deux filles de pub lauréates nous montrent une vilaine poire et une fraise moche, accompagnées du message : « je ne suis pas une star de la pub mais j’ai le même goût ». Les deux fils de la même orientation, lauréats également, nous offrent les images d’une très jolie banane et d’une pomme rouge à la plastique parfaite associées à une étonnante affirmation : « le formatage des aliments entraine le gaspillage alimentaire ».
Compte tenu de ma lecture agacée des choses, je ne dirai presque rien du travail de ces jeunes publicistes. Si ce n’est que je trouve leur production graphique et sémantique fade et sans goût. C’est le « brief » auquel je suppose qu’ils ont répondu qui m’intéresse.
Il se dit dans les milieux autorisés du pouvoir qu’il y a une corrélation entre la sélection par la beauté des fruits et légumes et le gaspillage alimentaire. Il serait au moins constitué par l’écart de tout ce qui est laid. Et il se trouve que cela correspond aussi à cette autre idée en vogue à Bruxelles selon laquelle la recherche du beau en maraichage et en arboriculture a un impact négatif sur l’environnement plus important que si l’on s’autorisait à produire du moche et du tordu.
Disons le tout de suite pour gagner du temps, il y a une décision simplissime et gratuite à prendre pour vérifier la première hypothèse. C’est d’autoriser la vente en frais des fruits et légumes laids et biscornus qu’il est convenu de qualifier de troisième choix. Ce qui est parfaitement interdit à ce jour.
La seconde hypothèse semble si évidente en apparence qu’elle nécessite une analyse plus complexe pour en démontrer la fausseté. Ce sera pour une autre fois.
Revenons au gaspillage alimentaire et aux moyens dont on dispose pour le diminuer.
Côté consommateur la chose est simple. Il achète avec de l’argent gagné à la sueur de son front et est donc hautement motivé pour ne pas jeter ce dont il s’est rendu propriétaire. Difficile de trouver motivation plus forte que celle du portefeuille. Il y a bien entendu aux deux extrêmes, d’un côté ceux qui peuvent dépenser sans compter et parmi ces privilégiés quelques uns que le gaspillage n’émeut pas vraiment. De l’autre, ceux à qui l’on donne et dont certains arbitrent pour une nourriture qui ne nécessite pas de préparation et qui préfèrent jeter les légumes à cuisiner. Ce sont de très rares exceptions.
Du côté du producteur la chose est tout aussi simple. Perdre de la marchandise produite impacte durement le compte de résultat. La motivation pour limiter les pertes au maximum est donc constante. La sanction économique de la mauvaise gestion étant implacable.
En fait, depuis la production jusqu’à la consommation finale, chacun des acteurs concernés a intérêt à ne pas gaspiller. Pas besoin de leur faire moult explications de texte. L’Etat devrait donc à mon sens circulariser ailleurs où il y a plus à voir avec notre argent.
Comme je le disais au début, il suffit d’autoriser la vente du moche pour que la main invisible du marché optimise librement la production, la vente et la consommation de tout ce qui peut l’être. Quand les productions sont importantes, il est difficile de trouveur preneur pour ce qui n’est pas magnifique. Et quand c’est l’inverse, les normes deviennent commercialement un peu plus lâches et le moins beau se vend un peu plus. C’est bien connu.
Mais, toutes les campagnes de publicité imaginables, pas plus que l’autorisation de vendre les fruits et légumes moches sur le marché du frais, ne modifieront fondamentalement les comportements des consommateurs tournés vers le beau.
J’ai en revanche le souvenir d’un immense et honteux gaspillage. Il était lié justement à une de ces interventions dont l’Etat a le secret. C’était l’époque pas si lointaine des retraits. Lorsque les récoltes étaient trop abondantes et que les cours s’effondraient sur le marché pour les producteurs, l’Europe intervenait pour payer la destruction des fruits et légumes excédentaires afin de faire remonter les cours. Sous les yeux des contrôleurs vigilants, il fallait dénaturer à l’huile de ricin des montagnes de fruits et de légumes pour qu’elles ne puissent être consommées par un bipède. Il a fallu un certain temps pour abandonner ce système absurde qui avait développé toutes les perversités que vous imaginez sans peine, sans jamais permettre d’atteindre l’objectif assigné. C’était la grande époque de l’immense gaspillage organisé par l’Etat et l’Europe. Dès lors que ce système a été abandonné, l’ajustement entre l’offre et la demande a continué d’être parfaitement aléatoire et imparfait. En revanche les gaspillages gigantesques et inutiles issus de l’intervention étatique ont totalement disparu.
L’heure à mon sens est encore venue de s’attaquer au gaspillage fondamental. Celui qui génère tous les autres. Consommateurs et contribuables doivent refuser de voir l’argent de l’impôt jeté par les fenêtres. En gardant l’usage direct d’une partie de celui-ci, ils feront des arbitrages qui garantiront un moindre gaspillage et ils pourront ainsi manger un peu plus à leur faim de très beaux et de très bons fruits et légumes frais.
La mère de toutes les luttes commence maintenant. Pourquoi ne pas se donner l’objectif de diminuer d’au moins 20% d’ici à 10 ans les prélèvements obligatoires dans notre pays. Et encore plus la dépense pour retrouver enfin un budget à l’équilibre. Pour cette noble entreprise, la pomme pourrait prêter son image sans m’irriter le moins du monde tout en disparaissant d’autres campagnes de communication parfaitement inutiles et ruineuses.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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