29 Décembre 2024
« Les fruits et légumes, c’est jamais trop ». Quelle plus belle mission alors que de présider l’association qui se donne pour but d’en augmenter la gourmandise ? Quoi de plus apaisant aussi que d’être légitime et incontestable dans un monde où pleuvent comme à Gravelotte tant d’interdits à table ? Et puis, annoncer des lendemains d’âmes saines dans des corps sains et en parfaite communion avec la nature est forcément une sinécure enviable non ? On va voir que oui évidemment. Et que non aussi. Mais que oui quand même.
Le jardin d’Eden, est d’abord dans ma genèse toute subjective un potager et un verger. Un lieu luxuriant et multicolore où une infinie diversité de fruits et de légumes poussent et s’offrent généreusement et très naturellement à tous les Adam et Eve. Mais voilà, l’humanité n’a eu de cesse depuis la nuit des temps de s’en chasser très loin toute seule. Les charmes de la vie simple, le nez fourré dans la terre nourricière, ne lui ont pas suffi. Elle a voulu des villages et puis après des villes. De très grandes villes même, bien artificielles, très belles, riches au centre et souvent pauvres à la périphérie. Pourtant dès le 18ème siècle Mirabeau avait prévenu : « les hommes sont comme les pommes quand on les entasse ils pourrissent ».
Au fur et à mesure de leur migration vers la mégapole, ses univers et ses lumières, la nostalgie du paradis perdu s’est imposée aux déracinés. L’imaginaire rêvé de ce qu’il devait être a lentement pris forme hybride chez les urbains et jusque dans les villages, mais un peu moins quand même. C’est à partir de là que tout est devenu un peu plus difficile pour les maraichers, les arboriculteurs et jusque sur les étals des primeurs, petits et grands. Essayons d’illustrer la chose et d’imaginer les voies indispensables de la réconciliation par la pédagogie de la vraie beauté du monde.
Laissons nous étonner d’abord par la perception du réel que peut avoir aujourd’hui l’adjointe à la maire de Paris, Audrey Pulvar, chargée de l’alimentation durable, de l’agriculture et des circuits courts. Bien qu’au cœur d’une cité gloutonne de 7 millions d’habitants gonflée en plus d’une floppée de touristes, goudronnée et bétonnée de partout avec de rares poumons verts, parcs ou forêts, l’élue s’est exprimée à plusieurs reprises pour affirmer sa volonté de redonner à Paris une dimension agricole. Pour justifier son ambition, elle déclare en novembre 2020 à la revue We Demain : « beaucoup ont oublié que Paris a longtemps été une ville agricole. Ce n’est qu’après la seconde guerre mondiale que les basse-cours et les jardins parisiens ont cessé d’alimenter les habitants. » Peu après, lors d’un échange sur le salon de l’agriculture, je l’ai entendu comme plusieurs témoins me dire sans rire qu’elle souhaitait en effet que Paris redevienne une grande ville agricole.
Dans une tribune du Figaro du 2 octobre dernier, l’économiste Erwann Tison déplore pourtant que les 120 fermes urbaines de la capitale aient une productivité au moins trente fois inférieure à une ferme de référence moyenne. Dans le même journal, le 14 octobre, ce sont les co-fondateurs du collectif « aux arbres citoyens », Dominique Dupré -Henry et Tangui Le Dantec qui se désolent que bien qu’elles bénéficient de subventions publiques, ces fermes ne sont pas adaptées à la densité de la ville, peinent à devenir rentables, restreignent l’espace public et tout ça sans apporter de bénéfices significatifs en termes de production alimentaire.
Pour l’homme de la terre cartésien ordinaire que je suis, une fois passée la sidération face à l’incommensurable grotesque du concept de fermes urbaines nourricières, c’est bien la puissance irrationnelle de l’état de manque de culture verte et ses conséquences sur le cerveau humain qui intrigue. En effet, comment comprendre autrement cette propension à s’affranchir des réalités, que l’on constate un peu partout au sujet de l’agriculture dans la société, les médias et en politique ? De quoi Audrey Pulvar est-elle le nom finalement ?
Transportons nous aussi dans cette autre ville monde qu’est New York. Je suis revenu furtivement en aout dernier dans ce laboratoire de la modernité sociale très hipster qui se trouve à Brooklyn dans le quartier de Bushwick. Les colons néerlandais au 17ème siècle en avaient fait une région agricole. Et puis, à la fin du 19ème siècle, elle s’est industrialisée avec l’implantation de brasseries et d’usines. Au 20ème siècle le quartier est devenu une enclave pour les immigrants italiens, allemands et plus tard latinos, principalement portoricains et dominicains. Par la suite, la désindustrialisation dans les années 70 a conduit jusqu’à la désolation à une montée de la pauvreté et de la criminalité. Mais depuis les années 2000, l’afflux d’artistes et de créatifs attirés par des loyers plus abordables qu’à Williamsburg, pas très loin de là, a conduit à une revitalisation étonnante du quartier. Bushwick est maintenant réputé pour ses fresques murales, son street art vibrant. Le « Bushwick collective » invite toujours les artistes du monde entier à venir embellir les murs. Galeries d’art, bars, clubs underground et restaurants branchés, sans enseignes extérieures, colonisent cet univers improbable d’usines désaffectées aux murs peints. Les rues sont cradingues, c’est à la fois beau et moche à l’extérieur et étonnant moderne, douillet et sophistiqué dès lors que l’on franchit les portes en tôles. C’est super hipster pour tout dire.
Bushwick incarne donc selon les guides touristiques « une fusion entre tradition ouvrière et modernité assez fascinante par l’effervescence artistique contemporaine qu’elle suscite ».
Mais ce n’est pas tout. A Bushwick on porte une attention particulière à l’agriculture urbaine et aux pratiques durables. Tout y est forcément organic. On y trouve la fameuse Bushwick City Farm, une ferme urbaine communautaire gérée par des bénévoles qui offre gratuitement des fruits et des légumes aux résidents locaux. On y découvre aussi à l’angle de deux rues une « Farm to people, kitchen and bar » protégée de la vue des passants par un bardage composite de palettes et de tôles. Ce dimanche matin, j’ai glissé un œil à l’intérieur en profitant de l’entrebâillement du portail rouillé pour la sortie des poubelles pleines du recyclage qui alimente la nécessaire économie circulaire. La ferme n’occupe en fait qu’une cinquantaine de mètres carrés tout au plus et la production légumière semblait plutôt maigre cette fin aout. La terrasse du bar en revanche était plus vaste.
Je suis en fait intrigué et perplexe face à cet univers chaotique à la Mad Max qui abrite pourtant une vie underground apaisée, créative, artistique, communautaire et technologiquement sophistiquée. Une vie forcément organic, bio alternative, hipster, punk, gothique ou baba cool, mais bio. Ma carte mémoire pleine des images colorées du quartier (lien vers les photos sur mon blog), je suis donc allé méditer sur la signification anthropologique, politique et économique de tout cela, deux pas plus loin, attablé devant une Bee Sting à Roberta’s Pizza où, dans ce lieu à l’esthétique brute et industrielle, j’aurais pu croiser me dit-on Beyoncé ou Jay-z.
De ce côté-ci de l’Atlantique, à Paris, c’est un évènement très officiel qui illustre à merveille à mon sens ce paradoxe très mystérieux qui veut que l’on cherche à s’affranchir de la culpabilité originelle d’avoir abandonné la nature trop sauvage en simulant et en stimulant sa micro-présence en ville.
Nous sommes le 21 octobre 2022 et la première ministre Elisabeth Borne dévoile le plan « France Nation verte ». Pour cette annonce fondatrice, ce n’est pas au cœur de la nature enivrante de l’Auvergne, du Jura ou de la Bretagne que la cheffe du gouvernement s’est rendue. Non, c’est à la porte de Clignancourt, à la Recyclerie, une ancienne gare réhabilitée en lieu de vie comme l’indique son site. Un espace qui comprend, outre un espace bar et restauration, une ferme urbaine en contrebas, de chaque côté de l’ancienne voie ferrée et aussi un atelier de réparation.
Je cite in extenso un paragraphe de la présentation de la Recyclerie qui fête ses 10 ans en 2024 :
« La Recyclerie a notamment permis de sensibiliser aux écogestes, aux mobilités douces, à la lutte contre la surconsommation, à une alimentation responsable et à la protection de la biodiversité. En parallèle, elle a vu naître une mobilisation sans précédent de la société civile et particulièrement de la jeunesse prête à porter l’évolution de la pensée écologique dans ses murs, dans le médias et dans le débat politique, au cœur d’une vision systémique bienvenue ».
J’y suis allé et j’ai trouvé le lieu gentillet où on joue à l’agriculture dans le bac à sable. Mais force est de constater que le prosélytisme ne dépasse pas encore les murs de la Recyclerie dans ce quartier. Avant d’en franchir le seuil, quand on sort de la bouche du métro, Porte de Clignancourt, si par extraordinaire on était peu de temps avant dans le bush du Sud Charente, on est quand même saisi par le décor minéral bruyant d’une réalité urbaine interlope, faite de vendeurs à la sauvette et de squatteurs divers, bien moins poétique, en tout cas pas franchement écoresponsable. Il y a beaucoup de pots d’échappement aussi, pour autant d’émission de gaz à effet de serre.
Allez, j’ai un dernier exemple de la vision Urbano centrée à prix d’or de la reconnexion surréaliste avec la nature. En balade à Bordeaux avant Noël, je m’approche d’un important chantier de fouilles archéologiques sur la place de l’église Notre Dame. Sur les grilles qui protègent le chantier je lis ceci : « L’objectif de cette fouille : Le projet de végétalisation prévoit la création de fosses plantées composées d’arbres et de végétations basses, afin de lutter contre les ilots de chaleur. Les données récoltées grâce aux fouilles archéologiques viendront compléter les connaissances sur ce quartier de la ville et permettront d’en restituer son histoire ».
Bordeaux est une ville magnifique et continuer de l’embellir est très louable. Mais justifier cet investissement considérable par un objectif de lutte contre les ilots de chaleur en dit long sur la déconnexion du réel qui gagne les esprits et la sphère politique.
Ces exemples ne sont pas isolés. Ce ne sont plus des signaux faibles prémonitoires d’un aveuglement à venir sur les réalités de la production et de la consommation. Ils expriment cette volonté qui grandit de redessiner la nature et l’agriculture à partir d’une frustration et de l’idée artificielle que l’on s’en fait en ville. Parce que 80% de la population au moins vit maintenant en France comme dans de nombreux autres pays « développés » dans des univers urbains. Une écrasante majorité dont la vision du monde a vocation à orienter la pensée et les choix politiques comme à s’exprimer dans les médias ou dans les « luttes progressistes ».
La bonne nouvelle, c’est que tout cela exprime une profonde envie de nature et de revégétaliser nos vies. L’immense tâche qui nous attend en 2025 et longtemps encore après, c’est de repartir des réalités pour unifier villes et campagnes et accepter sans faux-fuyant l’identité et le rôle des uns et des autres.
A suivre….
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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