16 Mai 2015
Ah, mes chers lecteurs, j’ai bien peur de devoir vous raconter une nouvelle fois comment le sordide le dispute au machiavélique quand il s’agit de nous enlever encore un peu plus le pain de la bouche. La sphère publique est décidemment un ogre insatiable. Prendre prétexte du « gaspillage alimentaire » pour corseter méchamment nos vies et nous faire cracher au bassinet sans fond des prélèvements obligatoires, fallait oser. Eh bien, c’est chose faite avec le rapport que vient de remettre au premier ministre le député de la Mayenne Guillaume Garot, heureusement pour moi socialiste, qui s’intitule « Lutte contre le gaspillage alimentaire : propositions pour une politique publique ».
Sans chercher à comprendre le moins du monde les vraies causes des pertes de nourritures entre le producteur et le consommateur, notre petit rapporteur et son équipe, tous membres de « la firme », se proposent de traiter le problème par la création d’une nouvelle agence publique, par des lois, des règlements, des interdictions, des autorisations, des encouragements, de la morale, du verbe, des bons sentiments, du don obligatoire, de l’assistance conseil, des contrôles, des prunes, de la communication, de l’information, des incantations, de la défiscalisation avec contrepartie, du budget, beaucoup de budget et des emplois, beaucoup d’emplois.
Je vous le dis tout net et sans fard, ce rapport sent très mauvais. Il est bête, indigeste, faisandé, dangereux et inutile. Il faut le mettre illico presto à la poubelle. Et dans un sac noir bien sûr. Pas question de risquer le moindre recyclage de tant d’indigence sur papier glaçant. Tant pis pour cette fois, nécessité de salubrité publique fait loi. On le jette ou on le brule, mais il faut s’en débarrasser au plus vite. Pour sauver la planète qu’on aime, pas celle des singes savants cupides.
Bon, je vous imagine un brin dubitatif quand même. Vous vous dites sans doute que je force encore un peu le trait. Que je n’y vais pas avec l’eau de la Truyère. Que si grâce à ce rapport on réduit un peu le gaspillage alimentaire en France, que tout le monde mange un peu plus à sa faim, même si ça nous coûte trois sous, ça ne peut pas être si grave que la description que j’en fais.
Voilà bien toute la difficulté évidemment. Face au dossier à charge contre le gaspillage alimentaire, décrit et chiffré dans le rapport, les préconisations qui en découlent semblent à première vue nécessaires et peut-être même frappées au coin du bon sens. Médias et politiques auront tôt fait avec des trémolos dans la voix de vendre ce projet d’apparence généreux et moral au peuple. Comment pourrait-on d’ailleurs refuser d’agir face aux gaspillages constatés et évalués alors que dans le même temps la misère éloigne de la nourriture un nombre de plus en plus grand d’individus ?
Frédéric Bastiat nous a pourtant utilement appris que dans ce type de situation, il y a ce que l’on voit et ce que l’on ne voit pas. D’un côté la fausse évidence qui aveugle et de l’autre la réalité bien plus complexe à saisir qui nécessite des efforts d’analyse et un peu d’honnêteté intellectuelle.
En y regardant de plus près vous aurez tôt fait de comprendre comme moi que ce rapport témoigne parfaitement des mécanismes qui font que la France est d’évidence cette usine à chômeurs et à pauvres très performante qu’avait si bien décrite il y a déjà quelques années Béatrice Majnoni D’Intignano.
Le « gaspillage alimentaire » selon Guillaume Garot, le ministère de l’agriculture et consorts n’est en fait qu’une nouvelle mystification, un alibi fait d’images et de chiffres chocs pour justifier encore plus d’Etat, plus d’emplois publics, plus d’impôts, plus de plaçous pour politiques désœuvrés. Et toujours plus de tentative d’autojustification de sa propre utilité, alors que tout ça n’est que du gaspillage criminel de la sueur de travailleur exposé à l’économie de marché du monde réel. Si, si, parfaitement et je le prouve.
Pour justifier qu’il est temps d’agir, quelques chiffres sont rappelés en boucle. Ceux de la FAO évidemment qui a calculé que 30 à 50 % de la nourriture que nous produisons dans le monde n’arrive pas au consommateur final. Une évaluation à la balance romaine pour cette organisation onusienne qui se contente d’évoquer sans les citer « des études ». Ceux de l’Europe avec ses 140 kilos par habitant en excluant les pertes en production. Et puis les nôtres de chiffres. 20 kilos achetés par le consommateur qui ne sont pas consommés, dont 7 kilos encore emballés. Voilà ce que des chercheurs ont appris en faisant nos poubelles.
Au-delà du poids, on trouve dans les pages du rapport une valorisation de ces pertes. Les chiffres sont forcément vertigineux à l’échelle de la France, de l’Europe et bien plus encore du monde. Laissons-les de côté pour nous intéresser à ceux qui sont cités pour une famille de quatre personnes chez nous. 400 euros par an, voilà la perte indigne que le rapport se propose à la demande du premier ministre de nous faire regagner en pouvoir d’achat. Autant que la moyenne de la prime pour l’emploi. Encore une mesure de défense du pouvoir d’achat qu’il faudra bien mettre à l’actif du gouvernement et que les français seraient bien ingrats de ne pas lui en être reconnaissants.
Livrons nous donc à un petit calcul et redescendons au ras des poubelles, sur la terre ferme. Cette somme représente un gaspillage de nourriture de 27 centimes par personne et par jour. C'est-à-dire l’équivalent de 80 grammes de pain ou encore à la moitié d’un yaourt. Si c’est réel, c’est monstrueux évidemment. Mais franchement, est-ce que ce gaspillage éhonté ne relève pas strictement de la responsabilité individuelle? Comment imaginer substituer une motivation plus forte que celle du portefeuille pour un ménage? Chacun a intérêt à ne pas gaspiller son argent non? Si nos gouvernants trouvent à ce point insupportable notre propension à gaspiller ce que nous avons acheté, eux qui rament pour améliorer notre pouvoir d’achat et qui ne savent plus comment nourrir tous les pauvres qu’ils génèrent, je propose une initiative toute simple. Que sur toutes les publicités pour les produits alimentaires soit apposée une mention choc du type : « si tu m’achètes, tu me manges, tu me jettes pas ». Un message un peu ferme quand même, du type « fumer tue », mais qui remettrait les pendules à l’heure quasi gratos.
Evidemment on peut faire beaucoup plus. Pourquoi ne pas instituer un contrôle technique obligatoire des réfrigérateurs et des congélateurs deux fois par an afin de vérifier dans tous les foyers la bonne température de conservation des aliments. Ou bien instituer une sorte de permis de consommer obligatoire qu’il faudrait passer entre 14 et 16 ans et qui s’amortirait par le non gaspillage futur. Les fondamentaux de l’éthique de la consommation devraient nécessairement être bien appris pour se le voir délivrer lors de l’examen.
On pourrait aller aussi jusqu’à une sorte de RSE (responsabilité sociale et environnementale) individuelle assortie d’un contrôle tierce partie annuel qui serait pris en charge par l’Etat mais dont le coût pourrait être financé par la moitié des 400 euros qui seraient économisés par les ménages et qui justifierait donc utilement une taxe spécifique. Au passage, l’emploi généré qui serait forcément colossal résoudrait pour longtemps notre problème de chômage c’est sûr.
Le rapport est finalement assez mou du genou vis-à-vis des individus, compte tenu du crime contre l’environnement et la solidarité dont ils se rendent coupables. On peut faire bien plus il me semble.
D’autant qu’avec le concept de « gaspillage alimentaire » on pressent qu’il faut aller plus loin et ne pas s’attaquer seulement à cette nourriture achetée qui n’est pas passée par un tube digestif avant d’être rendue à dame nature. Le gaspillage c’est encore plus ce que nous mangeons en excès non ?
Souvenons-nous du jeune Siddharta Gautama. Après avoir vécu richement à l’abri du monde en son palais, lorsqu’il prend conscience de la dure condition du peuple qui l’entoure, de la souffrance et de la mort, il s’engage dans une longue ascèse de 6 ans. Jusqu’à ne manger qu’un grain de riz pas jour. Ce qui était trop peu évidemment et finalement pas nécessaire pour atteindre le Nirvana comme il le découvrira. Repassé au bol de riz complet, il a connu l’éveil et est devenu Gautama Bouddha. Imaginez un peu si chacun de nous expérimentait le juste seuil quotidien de la nourriture nécessaire pour vivre sagement. Fini le gaspillage, la production agricole intensive, les dérives de la société de consommation, le réchauffement climatique. Même nos pauvres paraitraient goinfres à cette aune. Enfin un vrai changement de modèle de développement personnel.
Enseignons donc le bouddhisme où d’autres sagesses, ouvrons des cloîtres et des monastères, instituons la retraite monastique obligatoire pour obtenir cet éveil des consciences qui nous fait tant défaut. Prenons enfin le mal à la racine avant de devoir manger les pissenlits par les racines. Et surtout que les auteurs du rapport donnent l’exemple. Nous les suivrons avec plus d’entrain.
Comme nous venons de le voir ironiquement mais avec sagesse, le gaspillage alimentaire chez les consommateurs n’a raisonnablement pas à susciter autre chose à la rigueur qu’un message répétitif de vigilance. Qu’ils trient obligatoirement leurs déchets, qu’ils les valorisent en compost ou avec des poules, mais qu’on leur fiche la paix avec ce qu’ils font avec leur argent. Ils sont libres de manger ce qu’ils veulent, peu ou beaucoup selon leurs moyens. Et acceptons à priori qu’ils sont motivés pour consommer ce qu’ils achètent et qu’ils jettent le moins possible.
Pas question de leur arracher un euro pour que d’autres tout aussi peu parfaits qu’eux viennent les enquiquiner.
S’il est nécessaire de faire confiance au consommateur, de le laisser libre, qu’en est-il de ceux qui produisent et qui acheminent la nourriture jusqu’à lui ? L’agriculteur, l’industrie agro-alimentaire, le grossiste, le commerçant, petit ou grand, la restauration collective, publique ou privée ne doivent-ils pas être mieux cornaqués et rendre des comptes de leurs pertes, des gaspillages qu’ils génèrent ?
A votre avis, un seul de ceux-ci peut-il se satisfaire d’avoir de la perte ? La réponse est tellement évidente que l’on est épouvanté par la mauvaise foi ou la bêtise des rapporteurs qui pas une seule fois n’examinent le problème de ce point de vue. Tous les acteurs économiques s’évertuent au quotidien de diminuer autant qu’ils le peuvent les pertes parce que c’est leur revenu qui en dépend. La compétition est si intense que la diminution des pertes est un enjeu de survie économique. Le simple fait que nos rapporteurs ignorent cette loi implacable les disqualifie définitivement pour intervenir sur cette question. Leur approche du problème est ridicule.
Depuis leur tour d’ivoire, souvent financés à vie par les prélèvements obligatoires, à l’abri des vicissitudes du marché, ils regardent en fronçant les sourcils ce qu’ils considèrent être du gaspillage immoral et irresponsable du au mieux à une absence de savoir faire, au pire à une sorte de mauvaise volonté coupable.
Ils sont incapables de s’émerveiller de ce miracle quotidien qui permet pourtant d’ajuster assez finement l’offre de produits frais avec la demande changeante des consommateurs où qu’ils se trouvent. Quelle leçon d’humilité ce devrait pourtant être pour eux que de tenter de comprendre comment chaque acteur de la chaine accomplit ces tours de force d’anticipation et de logistique. Contre les pertes et le « gaspillage », rien ne peut remplacer la responsabilité financière directe, du producteur jusqu’au consommateur. Les dérives sont à craindre quand l’irresponsabilité financière personnelle est décelée à un moment ou à un autre de la chaine.
Mais comment imaginer aussi que l’adéquation entre la production et la consommation soit en permanence parfaite? Même un village vivant en autarcie connaîtrait des bonnes et des mauvaises récoltes. Quelquefois il y a trop, d’autres fois pas assez. Contrairement aux à-priori idéologiques de nos rapporteurs, plus le territoire des échanges est vaste, plus les régulations s’opèrent correctement. Ce n’est pas le modèle de développement qu’il faut repenser comme nous l’affirment ces prétentieux aux arguments spécieux, ce sont les donneurs de leçons irresponsables qu’il faut mettre sévèrement au régime.
La proposition la plus déroutante du rapport est sans doute ce don obligatoire des marchandises destinées à être jetées mais encore consommables à imposer aux grandes surfaces. Elle traduit plus encore que les autres les motivations troubles et inquiétantes de ses auteurs. Décortiquons cette étrangeté pour tenter de comprendre quelles perspectives cela ouvre.
Comment un don peut-il être obligatoire? Ne serait-il pas plus juste sémantiquement de parler de réquisition pour désigner le projet de nos rapporteurs? D’autant plus que l’on comprend bien l’objectif. Il s’agit d’alimenter en nourriture les associations caritatives submergées par un nombre sans cesse croissant de demandeurs. Le décideur public incapable de modifier les normes qui excluent les moins performants du monde du travail cherche à camoufler son propre « gaspillage » lié au « calibrage » des emplois et des individus, en augmentant les transferts de nourriture en leur faveur. Mais est-ce techniquement réalisable ? Et à quel prix ?
Jusqu’à aujourd’hui les grandes surfaces « donnent » pour 40% de leur valeur d’achat des marchandises qu’elles prévoient ne pas pouvoir vendre avant la date fatidique de péremption. De par la défiscalisation de 60% de la valeur du don, les gestionnaires limitent leur perte potentielle à 40% de la valeur d’achat. Ils anticipent que s’ils ne font pas ce don, c’est la totalité de la valeur qui sera perdue. Le don qu’ils pratiquent peut donc s’analyser comme une vente. Une vente à perte bien sûr, mais une vente. On comprend bien qu’il s’agit d’une décision libre de gestion qui conduit à ces dons ventes.
Imaginons maintenant que ces dons deviennent obligatoires. Sur quels critères le respect de l’obligation sera-t-il contrôlable ? La marchandise devra être consommable, donc vendable. Comment alors obliger le don d’une marchandise qui peut être commercialisée? Le gestionnaire qui tentera jusqu’à la dernière limite de vendre et qui n’y réussira pas, la marchandise devenant alors invendable, donc impossible à donner, sera-t-il sanctionné pour ne pas avoir anticipé et laissé perdre la marchandise sans la donner. Jusqu’à quelle limite avant la date fatidique le don sera-t-il possible ? Faut-il instituer un délai au-delà de la date de péremption pendant lequel les marchandises restent comestibles. Chacun sait qu’il y a une marge de sécurité. Mais il faut la sécuriser pour le donateur du dernier jour. On imagine aisément mes chers lecteurs que le CEPP dont je vous ai parlé dans un précédent article sera un jeu d’enfant à mettre en place comparativement à ce don obligatoire.
L’intérêt du gestionnaire n’est-il pas amplement suffisant aujourd’hui compte tenu du taux de défiscalisation qui limite drastiquement la perte liée à la péremption. Peut-être même au point de favoriser un peu de laxisme…
Au-delà de cette idée saugrenue du don obligatoire, le rapport évoque des contreparties à la défiscalisation du don. Il faudrait ainsi que la marchandise donnée soit loyale et marchande et qu’il n’y ait pas obligation de retrier par le bénéficiaire pour extraire ce qui est consommable. C’est bien le moins à mon sens. Puisque la défiscalisation d’une marchandise qui ne correspond plus à sa valeur d’acquisition n’est légalement pas possible.
Ce qui me fait vous dire que la défiscalisation de biens alimentaires donnés à des associations caritatives par la distribution n’est pas forcément une très bonne chose. Justement parce que la valeur des biens n’est pas stable et que la comptabilité matière ne permet pas de vérifier la réalité de la valeur du don qui donne lieu à défiscalisation. Cette valeur évolue bien en dessous du prix d’acquisition dans certains cas. Là encore ce type de mesure peut avoir des effets pervers.
Imaginons un instant que cette défiscalisation ne soit plus possible et que l’enveloppe budgétaire conséquente correspondante soit attribuée par l’Etat directement aux associations caritatives pour qu’elles achètent et négocient elles mêmes les lots de nourriture qu’elles souhaitent auprès des distributeurs ou des producteurs. La négociation quotidienne permettrait bien mieux d’acheter au juste prix des lots déclassés bien que toujours consommables. L’intérêt des acteurs en économie de marché est une force d’ajustement exceptionnelle qu’il faut toujours privilégier. D’autres effets pervers peuvent se faire jour évidemment quand une grande liberté de gestion est donnée à des responsables d’association avec des subventions, mais c’est encore une autre histoire.
Le sujet est loin d’être épuisé. Je reviendrai vers vous autant que nécessaire pour empêcher la création de cette agence de lutte contre le gaspillage alimentaire parfaitement inutile. Toute l’infrastructure est déjà en place pour faire évoluer les lois et les réglementations qui permettent d’optimiser la bonne gestion de toute la chaine alimentaire. Nous devons à tout prix interdire cette dérive qui vise à nourrir des profiteurs qui ne seront d’aucune utilité aux optimisations encore possibles auxquelles travaillent chaque jour des individus responsables sur leurs deniers propres. Le fameux gaspillage qui inquiète nos rapporteurs n’est rien au regard de la gabegie imbécile et inutile que Guillaume Garot et ses complices cherchent à vendre. L’idéologie dégoulinante qui les anime occulte le marché. Elle est un mélange de bons sentiments et de contraintes pour les autres. Elle porte en elle la responsabilité du grossissement de la population pauvre dont elle fait croire qu’elle est sa préoccupation première.
Je vous ai rajeuni deux articles qui apparaissent maintenant juste avant celui là. Ils traitent de ce même sujet auquel je me confronte depuis au moins deux ans.
A bientôt pour la suite de mes commentaires sur ce rapport que je vous invite bien sûr à consulter par vous-mêmes.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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