14 Janvier 2018
La légende raconte que Louis XIV recevant une délégation d’armateurs de Saint-Malo leur demanda comment il pourrait les soutenir dans leur concurrence avec les anglais. Le chef des armateurs, complètement affolé par cette proposition, aurait répondu : « Sire, sire, surtout ne faites rien ! Vous nous avez assez aidés. »
Il est bien dommage que la leçon n’ait pas été retenue par les entrepreneurs de notre pays et qu’ils n’aient pas plus souvent ce même réflexe vis-à-vis des élus de la Nation. Parce que l’actualité fourmille toujours d’exemples d’initiatives politiques intempestives qui au lieu d’aider à la résolution des problèmes les aggravent lourdement.
Alors, à quelques jours de la présentation en Conseil des Ministres d’un projet de loi, ou d’ordonnances, qui constitueront une première réponse du gouvernement aux Etats Généraux de l’Alimentation, il n’est peut-être pas trop tard pour faire appel au libéralisme de conviction du Président Emmanuel Macron.
Les lecteurs de ce blog se souviennent peut-être combien j’ai lutté en vain contre les conditions d’une contractualisation, contenues dans la loi de modernisation agricole et de la pêche publiée le 27 juillet 2010, qui pouvait être rendue obligatoire entre le producteur de fruits et légumes et son acheteur. Contractualisation devenue effectivement obligatoire peu de temps après, en mars 2011, par un décret abracadabrantesque du 30 décembre 2010 que je n’ai eu de cesse également de dénoncer depuis.
Ceux d’entre vous qui souhaitent se replonger dans l’ambiance surréaliste de 2010 qui a vu consacrer le dogme de la contractualisation obligatoire bien cadenassée comme solution aux crises conjoncturelles dans les fruits et légumes peuvent lire mes articles de l’époque (Le présent d’une illusion, Le b.a ba de l’économie des fruits et légumes frais pour les Nuls, Chronique d’une aberration annoncée, Produire et vendre des fruits et légumes frais au pays des Shadocks).
C’était écrit et inévitable. Aucun contrat qui réponde aux souhaits du législateur n’a été signé à ce jour entre producteurs et acheteurs. Pour autant il a bien fallu pendant 7 ans que des contrats, aux normes mais inacceptables, soient proposés par l’acheteur, puis refusés par le producteur, pour se prémunir de l’amende de 75.000 euros prévue. Tous ces contrats inutiles sont bien entendu conservés précieusement dans des placards. Par chance quand même, les services de contrôle ont compris très vite qu’il ne fallait pas y regarder de trop près.
Que cette contractualisation obligatoire ait fait mille fois la preuve de ses nuisances et de son inutilité n’a pas empêché le législateur d’en remettre une couche avec la loi Sapin II le 9 décembre 2016. En plus de toutes les mentions déjà obligatoires, il faut depuis mars 2017 faire référence dans le contrat à un ou plusieurs indices pour la formation pu prix.
Cette dernière aberration a eu le mérite de pleinement consolider le front unanime du refus des opérateurs économiques dans le monde des fruits et légumes frais.
En réponse, depuis 2010, les pouvoirs publics s’adressent à l’interprofession (Interfel) pour l’inviter à produire son propre accord interprofessionnel pour remplacer le décret honni, comme cela est prévu par la loi. Mais dans la mesure où les obligations de contenu prévues par la loi doivent être respectées, il n’a pas été possible d’aboutir.
Je ne sais plus combien de réunions ont eu lieu entre professionnels au bord de la crise de nerfs pour tenter de résoudre la quadrature du cercle. Combien de prestations d’éminents juristes il a fallu honorer pour revenir toujours au même point de départ. Avec cette conclusion depuis 7 ans, aucune contractualisation opérationnelle n’est possible qui satisfasse aux obligations de la LMAP de 2010 et encore moins à la loi Sapin 2 de 2016.
N’importe quel homme de terrain, producteur ou acheteur, qui vit au quotidien la production et la mise en marché des fruits et légumes frais sait instantanément que toute cette construction intellectuelle et administrative n’a aucun sens. Un minimum d’intelligence, de lucidité et d’honnêteté intellectuelle aurait dû suffire pour éviter cette aberration.
Alors comment se fait-il qu’on ait pu en arriver là et que l’élite du pays nous ait conduits dans le mur? Et si une telle connerie a été possible, s’est maintenue et même aggravée depuis 7 ans, sommes-nous prémunis d’un nouveau coup tordu en ce début d’année?
Comme je viens de la rappeler, les membres de l’interprofession après avoir tenté l’impossible ont fait le constat unanime que la contractualisation obligatoire telle que définie par le législateur conduisait à une impasse absolue.
C’est ainsi qu’il a enfin été décidé de repartir de l’expérience de terrain de tous les maillons professionnels de la chaine, du producteur au détaillant en passant par les expéditeurs, les grossistes et la grande distribution, pour écrire un guide des bonnes pratiques de contractualisation. Et cela sans chercher à entrer dans le cadre de ce que la loi impose à ce jour, mais en ayant pour seule préoccupation d’améliorer l’équilibre, la qualité et l’efficacité de la relation entre les opérateurs.
Ce guide a été validé en décembre dernier à l’unanimité des familles représentées à Interfel. Et il s’en faut de peu maintenant pour qu’un accord interprofessionnel « contractualisation » soit validé, que les pouvoirs publics pourront étendre afin qu’il ait force de loi.
Mais pour cela il faut annuler le décret de décembre 2010 et que la loi modifie à nouveau le Code Rural pour en supprimer l’article sur la contractualisation issu de la LMAP de juillet 2010.
Où en sommes-nous à ce jour et quelles sont les perspectives perceptibles et prévisibles?
Il semble acquis que le décret sera supprimé et que la contractualisation ne sera plus obligatoire entre le producteur et son acheteur. Si c’est le cas, preuve sera faite qu’il ne faut jamais désespérer. La sérénité reviendra.
En revanche, le guide des bonnes pratiques contractuelles écrit par les professionnels ne semble pas suffire au gouvernement pour encadrer les contrats entre opérateurs quand ceux-ci choisiront librement de contractualiser.
Il semble paradoxalement qu’en même temps où la liberté de contractualiser serait à nouveau reconnue, dès lors où il y aurait contractualisation, le cadre n’en serait que plus sévère et complexe.
Le pire n’est jamais sûr bien entendu, mais la rumeur se fait insistante sur la référence obligatoire à des indices pour la formation du prix dans les contrats.
Au moment où il suffirait aux pouvoirs publics de s’en remettre strictement à l’interprofession qui a démontré sa capacité à produire des accords qui satisfont toutes les parties, on se demande vraiment pourquoi revient cette envie casse-gueule de loi coercitive.
Plutôt que de laisser les producteurs et les acheteurs contractualiser comme bon leur semble dans le respect des règles interprofessionnelles qu’ils se sont données, réapparaît la volonté du politique d’y mettre son grain de sel. Grain de sel qui aboutit le plus souvent dans l’économie à des gros grains de sable dans des engrenages qui n’en ont pourtant pas besoin.
Qu’un contrat de trois ans dans un marché à commande d’un entrepreneur de travaux publics avec une collectivité ait des prix adossés à l’indice du coût du carburant et de l’évolution des salaires est facilement compréhensible, logique et nécessaire.
Mais sur quel indice peut-on adosser le prix des cerises sur trois ans ? Avant de cadrer la fluctuation des prix en référence à un ou plusieurs indices, encore faudrait-il qu’un producteur et un acheteur aient envie et soient en capacité de tomber d’accord sur un prix de base pour une longue durée.
La particularité du marché des fruits et légumes frais à durée de vie parfois très courte, c’est que les prix et les volumes résultent chaque jour de la confrontation d’une infinité de paramètres imprévisibles et à incidence quelquefois instantanée. De la production jusqu’à la consommation, tout est fluctuant et incertain. Vouloir s’affranchir de cette réalité et mettre en équations les volumes et les prix, les adosser à des indices, est une aberration économique.
Le producteur ces temps-ci est même appelé à faire référence à son prix de revient pour fixer son prix et établir le contrat qu’il propose à son acheteur dont il doit avoir l’initiative.
Il est pourtant élémentaire de comprendre que le prix de revient est une donnée strictement propre à chaque entreprise qui permet de savoir à partir de quand on gagne ou perd de l’argent. Bien entendu le producteur a constamment en tête son prix de revient quand il met sur le marché sa production et qu’il fixe son prix. Mais le marché se moque éperdument de son prix de revient.
Prenons l’exemple des cerises. J’ai une toute petite récolte parce que mes cerisiers ont gelé. En revanche les producteurs d’autres régions ont une très belle récolte et les prix sont faibles. Mon prix de revient explose puisque j’ai peu de kilos pour diviser mes frais et je dois accepter des prix très inférieurs à ce qui me serait nécessaire pour les couvrir. Parce que si je fixe le prix en fonction de mon prix de revient, les acheteurs se détournent de moi et je n’en vends pas un kilo.
Une autre situation se produit l’année suivante. J’ai une très belle récolte de cerises alors que les producteurs d’autres régions ont gelé. Les prix flambent. Mon prix de revient est faible et je profite des prix élevés pour faire une bonne marge bénéficiaire. Ce qui me permet de compenser tout ou partie des pertes de la récolte précédente.
Produire des fruits et légumes c’est une entreprise aléatoire et à risques. Mieux vaut le savoir et l’assumer. Toute la stratégie doit être de maîtriser tout ce qui peut faire fluctuer les volumes et les qualités tout en recherchant la rareté pour créer de la valeur. Rareté par la qualité, la variété, le service, la notoriété de la marque et la période de mise sur le marché.
La réussite à la production ne peut venir que de la compréhension et de l’acceptation de tous ces paramètres. Aucune contractualisation, aucun indice n’est de la moindre utilité si l’on attend d’eux qu’ils nous affranchissent de ces réalités incontournables.
Toute l’énergie mobilisée et le temps consommé pour faire entrer dans un contrat l’infinité des paramètres qu’il serait nécessaire d’y mettre pour approcher la complexité du réel et tenter de le contraindre ne peut conduire qu’à la ruine.
Cher Président Emmanuel Macron, je vous ai entendu à Rungis parler brillamment de l’économie de marché et de la formation du prix par la confrontation de l’offre et de la demande dans une libre et saine concurrence. Il m’a semblé aussi que vous souhaitiez dire à cette occasion aux producteurs qu’ils sont avant tout des entrepreneurs responsables de leur prix de revient et en compétition entre eux pour abaisser ce prix de revient. C’est aussi à Rungis que vous avez proposé que l’initiative de la contractualisation revienne au producteur, pour mieux lui signifier je pense qu’il est responsable du prix auquel il accepte de vendre. En disant cela vous invitiez aussi le producteur à se joindre à d’autres pour peser sur le marché et rééquilibrer l’offre. Tout cela a du sens et va dans le bon sens.
Alors de grâce, entendez notre proposition et laissez-nous faire la contractualisation telle que nous l’avons élaborée entre nous. Accordez-nous une parfaite subsidiarité sur cette question. Et retenez vos services de vouloir lourdement apporter une très mauvaise réponse à une question que certains d’entre nous n’auraient évidemment pas du leur poser.
C’est en allégeant le coût de l’Etat et son emprise là où il n’est pas nécessaire qu’il intervienne que vous nous aiderez le plus Président. Vous le savez bien.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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