8 Octobre 2023
La Russie a envahi l’Ukraine le 24 février 2022. La guerre et son cortège d’atrocités a repris place aux frontières de l’Europe. La déflagration a aussi brutalement révélé la fragilité de nos économies totalement dépendantes de matières premières et d’énergies venues d’ailleurs.
La menace immédiate d’une pénurie de gaz en a fait exploser le coût. Cette hausse s’est instantanément répercutée sur le prix de l’électricité. L’incompréhension a été totale dans notre pays. Nous étions encore convaincus qu’au moins pour cette énergie la France était forte et indépendante, grâce à ses centrales nucléaires et quelques barrages hydroélectriques. Nous apprenions alors que le bas coût de production de notre électricité n’en fixait plus le prix de vente. Et que notre parc de centrales n’était pas au mieux de sa forme, que quelques terawattheures allaient durablement manquer à l’appel.
Selon la date de renouvellement des contrats, les factures ont alors été multipliées par deux, par trois et jusqu’à dix pour certains commerçants, artisans, agriculteurs et entreprises. Les premières faillites ou cessation d’activité enregistrées, il devenait temps de créer une commission d’enquête parlementaire pour tenter de faire la lumière sur les raisons de la perte de souveraineté énergétique de la France.
Le 17 décembre 2022, c’était au tour d’Henri Proglio, président d’EDF de 2009 à 2014 d’être audité. Deux heures d’explications limpides sur les choix politiques français et européens depuis les années 90 qui ont mis EDF et notre filière nucléaire d’excellence au tapis. Deux heures d’immersion au cœur du pouvoir où se sont prises les décisions abracadabrantesques qui ont cassé pour longtemps encore notre souveraineté pour la production d’électricité et sa mise en marché.
Il faut absolument écouter cette audition dans son entier pour comprendre comment l’irrationnel et l’absurde peuvent jusqu’à la caricature être assumés au sommet de l’Etat. Il est surtout indispensable d’admettre qu’un même scénario peut parfaitement se dérouler aujourd’hui sous nos yeux dans d’autres domaines, sans que l’on en ait évidemment à temps une claire conscience.
Souvenons-nous que l’énergie nucléaire et ses déchets étaient devenus l’objet de contestations puissantes par les ONG et les mouvements politiques dits verts en France et dans le monde. L’idée a donc fini par s’imposer qu’il fallait sortir du nucléaire. Que pour cela des décisions concrètes devaient être prises. Un plan de fermeture de centrales a alors été établi pour en ramener le potentiel de production d’électricité à 50% du total nécessaire. Objectif défini au doigt mouillé de la communication politique bien sûr. D’où allaient venir les 50% manquants ? D’une baisse attendue de la consommation et d’énergies renouvelables pilotables à inventer disait-on sans bien savoir ce qu’elles seraient.
On sait ce qui est advenu. La consommation électrique n’a bien sûr pas baissé et est au contraire durablement et fortement à la hausse. Les énergies renouvelables éoliennes et photovoltaïques sont intermittentes. Elles nécessitent en parallèle une puissance équivalente de production pilotable au gaz ou au charbon. Les centrales nucléaires ont en effet trop d’inertie pour jouer ce rôle. Alors que l’on se préoccupe des émissions de gaz à effet de serre dont l’absence est une vertu pour l’énergie issue de l’atome, c’est le gaz et le charbon, très polluants, qui se trouvent privilégiés.
Pour couronner le tout, l’UE sous l’influence allemande a fait tout faux. Elle a imposé une fausse libéralisation et unification du marché de l’électricité tout en dénigrant le nucléaire. La France ne s’y est malheureusement pas opposée et EDF a été écartelée et appauvrie au profit de traders inutiles.
Autre effet délétère de cette entreprise destructrice réussie, le savoir-faire, l’innovation et les hommes, autant de domaines où la France était au premier rang et qui sont maintenant entièrement à reconstruire. Nous sommes passés loin derrière la Chine, la Russie ou les Etats Unis.
Le 22 juin 2023, le parlement vote enfin assez facilement et sans beaucoup de débats une loi pour accélérer les procédures liées à la construction de nouvelles installations nucléaires et qui supprime l’objectif de réduire à 50% la part du nucléaire dans le mix électrique à l’horizon 2035. Plus récemment, le Président de la République a annoncé que nous allions reprendre de l’autonomie sur le prix de l’électricité. Acceptons-en l’augure.
A écouter Henri Proglio on comprend qu’on aurait pu éviter de déconstruire ce qui faisait notre force et notre avantage compétitif sur le plan de l’électricité face à l’Allemagne. Il aurait fallu pour cela du courage et de la lucidité politique en même temps qu’une puissante pédagogie auprès des citoyens.
On va malheureusement voir que toute ressemblance avec ce qui se déroule sous nos yeux pour l’agriculture en France et en Europe n’est pas totalement fortuite.
Abordons le sujet par la situation de la production de fruits et de légumes en France. En 2000, à peu près 70% de ce qui était consommé sous toutes les formes provenait de l’hexagone et des départements et territoires d’outre-mer. En 2023 nous n’en sommes plus qu’à 50%. La compétitivité et la préférence pour ce qui est produit hors de France et sous d’autres latitudes plus exotiques a fait son œuvre pour une bonne part dans ce mauvais résultat. Mais cette perte d’autonomie touche aussi des fruits et des légumes qui ont parfaitement vocation à être produits sur le territoire national.
Comment dès lors stimuler une consommation préférentielle pour les fruits et les légumes compatibles avec notre climat et nos terroirs ? Comment aussi améliorer la compétitivité du maraichage et de l’arboriculture en France comparativement aux autres pays européens et au reste du monde ?
Le passage symbolique sous le seuil de 50% a enfin fait percevoir que la cote d’alerte était franchie. Deux ministres courageux à la suite ont donc œuvré pour que soit défini et mis en œuvre un plan de souveraineté pour les fruits et légumes. L’annonce du plan et son budget a été faite lors du dernier salon de l’agriculture fin février par Marc Fesneau.
La construction concertée des différents modules du plan est en cours et une première liste d’agroéquipements subventionnables va être annoncée dans les tous prochains jours. La volonté du ministre est claire et l’avancée du plan fait l’objet d’une attention toute particulière au plus haut niveau de l’Etat. Tout doit donc aller pour le mieux maintenant dans le meilleur des mondes végétal bleu blanc rouge possible. Mais ce n’est pourtant pas le cas. Un puissant verrou idéologique devenu un dogme supérieur à l’objectif de souveraineté bloque le système. Un second commence aussi à s’affirmer. Je l’évoquerai dans un prochain article.
Le premier verrou a commencé à se constituer en 2007 lors du Grenelle de l’environnement. Il était venu aux oreilles du chef de l’Etat par la voix de la présidence de l’INRA qu’en France il était possible de produire tout autant en utilisant moitié moins de pesticides. Le premier Ecophyto était né, avec l’objectif de réduire de 50% l’utilisation de pesticides avant 2018. On se demande encore pourquoi 50% et encore plus 50% de quoi. Il était difficile de faire plus stupide et moins scientifique comme raisonnement et pourtant on l’a fait. Des chercheurs se sont donc mis à chercher comment atteindre et mesurer l’objectif. Ils n’ont pas évidemment trouvé mais n’ont jamais remis en question la stupidité de l’énoncé du problème dont ils étaient les coauteurs. A la manière d’Henri Proglio, je peux raconter quelques séances épiques ou en groupe de travail on s’évertuait à résoudre la quadrature du cercle face auquel on nous avait mis.
Fermes Dephy, Certiphyto, beaucoup d’avancées positives ont eu lieu évidemment, bien que le problème ait été mal posé. Mais beaucoup d’énergie et d’argent ont été mobilisés inutilement pour répondre à la commande de départ. Nous en sommes après Ecophyto II puis II+ à Ecophyto 2030.
En 2016, pour accélérer vers les objectifs d’Ecophyto, ont été inventés les CEPP (Certificats d’économie de produits phytosanitaires). Une nouvelle fois beaucoup de compétences et d’intelligences ont été mobilisées pour tenter de construire un procédé dupliqué des CEE (Certificats d’économie d’énergie). J’avais en son temps dit sur ce blog à quel point il fallait ne rien comprendre aux réalités économiques, agronomiques et aux hommes pour penser qu’un système de carottes pour les agriculteurs et de bâtons pour les distributeurs, qui ne pouvaient d’ailleurs plus être prescripteurs, pouvait fonctionner. Nous sommes en 2023, les CEPP existent encore sans avoir jamais vraiment existé et avoir servi à quelque chose.
Depuis 2008 et donc 15 ans plus tard, une autre ambition est née chez quelques politiques et au sein du temple de la recherche agronomique française. Ce n’est plus la réduction des pesticides qu’il faut viser aujourd’hui mais bien la fin des pesticides. On ne fait de vrais progrès qu’avec des objectifs de rupture, qu’en sortant du cadre, comme chacun sait. Alors on ne parle plus que de reconception de systèmes, de déspécialisation des cultures, de biocontrôle et de la fin du « un problème une solution ». Tout projet de recherche qui demande financement est maintenant évalué à l’aune de cet objectif one health biodiversitaire absolu.
Il fallait sans doute en arriver à cette radicalité pour qu’enfin on puise poser le problème de la souveraineté de la France pour son agriculture en termes différents.
Parce que pour ce qui concerne la production de fruits et de légumes sans aucune fertilisation chimique et aucun pesticide, même d’origine naturelle, nous savons parfaitement comment faire depuis bien longtemps.
Nous devons cette science à un chercheur de l’INRA qui semble ne plus être lu au sein de la direction scientifique de l’institut. La première édition du « Jardin naturel » que l’on doit à Jean Marie Lespinasse date de 2006. Depuis cette date et même avant, une foultitude de maraichers et d’arboriculteurs, amateurs ou professionnels sont venus s’initier aux secrets de la production parfaitement naturelle. Biodiversité, reconception de système, déspécialisation des cultures, interactions naturelles optimisées, one health à la porte de la cuisine, tout y est. Et concrètement ça marche. Pour 32 euros aux éditions du Rouergue on dispose de toutes les clés pour produire des fruits et légumes sans pesticides.
On est donc pris de vertige en constatant qu’en 2023 le projet de la recherche agronomique est de redécouvrir l’eau chaude.
Le problème de souveraineté en France pour les fruits et légumes n’est pas de savoir produire sans pesticides évidement. Il est de produire des fruits et légumes par des maraichers et des arboriculteurs capables de gagner leur vie avec des salariés motivés, en respectant les contraintes du droit du travail, du droit de l’environnement, des contraintes et de la compétition au sein du marché unique européen, des importations de partout dans le monde et des attentes du consommateur loin de ses champs et de son verger. Tout cela bien entendu en étant à l’optimum de ce que longtemps on a appelé la production intégrée et qui relève aujourd’hui du terme agroécologie. C’est-à-dire avec le moins d’intrants chimique possibles par kilo produit pour nourrir les plantes et les arbres tout en les protégeant contre les maladies et les ravageurs.
Voilà le combat qu’il faut mener et à ce jour il ne peut pas être gagné sans le recours aux engrais et aux produits phytosanitaires, d’origine naturelle ou chimique. C’est se mentir que de ne pas vouloir le voir.
Avec ce cap clair, la souveraineté de la France pour ses fruits et ses légumes ne peut que s’améliorer. Que tous les acteurs qu’ils soient politiques, administratifs, chercheurs, expérimentateurs, maraichers et arboriculteurs convergent vers cet objectif en acceptant tous les paramètres du problème et c’est gagné. Mais il faut débrancher d’urgence les dangereux joueurs de flûte hauts placés qui ne réussiront qu’à ruiner les campagnes, les consommateurs et le pays tout entier.
Henri Proglio rappelle dans son audition qu’il aurait suffit d’un type de bon sens comme un artisan boucher pour comprendre le problème de l’électricité et prendre la bonne décision. Au lieu de cela, on a laissé une spéculation intellectuelle débridée s’emparer du sujet. Je pense qu’il en va de même pour le cap de souveraineté que nous devons suivre. Quelques remplacements s’imposent.
Ma modeste contribution n’y suffira pas j’en suis conscient. En revanche quelque chose comme un soulèvement dans les terres des hommes et des femmes de bonne volonté pourrait y parvenir. Les chances de réussite du plan de souveraineté pour les fruits et légumes en France seraient alors maximisées. Qu’en pensez-vous ?
Le deuxième verrou à caractère de dogme qu’il est nécessaire de faire sauter concerne l’eau. Ce sera pour le prochain article….
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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