23 Mai 2011
Marie Monique Robin avait raté son train vendredi soir. Elle est donc arrivée un peu en retard au Logis de Plaisance pour participer au débat organisé dans le cadre de la quinzaine bio à Barbezieux. Comme je l’ai fait avec chacun des participants à la table ronde, je me suis naturellement avancé vers elle pour la saluer et me présenter. Echanger un regard et si possible quelques mots avant de monter sur scène, au-delà de l’évidente politesse, donnent une première indication de ce que sera la tonalité des échanges.
« Ah, c’est vous qui mettez un lien sur votre blog vers Agriculture Environnement, ce site payé par l’industrie des produits chimiques » me répond t’elle à l’énoncé de mon nom. Ce à quoi je lui réponds que je connais très bien Gil Rivière Wekstein, le journaliste qui en est l’auteur et que j’apprécie vivement son travail d’investigation. Peine perdue, son jugement est définitif, il n’est crédible en rien et à la solde du lobby de la chimie. Oui, mais le professeur Narbonne, toxicologue reconnu, dans une interview très argumentée (voir l'article précedent) dénonce les nombreux contresens et les conclusions erronées contenues dans son documentaire et dans son livre. « Son laboratoire est payé par Total. Il est à leur solde. Une nouvelle fois, vous devriez vous renseigner avant de parler » m’assène t’elle pour toute réponse. Et Pascale Briand, la Directrice Générale de l’Alimentation ? « Ah ne m’en parlez pas. Je la connais très bien. En matière de conflits d’intérêts, c’est le record » me dit-elle. J’insiste en citant Jean De Kervasdoué, qui lui aussi s’insurge contre ses thèses. « Euh ! Lui c’est un agitateur », est la sentence sans appel qui va mettre un terme à ce premier dialogue qui ne me dit rien qui vaille pour la suite.
Le ton est donné dès l’introduction qu’elle propose pour la soirée. Les cancers explosent et ils sont liés à la cupidité de l’industrie chimique qui dissimule ce qu’elle sait de la nocivité des produits qu’elle met sur le marché. L’Etat et ses agences sont coresponsables puisqu’ils prennent pour argent comptant les dossiers d’expérimentation et toxicologiques que lui communiquent les firmes. Les agriculteurs comme les consommateurs s’empoisonnent chaque jour au travail ou par leur assiette. Il faut donc renoncer aux produits chimiques pour produire et manger bio. Il est d’ailleurs tout à fait possible de nourrir la planète en produisant bio et si l’on compte bien, ce ne sera pas plus cher. Et je passe les sous entendus idéologiques qui font découler les produits phytosanitaires que nous utilisons du Zyklon B de très triste mémoire. Avant la guerre l’agriculture n’avait pas recours à la chimie et ce n’est qu’après que le projet infernal a vu le jour. Voilà en résumé la thèse de MMR.
MMR nous dit qu’elle a compulsé des milliers d’études scientifiques, qu’elle a rencontré des tas de chercheurs dans le monde entier. Sa démonstration est par conséquent incontestable. Et nous serions bien avisés d’acheter ses DVD et ses livres pour nous en convaincre. Le raisonnement est caricatural, très peu scientifique mais d’une redoutable efficacité auprès du public. Chacun peut aussi mesurer qu’elle a aussi un sens assez aigu des affaires.
Difficile quand on n’est pas soi même un scientifique incontestable de contrebalancer son déferlement de références et de « preuves irréfutables ». Pourtant, au moins un indice flagrant révélé au cours des débats devrait inciter le public acquis à ses thèses à lire d’autres auteurs pour faire sa propre analyse critique et réfléchir en toute autonomie aux questions posées.
En effet, lorsque j’ai évoqué l’a priori bien peu scientifique qui fait regarder les produits phytosanitaires utilisés par l’agriculture biologique avec une bienveillance qui se révèle quelquefois infondée, MMR a dévoilé clairement son absence totale d’objectivité.
J’ai ainsi cité l’exemple de l’huile de Neem, dont l’une des matières actives est l’Azadirachtine et qui est utilisée comme insecticide par l’agriculture biologique en France alors qu’elle n’est pas autorisée à la vente. Les autorités sanitaires considèrent encore à ce jour que ce produit est un perturbateur endocrinien bien trop dangereux pour l’utilisateur et pour les abeilles. MMR s’est indignée, indiquant que ce produit naturel connu depuis la nuit des temps en Inde était parfaitement inoffensif. Elle venait pourtant de s’appesantir sur les dangers pour la santé, même à de très faibles doses, des perturbateurs endocriniens. Elle ne m’a pas contredit en revanche lorsque j’ai rappelé que l’insecticide phare depuis longtemps de l’agriculture biologique, la roténone, qui bénéficie encore d’une dérogation avant d’être définitivement interdit, est classé au même niveau que le Paraquat au regard de la maladie de Parkinson.
Tout ça pour dire qu’elle n’est pas crédible quand, dans le même temps où elle dénonce le laxisme supposé des autorités sanitaires de notre pays, elle se moque stupidement de leur prudence parce que leur avis ne correspond pas à ses certitudes, j’ai envie de dire à ses croyances.
Pour tous ceux d’entre vous qui ne se satisfont pas de la noirceur de la situation que dépeint MMR, je ne saurai trop conseiller de lire le dernier livre de Jean De Kervasdoué « La peur est au dessus de nos moyens », celui de Gil Rivière Wekstein « Bio, fausses promesses et vrai marketing » mais aussi « Le jardin naturel » de Jean Marie Lespinasse (les deux derniers sont en vente au Tastet).
Les lecteurs assidus de ce blog, tout comme maintenant ceux d’entre vous qui ont assisté vendredi au débat, savent que je ne me satisfais pas de la séparation, à mon sens artificielle, des agriculteurs entre bios et conventionnels. L’agriculture biologique définie par un règlement européen est une certification environnementale. Elle n’est en aucun cas une norme nutritionnelle, qualité, santé ou sanitaire, pas plus qu’une garantie d’innocuité pour les agriculteurs eux-mêmes. Dès lors que l’agriculture biologique autorise l’utilisation de fongicides et d’insecticides fabriqués par les mêmes firmes qui fournissent l’agriculture conventionnelle, le même regard critique doit être porté sur les pratiques, sur les bénéfices et les risques qu’elles comportent. Les insecticides « naturels » comme la roténone, le pyrèthre, le spinozad ou l’huile de Neem peuvent avoir à certains égards une évaluation des bénéfices, comparativement aux risques encourus, moins favorable que pour certains des produits issus de la chimie de synthèse.
La démarche de l’agriculteur bio est de tendre vers une agriculture naturelle. Le renoncement aux produits chimiques de synthèse pour protéger les plantes ou les nourrir est la preuve de cet engagement. Pour autant l’utilisation de produits de protection des plantes le rapproche bien plus que le grand public ne le perçoit aujourd’hui des autres agriculteurs. Entre un producteur de pommes qui cultive une variété peu sensible à la tavelure, qui balaie et broie les feuilles l’hiver pour diminuer l’inoculum de la tavelure, qui suit les projections d’ascospores à la loupe en consultant sa table de Mills pour repérer les contaminations afin d’intervenir à bon escient, qui protège la faune auxiliaire dans l’enherbement des allées, qui implante des nichoirs, qui place ses bâtonnets pour diffuser la confusion sexuelle à l’intention des papillons du carpocapse, qui utilise le soufre, le cuivre, la carpovirusine, le bacillus thurigensis et d’autres molécules chimiques choisies pour leur sélectivité et leur cohérence avec tous les autres paramètres de la conduite des arbres, qui désherbe une faible proportion de la surface du verger localisée au pied des arbres, qui nourrit ses arbres avec une légère fumure organo minérale, et un arboriculteur bio qui s’interdit tout désherbant et molécules chimiques, la frontière devient très étroite. Et à mon sens l’intérêt de la société, du consommateur, de la protection de l’environnement, coût carbone par kilo produit y compris, n’est pas forcément là où l’on pense à priori. (Vous pouvez relire deux de mes articles précédents: "Auprès de mon arbre" et "Dans la solitude des vergers de pommiers".
Le débat est loin d’être terminé et il est passionnant. Je remercie les organisateurs (surtout « trices ») de m’avoir permis de participer à ce débat pour tenter de glisser quelques interrogations au milieu de trop de certitudes. Je souhaite aussi prendre rapisdement le temps d’échanger plus longuement avec Paul François et Pierre Bousseau dont j’ai fait la connaissance ce soir là et dont les témoignages m’ont paru très pertinents. Paul a eu raison d’insister sur les dangers de l’exposition des agriculteurs aux manipulations des produits phytosanitaires. C’est là que se situe le réel danger. Il n’y a pas de commune mesure avec les risques encourus par le consommateur, si tant est qu’ils existent et si l’on veut bien faire un peu confiance aux autorités sanitaires et à la sévérité des normes qui s’appliquent dans notre pays.
Le modérateur des débats, Michel Adam, était lui totalement acquis aux thèses catastrophistes de MMR. C’est ainsi qu’il a conclu la réunion en répondant à la question posée, « l’assiette de nos enfants est-elle toxique ? », par un oui très net qu’il avait clairement prémédité. Comment peut-on affirmer une telle monstruosité avec autant de certitude alors que pas un scientifique expert de la question ne s’y risquerait? Je vous laisse deviner ce que j’en pense mes chers lecteurs.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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