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Auprès de mon arbre...

Sur le site de l’INRA   de la Grande Ferrade, vers 1958, un stagiaire polonais, W.Deieciol, effectue sous l’autorité de René Bernhard des croisements variétaux de pommiers pour « metaxenie ». C'est-à-dire pour étudier la forme du fruit que peut conférer le mâle au fruit de la femelle qui porte les futures graines.  Jean Marie Lespinasse, chercheur retraité de l’INRA mais plus actif que jamais pour promouvoir une agriculture écologique, m’a appris il y a quelques mois, à partir d’archives retrouvées, que c’est bien lors de ces travaux que 408 fleurs de Golden ont été pollinisées par du pollen de Reinette Clochard de Parthenay. Les pépins des 71 fruits obtenus ont alors été semés à Bordeaux. C’est dans un deuxième temps que l’INRA d’Angers  a repris cette descendance pour l’observer et assurer la sélection fruitière.  Près de vingt ans plus tard, en 1977, le Comité Technique Permanent de la Sélection (CTPS) accordait un certificat d’obtention variétale sous le nom de Chanteclerc à une variété issue de cette manipulation naturelle. Pour le commerce elle était protégée et baptisée « Belchard ».  

 

Je suis né en 1956, c'est-à-dire juste un peu avant cette pomme Belchard. Je me souviens en avoir appris l’existence au tout début des années 80, à la lecture d’un test consommateur paru dans « l’Ami des jardins ». La Belchard, parmi de nombreuses autres variétés de pommes, avait la préférence de ceux qui les avaient toutes goutées. Sans beaucoup plus de réflexion stratégique, nous avons alors décidé de planter sur l’exploitation familiale une première parcelle de cette pomme qui allait devenir progressivement la principale variété du verger des deux Charentes. Parce que cette pomme est un miracle. Il ne se passe presque pas de jour sans que je ne m’entende dire ici ou là que c’est la meilleure, la préférée. Au fil des années, lentement, sans autre promotion que le prosélytisme des consommateurs, la Belchard a fait sa place sur les étals et les corbeilles de fruits. Aujourd’hui, plus de cinquante ans après cette pollinisation croisée de génie, elle ne représente pourtant qu’un peu plus de 35000 tonnes en France sur une récolte totale de plus de 1.600.000 tonnes toutes variétés confondues. Elle est délicate à produire, à conserver et à manipuler. Pourtant les arboriculteurs des Charentes vont continuer à lui accorder de plus en plus de place dans leur verger, encouragés pour cela par la valeur qu’ils trouvent sur les marchés pour les Belchard issues de ce climat particulier, de ce terroir et de leur savoir faire. Presque une vie d’homme pour qu’une variété de pomme soit créée et transforme complètement l’offre variétale d’une région de France. C’est à la fois long et si court finalement. Et pour une réussite qui dure, combien d’échecs ont été essuyés? Il faut se souvenir par exemple qu’une deuxième variété était issue du même croisement et avait été sélectionnée sous le nom de Charden. Quelques vergers de cette variété ont été plantés. Les pommes pourtant très bonnes se sont révélées trop fragiles et les vergers ont très vite disparu.

 

La création d’une nouvelle variété de pomme et sa réussite sur les marchés auprès des consommateurs est une alchimie d’une complexité rare. Des interactions innombrables interviennent pour faire de l’innovation variétale le plus périlleux des projets à long terme. Et pourtant l’économie de la production de pommes dans le monde est tout entière sous-tendue par la compétition permanente entre les variétés. L’innovation réussie permet toujours de créer de la valeur auprès des consommateurs et de développer des vergers quand d’autres moins prisés et en perte de rentabilité disparaissent. L’histoire de l’arboriculture est tout entière celle de la création variétale. Cette histoire n’est pas finie.

 

Chaque arboriculteur et plus encore chaque pépiniériste sur la planète le sait parfaitement. Pourtant il semble plus difficile que jamais d’innover et d’introduire une nouvelle variété sur le marché. L’an passé à Chicago, lors du congrès annuel de l’US Apple, des arboriculteurs de l’Etat de Washington évoquaient à la tribune les qualités vraiment exceptionnelles et nouvelles qu’il faudrait pour qu’une nouvelle variété trouve sa place parmi une offre déjà de très haute tenue et très diversifiée. Chaque arboriculteur de la planète partage ce point de vue mais avec l’intuition aussi que les mutations lentes qui vont inévitablement transformer l’offre et le marché sont toujours en cours même si elles sont peu perceptibles.

 

Comme tous mes collègues arboriculteurs, j’aime écouter les histoires étonnantes des découvertes des variétés de pommes qui composent les vergers du monde. C’est la part de rêve de ce métier qui place la motivation au-delà des contingences économiques. Je revois par exemple Wilfried Mennel l’an passé, devant l’arbre d’origine de la variété Ambrosia dans son verger « organic » de Cawston en Colombie Britannique, m’expliquer que c’était grâce à sa négligence que cette variété était apparue. « En effet », me disait-il, « je n’entretenais pas bien le sol de mes rangs de pommiers et un jeune plant issu d’un semis de hasard de pépin de pomme a pu se développer. Un bon arboriculteur l’aurait arraché ». C’est quand les premiers fruits sont apparus et qu’il a constaté que ses cueilleurs dévoraient les pommes de cet arbre qu’il a décidé de reproduire cette variété pour la tester très sérieusement. Il l’a baptisée Ambrosia parce que son goût de miel lui fait penser à une nourriture des dieux (« food of the gods »). Ce semis a déjà plus de vingt ans et les premiers vergers commencent tout juste à se planter. Nous saurons dans quelques dizaines d’années quel aura été l’avenir de cette variété prometteuse apparue par hasard et négligence dans le verger de Wilfried.      

 

 

wilfried

 

On sait depuis de début du siècle dernier que le berceau d’origine de la pomme dans le monde est très probablement l’Asie Centrale, plus précisément les pentes du Tian Shan (les montagnes célestes) au Kazakhstan, près d’Almaty. La route de la soie passait par là et ce serait ainsi, par des voleurs de pommes, que se serait propagée l’espèce tout au long des contrées traversées. La chape de plomb communiste a sanctuarisé l’endroit jusqu’en 1989 quand un généticien de la station de recherche de Geneva dans l’Etat de New York, Herb Aldwinckle, a enfin pu venir sur place commencer à prélever un peu du fabuleux patrimoine génétique disponible. La plupart des pommes cultivées aujourd’hui sont issues d’hybridations successives à partir de parents sans cesse moins nombreux. L’intérêt de venir puiser dans la forêt d’origine de malus Sieversii, c’est de pouvoir utiliser des caractéristiques de tolérance aux agressions extérieures bien plus élevées que celles dont nous disposons à ce jour. D’autres chercheurs, dont François Laurens pour la France, ont pris depuis le chemin d’Almaty pour rechercher les parents de futures variétés qui révolutionneront peut-être la production de la pomme dans le monde en ce qu’elles ne nécessiteront plus le recours à une protection phytosanitaire aussi dense qu’aujourd’hui.

 

Un très beau documentaire sur cette forêt de Tien Shan vient d’être diffusé sur Arte. Je mets pour ceux que cela peut intéresser le dossier de presse accessible en cliquant ici ainsi qu’un lien vers trois articles parus sur ces thèmes dans le Wall Street Journal, le National Géographic et le Cornell Daily Sun . Nous sommes en 2010 et pourtant nous découvrons émerveillés une incroyable histoire sur l’origine de la pomme. Des pommiers hauts de 35 mètres qui résistent aux agressions du climat et des parasites. Une sélection variétale au fil des millénaires qui se serait effectuée par les préférences de l’ours végétarien qui vit dans cette forêt. Les pépins de ses pommes préférées se retrouvant favorisées pour se développer plus vite dans le terreau de ses excréments. Et puis on apprend l’existence du professeur Aymak Djangaliev, agronome et généticien, qui a consacré toute sa vie à l’étude et à la protection des pommiers « malus sieversii » du Kazakhstan. C’est tout l’intérêt du documentaire que de mettre en perspective la richesse infinies de la nature avec les passions humaines, ô combien déterminantes pour la survie de l’espèce, qu’elle soit fruitière ou humaine. L’exemple de Nicolaï Vavilov (1887-1943) illustre le danger comme vous pouvez le constater à la lecture du dossier de presse.  

 

Partout dans le monde la production de pommes évolue au gré de l’acquisition de nouvelles connaissances et de nouvelles techniques culturales, mais aussi de nouvelles variétés moins sensibles à certains parasites. Le patrimoine génétique de la forêt de pommiers du Thian Shan participe de ces perspectives de progrès. Mais les transitions sont lentes et les sociétés sont maintenant impatientes de voir se réduire drastiquement l’utilisation des pesticides en agriculture. Le pouvoir politique relaie cette demande en incitant à la production biologique et au respect de son cahier des charges qui interdit l’utilisation de produits chimiques de synthèse pour se limiter à des substances naturelles. A mon sens ce remède à la Lyssenko peut se révéler plus dangereux encore que la manipulation de substances chimiques de synthèses de plus en plus strictement encadrées par la réglementation et les autorités sanitaires. Tout doit toujours être mis en œuvre pour défricher de nouvelles voies pour produire avec sans doute de nouvelles variétés et le moins possible d’intrants, le plus naturellement possible. Mais à mon sens la frontière artificielle érigée en dogme entre les substances naturelles, forcément considérées comme bonnes, et les produits issus de la chimie de synthèse, suspectées à priori de nous nuire, devient un handicap très sérieux à de vrais progrès collectifs harmonieux. La satisfaction des attentes multiples va de pair avec l’acceptation de la complexité, de l’imperfection et de la relativité de toute chose.

Demander à la fois le renoncement à la chimie en agriculture et batailler dans le même temps pour défendre le pouvoir d’achat, réduire la durée du travail et garantir des droits à la retraite le plus tôt possible conduit vers des impasses économiques et des problèmes politiques et sociaux au regard desquels l’amélioration hypothétique de la qualité de ce que nous produisons aujourd’hui, tout comme une meilleure préservation de l’environnement, paraitront vite bien dérisoires. Tous les paramètres doivent être pris en compte pour réussir de vrais progrès vers une production plus naturelle. La compétitivité et le comportement des individus lorsqu’ils ne sont pas conseilleurs ne sont dans ce cadre pas les moindres à regarder bien en face.

 

Bien heureusement, chacun là où il se trouve peut sans attendre cultiver simplement son propre jardin pour mettre en pratique le changement qu’il veut voir dans le monde. Cet effet papillon de l’initiative individuelle est encore le moyen le plus sûr d’aller vers l’objectif

 

« Même le plus long voyage commence par un premier pas » nous dit Lao Tseu.

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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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V
<br /> <br /> Enfin, un article autrement plus intéressant que le précédent, ouvert sur le monde et non refermé sur l'espace étroit réservé aux seuls supporters du petit président colérique: "si vous<br /> n'êtes pas d'accord avec moi, vous êtes CONTRE moi!"<br /> <br /> <br /> <br />
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