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Mon verger vu d’ailleurs (1). Les pommes des cavernes du Val Di Non.

La 48ème édition des prévisions de récolte pour les pommes et les poires de l’Union Européenne et même de tout l’hémisphère nord s’est tenue du 2 au 4 aout à Trento, dans la province italienne du Trentin Haut Adige.

Après la frustration deux années consécutives en 2020 et 2021 où les échanges entre les représentants des pomicultures nationales n’ont pu être que virtuels, ce rituel itinérant très couru et bientôt cinquantenaire a repris sa place en plein cœur de l’été.

L’an passé nous étions ainsi à Belgrade pour le congrès Prognosfruit. La déflagration déclenchée par l’agression de l’Ukraine par la Russie en était l’évènement géopolitique majeur. Il était au cœur de cette édition opportunément située dans le voisinage politique, économique et culturel du conflit.

Un an et demi plus tard, la guerre est toujours là, destructrice et meurtrière. Les populations souffrent et endurent la noirceur combattante de Vladimir Poutine. Et bien que comparativement cela soit sans commune mesure, les conséquences sur les échanges des productions agricoles, dont les pommes et les poires, sont encore une source d’inquiétude majeure.

Le retour de l’inflation sur les coûts de production est venu très vite s’ajouter à la désorganisation des marchés consécutive à la guerre. Il en a résulté une extrême difficulté pour les producteurs et leurs stations fruitières à couvrir dans leurs prix de vente la hausse de leurs charges. Le verger de pommes d’Europe est sorti pour cela très affaibli à l’issue de la dernière campagne.  

Les perturbations dans le commerce entre pays pour les pommes et les poires, en plus de la difficulté à répercuter les coûts de production sur le marché et des consommations toujours à la baisse, voilà quelles étaient avant la rencontre de ce début de mois d’aout les principales préoccupations de tous les congressistes venus de 27 pays différents.

A celles-ci s’ajoutent pour les arboriculteurs d’Europe de nouvelles contraintes réglementaires et les diminutions de moyens de protection des vergers qui abiment en quantité et en qualité les récoltes. Situation évidemment bien plus grave en France où les choix politiques précurseurs de ceux de l’UE font déjà que ça casse plus que ça ne passe.

La visio-conférence permet l’échange d’informations sans bouger de chez soi. Mais il est des étonnements et des sensations qui participent bien plus à la compréhension du monde qui ne se ressentent physiquement qu’en allant à la rencontre d’autres réalités que celles qui font notre quotidien. L’édition 2023 du Prognosfruit a sur ce plan aussi tenu ses promesses.

L’accueil des congressistes s’est fait au sein du château du Bon-Conseil. Imposant monument dont la construction remonte au 13ème siècle et dont la première fonction fût d’accueillir les prince-évêques. Le concile de la contre réforme entre 1545 et 1563 a rendu célèbre la ville.

Ce mercredi 2 aout, c’était au tour des représentants nationaux des pommes et des poires d’Europe et d’ailleurs d’occuper les lieux. Et c’est par une visite guidée que l’immersion dans la singularité de la province italienne du Trentin a commencé.

Tout est passionnant de l’histoire et de l’art contenus dans ces murs. La déambulation de salle en salle s’est terminée au bout d’un long couloir à l’extrémité sud, dans la tour Aquila qui abrite le célèbre « Ciclo dei Mesi » (le cycle des mois).

Sur les quatre murs de la pièce, très bien restaurées et conservées on peut voir les onze fresques peintes, on le suppose, par le maître Wenceslas de Bohème à la fin du 14ème siècle ou au tout début du 15ème. Elles représentent des scènes de la vie de la noblesse comme de la population rurale dans ses activités agricoles et pastorales au fil des mois. Mars est manquant pour avoir été peint sur un support en bois qui a été brûlé dans un incendie.   

Alors que notre guide terminait ses explications sur cet étonnant trésor pictural du gothique tardif, une voix s’est élevée de notre groupe pour faire remarquer que si la vigne était bien présente sur ces fresques, on n’y voyait aucun pommier.

Notre guide conférencière ne put que faire le même constat. C’est alors que Gerhard Dichgans, le très charismatique directeur de VOG qui est le principal groupe coopératif du Haut Adige, nouvellement retraité mais toujours consultant, a satisfait notre curiosité.

On sait que le pommier est présent dans le paysage de la haute vallée de l’Adige depuis les temps de l’empire romain. Mais nous dit-il, c’est à Napoléon 1er, notre turbulent empereur, qu’il faut attribuer indirectement la révélation de l’intérêt pour la culture du pommier dans cette région. Napoléon s’est en effet allié à la Bavière en 1805 avec la signature du traité de Bratislava après la défaite de l’Autriche à Austerlitz. C’est ainsi que l’occupation du Trentin-Haut Adige par les bavarois a débuté au début du 19ème siècle. Et ce sont eux qui en introduisant des techniques avancées pour la culture des fruits ont incité au développement intensif du verger de pommiers. La population locale d’agriculteurs n’en avait pas très envie et n’y croyait pas trop selon Gerhard. Bien heureusement pour la suite, ils se sont peu à peu laissé convaincre.

Deux cents ans plus tard, avec 1.300.000 tonnes de pommes produites annuellement, des paysages de montagne magnifiques et une économie façonnés par une immensité de vergers en plus des vignes, il est utile de se pencher sur son histoire et savoir d’où l’on vient. Se souvenir de ce qui est dû à ce regard extérieur qui a su déceler le potentiel et la richesse d’un terroir. Une histoire qui se décline avec mille variantes un peu partout dans le monde de la pomme. Avec cette évocation à notre adresse par Gerhard, le cru 2023 du congrès Prognosfruit s’annonçait donc sous les meilleurs auspices.

Le précédent Prognosfruit dans la région s’était tenu en 2015 à Merano dans le Sud-Tyrol, de culture autrichienne. Cette fois-ci c’était au tour du Trentin d’accueillir les congressistes au sein du groupe coopératif Melinda. D’anciennes chambres froides ont été détruites pour laisser la place à une immense salle de réunion digne des plus accueillants centres de congrès.  Il faut dire qu’avec plus de 3000 arboriculteurs adhérents à la coopérative, il vaut mieux disposer d’un lieu adapté pour se réunir.

Une seule montagne sépare les deux vallées, mais les appartenances culturelles restent très marquées encore aujourd’hui. Et il faut se souvenir que jusqu’à la fin des années 70 des actions violentes étaient menées par un mouvement qui disait lutter pour la liberté du Tyrol du Sud. Et ce n’est que le 17 juin 1992, aux Nations Unies, que les représentants de l’Autriche et de l’Italie informent le président Boutros Boutros-Gjali de la fin du litige qui les opposait encore au sujet de la province de Bolzano, appelée Haut-Adige par les italiens et Süd-Tyrol par les autrichiens.

La particularité de cette étonnante région arboricole, c’est d’être constituée de petits vergers dont la surface moyenne ne dépasse pas les deux hectares. Confinés densément avec de petites surfaces dans une même vallée, les arboriculteurs se sont regroupés peu à peu pour donner les moyens à chacun de réussir. Avec une marque commune, une identité géographique pour un terroir d’altitude d’exception, une variété principale comme golden, se fédérer était une nécessité vitale. Plus d’un siècle de construction entre arboriculteurs avisés et collectivités locales solidaires a été nécessaire pour parfaire et faire vivre le système politico-économique local qui fait l’admiration des autres régions arboricoles du monde.    

L’imbrication parfaite des vergers comme des vignes avec les villages, les activités économiques et les voies de communication, partout où la montagne laisse la possibilité de cultiver, subjugue le visiteur. Chaque mètre carré est utilisé. Cette densité, le soin apporté aux cultures, la qualité architecturale et l’homogénéité esthétique des constructions, tout concourt pour former de magnifiques paysages. Traditions et folklore ajoutent à l’identité marquée de la province. Le tourisme est pour cela l’autre richesse incontestée de ces vallées.

Compte tenu de ces spécificités, le discours d’accueil de Guilia Zanotelli, la conseillère pour l’agriculture de la province autonome de Trente, membre de la Ligue du Nord, s’est révélé assez décoiffant. Je ne sais pas si dans la salle quelques émissaires de la Commission européenne étaient présents pour l’écouter, en tout cas il faut souhaiter que depuis Bruxelles le message ait été entendu.

C’est ici, dans cette enceinte, par la voix de Guilia Zanotelli, que s’est exprimé le refus de l’uniformité et de la dissolution des cultures et traditions locales des régions d’Europe. Il était assez réjouissant d’entendre dire aussi clairement que l'on ne se laisserait pas dicter comment gérer l'agriculture depuis la commission européenne et son projet Farm to Fork, déclinaison agricole du Green Deal, dont une directive SUR (Sustainable Use Regulation of plant protection products) qui fait voir rouge tous les agriculteurs d’Europe. Le parlement en tout cas ne s’y est pas trompé et pour des raisons opposées selon les groupes, la majorité des députés européens a mis fin temporairement en novembre au jeu de contraintes nouvelles imaginé par le commissaire Franz Timmerman et ses collègues.

Redessiner le verger de pommiers du Val Di Non par une directive européenne qui devrait s’appliquer d’autorité dans cette vallée comme ailleurs n’est pas une option possible pour cette conseillère au langage sans ambiguïté. C’est ce discours qui nous rappelle que l’on a oublié de s’en remettre à la subsidiarité pour tout ce qui concerne le choix des moyens pour atteindre les buts collectifs communs essentiels. Que la folie régulatrice qui impacte de plein fouet les histoires locales n’a pour résultat que de compromettre stupidement le projet européen.

En matière de protection de l’environnement et des populations, on a un peu de mal à croire que ce miracle d’organisation que l’on perçoit dans ce Val Di Non puisse recevoir des leçons de ce cher Franz.

La puissance du collectif des arboriculteurs de Melinda en matière de protection de l’environnement s’exprime aussi dans leur initiative de stocker les pommes en chambres froides directement au cœur de la montagne proche des installations de la coopérative. Il a suffi pour réaliser le projet qu’un accord soit passé avec un exploitant de la dolomie des Dolomites afin que le creusement se fasse selon le plan des chambres froides à réaliser et des circulations de poids-lourds pour les relier. A ce jour ce sont déjà 34 chambres froides qui peuvent contenir 30000 tonnes de pommes qui sont déjà en service 300 mètres en dessous des racines des pommiers. Il en résulte des économies substantielles d’énergie, de terrain, si rare alentour, et des paysages épargnés des constructions qui sont nécessaires à la conservation des fruits.

Quoi de plus banal en ce bas monde qu’une pomme. Mais quoi de plus extraordinaire que ce Val Di Non, son histoire, la singularité de son organisation, de sa culture, de son folklore, de ses traditions, de sa modernité technologique, de la puissance collective acquise par une communauté d’arboriculteurs qui unis font rayonner leur production dans toute l’Italie bien sûr, mais aussi dans toute l’Europe, au Moyen Orient et en Asie ?

C’est la différence, la singularité, l’identité qui crée de la valeur et de l’intérêt pour les pommes comme pour nombre de produits que l’on s’échange sur la planète. Et c’est le croisement des expériences, des expertises, des savoirs et des cultures qui nous fait évoluer et progresser.

J’ai eu la chance cette année encore de regarder mon verger et le verger français de plusieurs autres lieux sur la planète. Le plus souvent lors de réunions, de congrès ou de salons, mais aussi bien heureusement au contact direct de collègues arboriculteurs dans leur verger.

Mon expédition expresse en mai à titre privé en Inde, entre Cachemire, Himachal Pradesh, Chandigarh et New-Dehli a été la plus étonnante. Je l’ai racontée sur ce blog. Un week-end en février en Pologne au contact direct d’arboriculteurs par l’entremise de Robert Sas et de Miroslaw Szyszkowski a été un autre moment fort de l’année. J’en ai aussi fait le compte rendu sur ce blog.

En plus du congrès Prognosfruit à Trento, j’ai aussi eu l’opportunité d’être au Fruit Logistica de Berlin en février, à Bruxelles pour l’AG de Freshfel en mai, à Interpoma à Lérida en juin, au comité mixte à Rome aussi en juin, à l’Outlook Conference de Chicago en aout, à Barcelone en septembre pour le congrès EGEA, à Fruit Attraction à Madrid en octobre, au congrès de l’UNCGFL à Porto aussi en octobre, en Moldavie en novembre puis en Chine à Changhai pour le CIIE et tout dernièrement à nouveau à Varsovie à l’invitation du syndicat polonais des producteurs de fruits. A cela s’ajoute de nombreux déplacements en France riches de rencontres et d’échanges.

A chaque fois je me pose la question de savoir ce que je fais de ce que j’ai appris. De l’utilité collective ou pour ma propre entreprise de la masse d’informations qui fusent lors de ces multiples déplacements qui ne me laissent jamais complètement inchangé. C’est donc à cet exercice du dégagement des idées-forces que je dois me livrer à chaque fois et plus au calme et avec du recul au moment des fêtes de fin d’année.

A suivre….

Mon verger vu d’ailleurs (1). Les pommes des cavernes du Val Di Non.
Mon verger vu d’ailleurs (1). Les pommes des cavernes du Val Di Non.
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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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