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Chronique des débuts de la faim en pays de Cocagne (2).

La souveraineté a maintenant ses ministères. Celui de l’économie et des finances se doit d’agir pour l’indépendance industrielle et numérique de la France. Pour l’agriculture, c’est l’autonomie de notre alimentation qui est en jeu.

La souveraineté est revenue dare-dare dans toutes les têtes. La claire conscience de l’avoir largement perdue là où ça fait le plus mal a fait se réveiller l’ambition de la reprendre. Faut dire que depuis mars 2020, épidémie et géopolitique se relaient pour enfoncer le clou de nos fragilités en la matière. Le monde n'est plus ce seul village ou le commerce et la liberté des échanges offrent à chacun et à tout instant le meilleur de la planète. La fin de l’histoire des nationalismes belliqueux et des irrédentismes rageurs n'est plus pour demain. Il vaut mieux en tenir compte.

Après nous être gargarisés de développement durable, on mesure combien seule la dégringolade l’a été. Les frontières européennes ouvertes tout en grand ont permis de compenser à bas coût les renoncements à produire que l’on s’est ingénié à multiplier au carré dans l’hexagone.

A la toute fin de son séjour à l’hôtel de Villeroy, Julien De Normandie a réuni les interprofessions représentatives de la pomme de terre et des fruits et légumes pour engager une stratégie de résistance et de reconquête des marchés en redonnant de la compétitivité à nos productions nationales, en métropole comme dans les départements et territoires d’outremer.

Le franchissement de la barre des 50% de fruits et légumes importés a été le déclic. D’autant plus depuis que les médias s’en font régulièrement l’écho. 20 % de notre consommation de fruits et de légumes venus d’ailleurs en plus dans nos assiettes en 20 ans et le risque avéré d’une accélération rapide de la débâcle peut en effet rendre politiquement suspecte cette ivresse du tobogan de la décroissance dans notre seul pays.

Le maraichage et l’arboriculture, on sait faire en France. Alors comment peut-on expliquer que plus on se gargarise de production locale et de circuits courts et plus on va chercher loin ce que l’on consomme ?

Pour répondre à cette question, il faut alors faire la distinction entre ce qui peut être produit sur nos territoires et ce qui nécessite d’autres latitudes.

Les fruits, et dans une moindre mesure les légumes, qui poussent sous d’autres climats prennent de plus en plus de place dans nos estomacs. Cette évolution de notre consommation explique une partie du déséquilibre. Mais si les bananes, les mangues, les ananas, les agrumes, les fruits exotiques et les avocats séduisent de plus en plus de consommateurs, au-delà de leur goût et du plaisir qu’ils procurent, c’est aussi parce que les prix de revient, les modes de production, la logistique massifiée et le marketing dont ils bénéficient répondent efficacement aux attentes des circuits de distribution et des consommateurs.

Il faut au passage rappeler le déséquilibre ubuesque des échanges entre les pays d’Europe et le reste du monde. Accéder au marché européen pour une multinationale du fruit c’est se voir ouvrir simultanément les 25 marchés intérieurs des pays qui la composent. En revanche, un pays européen doit négocier seul les conditions sanitaires d’entrée avec chaque pays de destination pour le fruit ou le légume qu’il souhaite exporter. Pour les denrées agricoles, tout ce qui n’est pas interdit en UE est autorisé. En revanche pour un grand nombre de pays de destination, tout ce qui n’est pas autorisé est interdit. Il faut donc pour la France obtenir le sésame d’entrée dans le pays convoité sans l’arme d’une quelconque contrepartie à marchander, puisque tout à déjà été donné par L’UE.

La dynamique est donc clairement à l’importation en Europe et nullement à l’exportation. De plus, l’augmentation de nos achats développe au loin une agriculture et un type d’entreprise que l’on met tout en œuvre ici à empêcher.

L’Union Européenne a une grande part de responsabilité dans le déséquilibre des échanges pour les productions agricoles autant qu’industrielles. L’augmentation vertigineuse des coûts de l’énergie va très sensiblement amplifier les distorsions actuelles et donner un coup de fouet supplémentaire aux délocalisations. Si l’on ajoute que la Commission européenne est loin de remettre en cause son Green Deal, sa déclinaison agricole Farm to Fork et la directive opérationnelle SUR, on est sûr que la dépendance au reste du monde va forcément sensiblement s’aggraver.  Plusieurs études très sérieuses l’ont déjà prédit.

L’essentiel du problème relève de l’Union Européenne c’est évident. C’est d’abord à cet échelon qu’il faudrait agir. Mais revenons à ce qui dépend encore très directement de nous seuls.

Marc Fesneau nouvellement installé rue de Varenne a donc pris le relais de l’ambition maraichère et arboricole de son prédécesseur. L’objectif de souveraineté a été réaffirmé le 27 septembre en salle Sully (excellent ministre dont on devrait bien plus s’inspirer) et l’administration comme les professionnels ont été réquisitionnés pour nourrir le plan d’action qui doit être présenté au salon de l’agriculture au début de mars 2023.

Les copies doivent être rendues sous le sapin à Noël pour qu’ensuite les phosphorants lumineux écrivent la stratégie rédemptrice avant les ides de mars.

On sait tous depuis Bossuet que l’ordre des choses ne craint rien de ceux qui se plaignent des effets dont ils chérissent les causes. Dès les premières réunions de travail thématiques il est apparu dans l’encadrement des débats ce travers redouté de l’immobilisme en marche. Les causes directes de notre perte de compétitivité sont sanctuarisées. Les dogmes de l’écologisme en vigueur sont sacralisés. Nous sommes juste priés de faire avec et d’être assez créatifs pour transformer le plomb en or.

La protection contre les maladies, les ravageurs et les mauvaises herbes illustre bien ce cahier des charges impossible. La France aux côtés des autres pays de l’Union Européenne s’est dotée d’un système commun d’autorisation de mise sur le marché des matières actives utilisables en agriculture. Mais la France a aussi pris l’habitude d’interdire sur son sol quelques-unes de ces matières actives qu’elle accepte de voir utiliser ailleurs. Elle s’ingénie par-dessus le marché à imposer une course d’obstacles aux géants de l’agrochimie pour l’homologation de leurs produits.  La France est donc devenue le pays d’Europe où les impasses pour la protection des cultures et légumières se multiplient. Ce parti pris à lui seul détermine l’essentiel de nos reculs de production.

La cause ayant été identifiée, il suffirait de proposer que l’on revienne sur notre zèle et nos interdictions nationales unilatérales et que l’on accepte le jeu collectif européen pour que ce premier obstacle soit levé. Ça ne coûte pas un centime. Il faut juste une loi pour en défaire une autre. Le jeu en vaut la chandelle et choisir de faire corps avec les autres pays de l’UE pour évoluer au rythme des règles communes est la meilleure preuve que l’on est bien européen.

J’ai compris qu’il serait plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille que d’obtenir de notre parlement qu’il réhabilite ce que ses inquisiteurs ont banni du royaume.

L’exemple que je cite est le suivant. Le contrôle du puceron cendré du pommier est à peine assuré à ce jour avec les moyens dont on dispose. La dernière matière active efficace va perdre son homologation européenne en 2024 et donc aussi en France. Les arboriculteurs français seront presque totalement démunis. Pas les arboriculteurs européens qui disposent de trois autres matières actives qui ont vu leur autorisation renouvelée en UE. Ces mêmes matières actives ne peuvent pas être autorisées en France puisqu’une loi a interdit la famille chimique dont elles sont issues où dont elles dérivent.

Ce chainon manquant pour l’itinéraire de production du pommier peut à lui seul faire disparaître à très court terme le verger de pommier en France tel que nous le connaissons. Tous les techniciens arboricoles en témoignent. Malgré cela l’interdit ne sera pas levé. Et dans le cadre des travaux sur notre souveraineté, il nous est demandé de surmonter autrement la difficulté.

Lors du gâteau d’anniversaire des 70 ans du CTIFL à Rungis la semaine dernière, le ministre de l’agriculture nous avait fait parvenir un message vidéo. Il était assez pathétique d’entendre lors de cette célébration des acquis de l’expérimentation que quelques petits millions d’euros dispersés ou redéployés allaient permettre de trouver des solutions là où les firmes mondiales de l’agrochimie dépensent encore des milliards en recherche.

Pour produire des fruits et des légumes, il faut de l’eau pilotable en plus de celle qui tombe du ciel de façon au moins aussi erratique que par le passé. Si l’on veut plus de production, il faut aussi disposer de plus d’eau en réserve. L’équation est mathématique.

Le Varenne de l’eau visait principalement à apprendre aux agriculteurs à se passer d’eau pour produire ou à tout le moins à optimiser celle qui tombe naturellement du ciel ainsi que celle qu’ils prélèvent dans le milieu et dont les volumes autorisés vont se réduire encore. Très timidement, il a pu être évoqué qu’en mettre de côté un peu quand il en tombe en excès pouvait être une piste à étudier.  Malgré cette infinie prudence, bien loin de l’offensive à mener pour pouvoir produire, tout est aujourd’hui à nouveau mis en œuvre pour complexifier et rendre impossible l’irrigation.

Le contrôle des herbes adventices, la maîtrise des maladies et ravageurs et des apports d’eau, sont le cœur des paramètres de compétitivité pour les fruits et légumes en France. L’énergie est venue s’ajouter à la liste des incontournables. Dans tous ces domaines essentiels, redonner des atouts de compétitivité à la France nécessite absolument de lever les contraintes que nous avons dogmatiquement érigées.

L’attachement salutaire des consommateurs à l’origine française des fruits et légumes et l’obligation de l’affichage du pays d’origine protègent encore un peu la production nationale. Compte tenu des contraintes évoquées ainsi que des coûts de main d’œuvre plus élevés, la préférence pour les productions issues de nos territoires fait accepter le différentiel de prix nécessaire à couvrir les coûts pour une part des quantités consommées. Ce qui a nettement pu freiner certaines délocalisations possibles.

Cette différence de valeur entre une pomme française et une pomme polonaise incite forcément à la tricherie. Vendre au prix de la pomme de France après avoir acheté au prix de la pomme de Pologne permet de gagner beaucoup d’argent sur les marchés. En la matière, les contrôles des agents de la DGCCRF (fraudes) peuvent être impitoyables là ou l’accueil est pacifique. En revanche ces contrôles sont devenus inexistants dans de vastes zones où le droit ne s’applique plus. Et ce sont des quantités de plus en plus significatives qui pénètrent dans le pays. Poires, pommes, kiwis et petits fruits sont francisés à l’insu du plein gré des consommateurs.

En fait pour regagner en souveraineté il suffit de le vouloir vraiment. Ce qui n’est factuellement pas le cas du tout. Les injonctions contradictoires permanentes que l’on subit le démontrent chaque jour.

La première ministre Elisabeth Borne a discouru vendredi pour faire de la France une nation verte. Elle avait installé son pupitre dans les locaux de la Recyclerie, le très hipster café cantine de la porte de Clignancourt. Recyclerie qui est aussi une référence de ferme urbaine, créée sur l’emprise d’une voie ferrée désaffectée.  

Le choix du site en dit long sur la conception de la Nation verte que la technocratie peut avoir à Paris. Quitter les hauts murs des hôtels particuliers de la rue de Varenne et les jardins à la française qu’ils abritent pour ne venir que jusqu’au bord du périphérique pour y trouver ce que l’on ose appeler une ferme témoigne d’une ambition écologique plutôt étrange et limitée. La France ne manque pourtant pas de sites magnifiques où la nature enivre, où la chlorophylle inonde, pour faire vibrer l’idée de Nation verte.  

C’est donc autour de la bouche de métro Porte de Clignancourt que les services d’ordre ont du éloigner les camelots, les dealers, les traine-savates, les prostituées, les vendeurs de fruits à la sauvette, tous exotiques et dispensés d’affichage réglementaire, pour mettre en place le cordon de sécurité et accueillir le ban et l’arrière ban de l’areopage costumé et cravaté convié. Il a peut-être aussi fallu passer un peu le nettoyeur haute pression au sol pour décoller la crasse, les diverses drogues et la noirceur. Pour l’air en revanche, dans ce haut lieu de la circulation au diesel et des effluves des meilleures herbes de la planète il a fallu se satisfaire de l’existant.

En fait à la Recyclerie, la ferme on la voit d’en haut, depuis la salle de restaurant à laquelle on peut accéder depuis le rue de Varenne sans avoir besoin de mettre jamais les pieds dans de la boue ou tout simplement sur de la terre. En ville la terre on l’aime tellement que sur des kilomètres carrés on la protège par d’épaisses couches de béton et de goudron. On n’en laisse apparaître que quelques petits lopins à de rares endroits. On l’imperméabilise, on la protège des rayons du soleil et de la pluie. On canalise toute l’eau vers la rivière et la mer sans passer par la nappe phréatique. En ville les habitants n’ont plus les pieds sur terre. Ils vivent dans des paradis ou enfers artificiels, c’est selon. Et ils sont nourris par d’autres terres, au loin, qui n’ont pas été recouvertes de béton et de goudron, à la campagne. Là où il aurait été judicieux d’annoncer l’envie d’une France, Nation verte. Parce que dans la France profonde on a quelques idées pour garder la France verte. Et on y doute de plus en plus de la capacité de ceux qui s’en sont éloignés et s’en protègent d’avoir le bon programme pour cela.

La première ministre a donc la volonté de décliner en France le Green Deal de la commission européenne, Farm to Fork, la directive SUR, en amplifiant les politiques déjà mises en œuvre sur notre seul territoire. Nous en avons pourtant expérimenté les mauvais résultats et les conséquences néfastes ce certaines dispositions du plan.

Faut-il alors dans ce sombre contexte continuer de s’assoir sagement en réunion et laisser croire que le dépassement génial des contraintes est possible, que l’on peut malgré tout reprendre de la souveraineté pour nos fruits et légumes en bidouillant des mesurettes, sans toucher aux causes directes ou profondes de notre dérive ?

Quitter la table et demander pour y revenir que des objectifs clairs, datés et chiffrés soient annoncés pour chaque culture serait plus utile. S’obliger à définir librement et sans tabou les conditions techniques et réglementaires objectives pour parvenir est aussi incontournable. Libre au gouvernement ensuite de faire ce qui lui semble bon à partir de ces propositions.

En attendant nous dévalons toujours la pente…..

Chronique des débuts de la faim en pays de Cocagne (2).
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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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D
Combien de temps faut-il pour écrire un si merveilleux article? il faut en avoir dans la tête bravo Daniel continue...
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