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Je suis du côté des opprimés

Il y aura bientôt quatre ans. C’était le jeudi 9 mai 2019. La commission d’enquête de l’Assemblée Nationale « sur la situation et les pratiques de la grande distribution et de leurs groupements dans leurs relations commerciales avec les fournisseurs » audite ce jour-là l’Interprofession des Fruits et Légumes frais. En tant que secrétaire général de l’association et représentant du collège amont, j’accompagne le Président issu du collège aval et le directeur.

Je viens de relire le verbatim des échanges qui ont eu lieu et qui sont toujours accessibles en ligne sur le site de l’Assemblée. Lors du propos liminaire que je suis invité à formuler, j’évoque très prudemment, parole interprofessionnelle oblige, une conséquence inverse de l’effet attendu du relèvement de 10 % du seuil de revente à perte dans la distribution. Certains prix psychologiques promotionnels ayant été maintenus à l’identique en magasin après la mise en application du coefficient multiplicateur de 1.1, quand il était de 1 auparavant, je révèle que les fournisseurs ont du consentir des baisses de prix de 10% à la demande pressante de leurs acheteurs.

L’ambiance lors de l’audition est assez inquisitoriale. Grégory Besson-Moreau, le rapporteur, veut que je sois plus précis et que je dénonce les enseignes qui se livrent à ces demandes de rabais. Il me rappelle au passage, qu’ayant prêté serment, il peut m’en coûter 75.000 euros d’amende et 5 ans d’emprisonnement si je n'obtempère pas. Manifestement, la compréhension du mécanisme à l’œuvre l’intéresse peu. Il veut une désignation des coupables. Ce n’est pas mon sujet.

Que j’aie pu évoquer l’impact négatif sur les prix à l’expédition du relèvement en magasin du seuil de revente à perte, sans que j’y sois invité par une question spécifique, m’a évidement été reproché du côté des distributeurs. Et du côté de mes collègues producteurs, je n’avais manifestement pas été assez ferme et dénonciateur au regard des pertes subies.

Reprenons l’histoire de ce gros caillou dans la chaussure des producteurs de fruits et de légumes qui continue de faire perdre encore beaucoup d’argent aujourd’hui. Et qui fait aussi grincer salement des dents dans le Landerneau politique et syndical.

La loi Egalim 1 promulguée le 1er novembre 2018 comprend parmi bien d’autres dispositions l’augmentation de 10% du coefficient multiplicateur à respecter pour le seuil de revente à perte. Antérieurement de 1, il est depuis cette date de 1.1. Avant quand le commerçant achetait un kilo de pomme 1 euros rendu dans son magasin, il pouvait l’afficher en promotion à la vente au minimum sur l’ardoise à 1,06 (5.5 % de TVA arrondis à 6 centimes). Après le relèvement du seuil de revente à perte, il doit vendre au minimum à 1.16 euros.

La motivation du gouvernement à l’origine de ce relèvement était qu’en obligeant le distributeur à prendre un peu de marge sur tous les produits du rayon alimentaire, y compris les plus bataillés et les plus indispensables dans la boutique comme le Nutella ou le Coca Cola, le distributeur pourrait moins marger sur les produits agricoles, les rendre ainsi plus attractifs et même les payer un peu plus chers.

La théorie mystérieuse et jamais démontrée de l’effet mécanique supposé d’un ruissellement de la marge du distributeur vers une amélioration du prix payé au producteur est ainsi apparue lors des débats qui ont eu lieu dans le cadre de l’élaboration de cette loi. Depuis, faute évidente de preuves et pour éviter toute critique, on en a fait un dogme, une nouvelle vache sacrée de la politique agricole. Mais pour servir quels intérêts finalement ?

Une tribune collective d’économistes publiée dans Le Monde le 8 février 2018 disait déjà que « relever le seuil de revente à perte est une fausse bonne idée ». Ces chercheurs indiquent que « faute de corriger le rapport de force au sein de la chaine de distribution, la réforme du SRP profitera principalement aux industriels et aux distributeurs ». Ils poursuivent en ces termes : « relever le SRP de 10%, c’est imposer aux distributeurs de fixer le prix de détail de chaque produit au moins 10% au-dessus de son prix d’achat effectif au fournisseur. Cette mesure les place face au choix suivant : soit ils augmentent le prix de détail, quitte à mécontenter le consommateur et à voir la demande pour le produit concerné diminuer, soit ils cherchent à faire baisser le prix d’achat pour limiter l’augmentation des prix de détail. La seconde option renforce la pression exercée sur les fournisseurs les moins puissants de la filière, c’est-à-dire les agriculteurs, que cette mesure n’empêchera en rien de vendre leur production à perte ».

C’est malheureusement l’effet immédiat qui a été vécu lors de la mise en application de ce nouveau seuil. Une pomme vendue en magasin à 0.99 euro le kilo était payée au producteur à 0.94 euro. Après le relèvement du seuil de revente à perte le kilo de pommes a continué de se vendre à 0.99 euro, mais le producteur à du consentir à ne le facturer que 0.86 euro le kilo. Le premier ruissellement constaté a donc surtout commencé par se faire de l’amont vers l’aval. 

Les exemples de demandes de rabais sur les prix pratiqués antérieurement se sont multipliés. Des tomates en passant par les fraises ou les pêches, la plupart des metteurs en marché de fruits ou de légumes se sont plaints d’avoir dû consentir à vendre moins cher au prétexte que la promotion au prix psychologique habituel le nécessitait. Ceci afin de respecter la nouvelle loi. C’est ainsi que j’ai pu être questionné ici ou là par des producteurs incrédules qui me demandaient ce qu’était cette loi Egalim qui faisait baisser leurs prix de 10%. Ce n’est pas vraiment l’effet dans les campagnes qui était recherché à l’origine.

Compte tenu du montant des pertes annoncé et de la colère qui grondait dans les organisations de producteurs, l’idée est vite venue qu’il était urgent de mettre un terme à l’expérimentation.

Il fallait être sourds pour ne pas entendre les plaintes exprimées par les producteurs auprès de leurs organisations et de leurs élus. La surdité a été quasi-totale dans plusieurs enceintes. Enfin pas tout à fait et pas partout quand même. Lors de l’élaboration de la loi connue sous le nom d’Egalim 2 et publiée en décembre 2020, le sénat à chercher à relayer la demande de mettre fin à ce SRP majoré pour les seuls fruits et légumes frais. Les vigies du dogme en ont été alertées et les oreilles me font encore mal des réprimandes qui nous ont alors été adressées pour avoir osé confier nos malheurs à tel ou tel sénateur qui, honte à lui, s’en était saisi. La croyance dans l’infaillibilité du dogme devait perdurer coûte que coûte.

La sortie du SRP majoré n’a donc pas pu être obtenue. Mais ce qui a pu être considéré comme une possibilité de s’en libérer a quand même été acté. Par accord interprofessionnel unanime, une exemption devenait possible pour tel ou tel fruit ou légume, en raison d’une saisonnalité et sur le fondement d’une étude économique bien étayée.

Le sujet a donc été débattu au sein de l’interprofession et une étude a été commanditée. L’étude très macro-économique s’est révélée carrément hors sujet. Mais les débats et les études produites à l’amont comme à l’aval ont conduit à ce que 14 familles professionnelles sur les 15 représentées soient d’accord pour demander l’exemption de certains produits. La Famille du Commerce Alimentaire ayant depuis le tout début dit son opposition au SRP majoré n’était nullement gênée pour accompagner la volonté des producteurs. La Fédération du Commerce et de la Distribution en revanche, étude contradictoire en main, s’y opposait. Un accord qui doit être unanime signifie bien que le choix de chaque famille doit être respecté.

La possibilité de l’exemption s’est donc révélée très théorique puisque l’une des deux familles les plus intéressées et bénéficiaires du dispositif peut librement ne pas renoncer à l’avantage qui lui est accordé. Même au prix d’un blocage qui irrite les autres familles largement majoritaires.

C’est dans ce contexte qu’arrive la fin de l’expérimentation en avril 2023. La reconduction de l’expérimentation est actée à ce jour par l’Assemblée Nationale pour trois ans de plus. En même temps que perdure encore la possibilité d’exemption aux conditions encore vigueur, il se profile la perspective de simplifier l'exclusion du SRP +10 en la rendant possible pour tous les fruits et légumes frais d’un coup, sans lourd dossier à constituer mais toujours par accord étendu. Cette évolution est soutenue par l’Interprofession des Fruits et Légumes frais dont l’accord unanime n’a évidemment pu aller au-delà.

Du côté de l’amont, chacun est bien conscient de la probabilité quasi nulle d’obtenir pour cette exemption l’unanimité demain qui n’a pu être obtenue à ce jour. En revanche, la fenêtre de tir des débats dans les deux assemblées est une nouvelle fois une belle opportunité pour porter à la connaissance des élus les dégâts occasionnés par le relèvement du SRP de 10% depuis 2018. Quoi de plus légitime ?

Il est plus surprenant dans ce contexte et au regard de tout ce qui précède qu’il puisse être reproché aux producteurs d’être insistants auprès des élus de la nation pour chercher à mettre un terme le plus tôt possible à une mesure qui les pénalise durement. Ce qui peut conduire à penser malheureusement que les voix qui s’expriment contre les initiatives des producteurs soutiennent paradoxalement et uniquement les distributeurs, bénéficiaires de la marge minimum de 10% qui a été instituée.

Pour ce qui me concerne je me situe clairement du côté des faits, de la logique et des opprimés.

Tribune parue dans Le Monde le 8 février 2018. 

« Relever le seuil de revente à perte est une fausse bonne idée »

Dans une tribune au « Monde », trois chercheurs estiment que faute de corriger le rapport de force au sein de la chaîne de distribution, la réforme du SRP profitera principalement aux industriels et aux distributeurs.

Relever le seuil de revente à perte (SRP) des distributeurs de 10 %, comme le propose le nouveau projet de loi à la suite des Etats généraux de l’alimentation, ne permettra pas d’atteindre l’objectif affiché d’améliorer le revenu des agriculteurs. En revanche, on peut en attendre une hausse des prix de détail qui nuira aux consommateurs et profitera aux distributeurs et industriels les plus puissants. Cette réforme est une fausse bonne idée dont on comprend d’autant mieux l’attrait politique qu’elle a le don d’accorder industriels et distributeurs sur le dos des consommateurs.

Les torts causés par les mauvaises définitions du SRP adoptées par le passé ont été largement analysés et évalués Concrètement, relever le SRP de 10 %, c’est imposer aux distributeurs de fixer le prix de détail de chaque produit au moins 10 % au-dessus de son prix d’achat effectif au fournisseur. Cette mesure les place face au choix suivant : soit, ils augmentent le prix de détail, quitte à mécontenter les consommateurs et à voir la demande pour le produit concerné diminuer, soit ils cherchent à faire baisser leur prix d’achat pour limiter l’augmentation des prix de détail. La seconde option renforce la pression exercée sur les fournisseurs les moins puissants de la filière, c’est-à-dire les agriculteurs, que cette mesure n’empêchera en rien de vendre leur production à perte.

Les torts causés par les mauvaises définitions du SRP adoptées par le passé ont été largement analysés et évalués. En 1996, la loi Galland a fixé le SRP d’un produit au prix unitaire d’achat sur facture, à l’exclusion des rabais fixes accordés par les producteurs aux distributeurs (les « marges arrière »). Pendant une dizaine d’années, cette définition a engendré une mécanique de prix très inflationniste. Ce seuil artificiellement élevé était d’autant plus dangereux qu’il devait être non différencié : chaque distributeur était alors assuré que ses rivaux auraient le même SRP, donc le même prix minimal que lui.

« Prix trois fois net »

Les distributeurs et les principaux fournisseurs ont rapidement compris l’intérêt d’élever ce seuil au plus haut, afin de maintenir les prix à la consommation élevés, et de se partager par les marges arrière les bénéfices de l’opération sans en faire profiter les agriculteurs. Les comparaisons internationales de l’évolution des prix de l’alimentation font clairement apparaître à cette époque un décrochage à la hausse entre la France et ses voisins européens (voir « La loi Galland sur le commerce : Jusqu’où la réformer ? » collection « Opuscule du Cepremap », Editions de la Rue d’Ulm, 2008, lien vers PDF).

Le système pervers de la loi Galland a donc été volontairement cassé pour permettre à la concurrence de s’exercer La commission Canivet a proposé en 2004 dans son rapport « Restaurer la concurrence par les prix. Les produits de grande consommation et les relations entre industrie et commerce » (La Documentation française, lien vers PDF) des pistes de réforme mises en œuvre progressivement. En 2007, la loi Chatel a intégré les marges arrière au SRP, établi au « prix trois fois net ».

La loi de modernisation économique de 2008 redonne aux producteurs la possibilité de proposer des tarifs différenciés selon les clients, ce qui a permis de briser l’effet prix plancher (une analyse détaillée de ces réformes est présentée dans le rapport pour le ministre de l’économie « Evaluation des effets de la loi de modernisation économique et des stratégies d’alliances à l’achat des distributeurs », par Marie-Laure Allain, Claire Chambolle et Stéphane Turolla, 2016, lien vers PDF). Le système pervers de la loi Galland a donc été volontairement cassé pour permettre à la concurrence de s’exercer.

Retour à la concurrence

Actuellement, les prix des produits alimentaires en France varient à un rythme comparable à celui des autres pays européens : d’après Eurostat, les prix des produits alimentaires en France ont augmenté de 2,8 % entre 2015 et fin 2017, contre une augmentation d’environ 3,22 % sur l’ensemble de la zone euro. Il ne s’agit donc pas ici de guerre des prix, mais bien d’un retour à la concurrence après des années de blocage, à la suite d’une mauvaise définition du SRP.

Les promotions de Nutella ou de couches qui ont récemment suscité un afflux très médiatisé de consommateurs ne sont pas non plus le reflet d’une guerre des prix. Un distributeur sans aucun concurrent sur un marché peut tout à fait faire ce type de promotion choc. Vendre des produits à très bas prix permet d’attirer des consommateurs qui, une fois dans le magasin, achètent d’autres produits sur lesquels les marges sont plus élevées.

Pour améliorer la situation des producteurs, il nous semble d’abord crucial de renforcer la régulation des centrales d’achat Imposer une augmentation du SRP ne réglera pas la question du partage des profits entre les acteurs. Le déséquilibre est structurel, et il a continué à s’aggraver ces dernières années entre, en amont, un grand nombre d’agriculteurs peu organisés pour négocier, en aval, quelques groupes de distribution désormais regroupés en centrales d’achat très puissantes, les quatre premières se partageant 92,5 % des parts de marché en 2014, et entre les deux des acteurs industriels plus ou moins concentrés selon les secteurs. L’arrivée de nouveaux concurrents, comme Amazon ou Costco fait couler beaucoup d’encre, mais leur succès reste à ce stade hypothétique.

De même, le développement rapide de nouveaux formats de distribution, notamment le « drive », n’a pas permis aux acteurs en amont de trouver de nouveaux débouchés, car il a été développé par les distributeurs déjà présents sur le territoire : en particulier, ce développement n’a pas augmenté le nombre des centrales d’achat.

On entend beaucoup dire que la « guerre des prix » est responsable des difficultés des agriculteurs, mais un silence assourdissant entoure le rôle des trois supercentrales d’achat constituées en 2014. Pour améliorer la situation des producteurs, il nous semble d’abord crucial de renforcer la régulation des centrales d’achat.

Les signataires de la tribune :Marie-Laure Allain, directrice de recherche CNRS au Centre de recherches en économie et statistiques (CREST/Ecole polytechnique) ; Stéphane Caprice, chargé de recherche à l’Institut national de la recherche agronomique (Inra) et à l’Ecole d’économie de Toulouse ; Claire Chambolle, directrice de recherche à l’unité de recherche Alimentation

Les possibles effets pervers du seuil de revente à perte.

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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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