Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Que retenir de la 60ème édition du Salon International de l’Agriculture ? (2)

Au même moment où s’ouvraient difficilement les portes du 60ème Salon International de l’Agriculture au palais des expositions de la porte de Versailles, les tout premiers pucerons cendrés commençaient à être détectés ici ou là dans les vergers de pommiers de Charente et d’ailleurs.

Dysaphis plantaginea pour les intimes, est le ravageur le plus redouté du pommier. C’est un insecte phytophage qui pique et qui suce la sève en se logeant à la face inférieure des jeunes feuilles. Très rapidement ces feuilles fragiles et appétentes s’enroulent et se recroquevillent. Les jeunes fruits se déforment et restent petits et bosselés. Ces saloperies visqueuses et poisseuses de pucerons qui se reproduisent à une vitesse fulgurante et exponentielle dès avant la floraison sécrètent aussi du miellat. Une substance sucrée sur laquelle se développent rapidement des champignons qui noircissent les rameaux et les pommes. C’est vraiment très, très dégueulasse. Pouah…

Alors, dès qu’apparaissent les pointes vertes des bourgeons, tout doit être mis en œuvre pour enrayer le développement de ces maudites bestioles. La biodiversité préservée dans le verger et alentour n’est pas d’une grande aide pour contrôler les premiers pucerons cendrés. Les prédateurs arrivent trop tard, bien après que les dégâts irréversibles ont eu lieu. On a besoin d’eux quand même bien sûr, mais plus tard, pour finir le travail.

Alors il faut sortir très tôt le pulvérisateur, malgré les sols détrempés ce mois de mars, en commençant par l’application soignée d’une huile minérale pour asphyxier les œufs et les larves. Pour les vergers qui ne sont pas conduits en agriculture biologique on ajoute pour plus d’efficacité une dose de pyréthrinoïdes de synthèse.

Avant la floraison et jusqu’au stade bouton rose, en saisissant l’opportunité d’une journée chaude, on leur donne ensuite à goûter de l’azadirachtine, substance active extraite de l’huile tirée des graines du margousier. Enfin, donner n’est pas le bon verbe, tant cette substance naturelle atteint des prix stratosphériques ces temps ci. Espérons que les récolteurs des graines de ces beaux arbres d’Inde, du Pakistan ou du Bengladesh bénéficient un peu pour rémunération de leur travail de cette manne que leur offre ce marché en plein développement.

L’UE autorise l’utilisation de l’azadirachtine, y compris pour l’agriculture biologique. En revanche ce n’est toujours pas le cas en France où il faut chaque année demander une dérogation spécifique pour 120 jours. Avec toujours le stress de se voir opposer un refus par les autorités sanitaires. Le plus souvent une application ne suffit pas et dès la fin de la chute des pétales il faut se ruiner pour faire un deuxième passage.

La lutte n’est pas pour autant terminée. Il faut peu de pucerons cendrés survivants après la floraison pour que l’infestation et les dégâts repartent de plus belle. Et à ce stade, il ne nous reste plus que la spécialité commerciale Movento, dont la matière active est la spirotetramate, pour espérer contrôler les populations avant que les prédateurs naturels ne prennent le relais et que les derniers pucerons migrent sur le plantain.

Je viens de décrire ici l’architecture simplifiée de la lutte contre le puceron cendré du pommier. Il est possible de faire plus. A l’automne, après la récolte on peut tenter de réduire avec un produit de biocontrôle le potentiel d’infestation. Deux autres matières actives sont susceptibles d’être utilisées au printemps, la flonicamide et le pyrimicarbe (en association). Mais c’est de moins en moins le cas tant leur efficacité est compromise après que des résistances se soient généralisées. Des répétitions pour les applications que j’ai citées plus haut peuvent aussi être faites. il peut y avoir recours à l'action de barrière physique du Nori Pro. En fait, chaque arboriculteur combine comme il le peut ces moyens de protection qui lui sont encore permis en se méfiant des risques de phytotoxicité liés à certaines combinaisons de bio contrôle. 

Mais il est quand même loin le temps où avant la fleur du pommier un seul traitement permettait de s’affranchir des pucerons comme des chenilles. Jeune arboriculteur, je ne connaissais les maladies et ravageurs que par les livres, tant ils m’étaient inconnus dans le verger. Sauf quand même l’araignée rouge (panonychus ulmi) et la tavelure (venturia inaequalis). L’araignée rouge parce qu’elle proliférait à la suite de la destruction systématique de ses prédateurs par les produits peu sélectifs qui étaient utilisés. La tavelure parce que la table de Mills qui traduit mathématiquement dans une abaque les conditions de températures et d’humectation du végétal pour qu’une contamination ait lieu était déjà implacable. Alors quand la pluie durait trop longtemps, c’est le champignon qui gagnait contre moi l’arboriculteur.

Ce printemps il est fort probable que des échecs seront à déplorer dans de nombreux vergers comme cela devient de plus en plus le cas chaque année. Certains arboriculteurs ont même déjà renoncé à poursuivre le métier tant ils ont souffert de voir leur récolte trop endommagée par le puceron cendré ou par d’autres maladies et ravageurs.

 Alors que la situation est déjà très critique, la fin annoncée de l’autorisation en Europe du spirotétramate en juin 2025 équivaut objectivement à un dépôt de bilan programmé pour le verger de pommier en France. Parce que c’est le dernier produit qui permet encore de limiter les dégâts en dessous de l’acceptabilité économique.

Il se trouvera toujours des exceptions, des arboriculteurs surdoués ou avec des variétés plus tolérantes qui réussiront encore à surmonter l’absence du Movento. Mais l’essentiel du verger de pommier en France n’aura plus la capacité d’assurer une récolte de belle qualité économiquement viable. Difficile en plus d’accepter que ce soit un produit qui n’est utilisable que par dérogation qui devienne l’essentiel de l’arsenal nécessaire au contrôle du puceron cendré.

Des voix s’élèveront parmi les chercheurs de l’INRAe ou sur les bancs de certaines formations politiques, dans les ministères aussi peut-être, pour expliquer que la production de pommes demeure possible en France malgré cette réduction drastique des moyens de protection du verger. Que le biocontrôle permet tout. Mais cela n’empêchera pas que dans le monde réel des exploitations arboricoles percluses de multiples contraintes et malgré l’énergie et le savoir-faire des arboriculteurs les comptes de résultat n’y survivent pas. Le puceron cendré, insecte piqueur suceur phytophage les auront tuées.

Alors la colère monte dans les vergers. Parce que cette impasse pour la protection du verger contre ce ravageur est spécifiquement française. Partout ailleurs en Europe il est possible d’utiliser deux autres matières actives efficace sur ce puceron et parfaitement autorisées par l’EFSA, l’agence sanitaire de l’Union. Il s’agit de l’acétamipride dont l’autorisation a été renouvelée jusqu’en 2031 et de la flupyradirfurone dont l’autorisation court jusqu’en décembre 2025 mais qui sera très probablement réapprouvée à cette échéance.

En France, la loi d’interdiction des néonicotinoïdes votée en 2016 interdit de fait l’utilisation en France de l’acétamipride et un amendement de 2018 élargit cette interdiction aux substances actives apparentées aux néonicotinoïdes. Mais c’est par un décret de décembre 2020 que la flupyradifurone a été déclarée proche par son mode d’action des néonicotinoïdes. Ce qui est pourtant contesté scientifiquement.

Mais pour l’arboriculteur français qui vit dans un espace de libre marché en Europe, il est impossible d’accepter que son voisin Belge, Allemand ou Italien puisse continuer de se protéger contre le puceron cendré alors que lui ne le peut plus. Parce qu’il n’a pas accès aux mêmes substances actives qu’eux. Comment peut-il admettre que son verger doive disparaitre et que les pommes viennent ensuite sur les étals en provenance de l’autre côté de la frontière dans la même Europe ?

Voilà ce que nous n’avons cessé de rabâcher tout au long du salon à tous nos interlocuteurs. Et pourtant, malgré le fait que ces substances actives soient autorisées par l’UE, il y a assez de controverses d’un peu partout pour que le politique renonce à être assez européen pour permettre l’accès à ces matières actives aux arboriculteurs français.

De la même façon que l’on a pu accepter que la production de cerises soit devenue quasi impossible en France en raison des dégâts provoqués par la mouche Drosophila susuki, il est malheureusement possible que le verger de pommiers connaisse le même destin.

Les arboriculteurs ne peuvent évidemment pas renoncer à mener le combat jusqu’au bout. Ce qui signifie qu’un recours devant les tribunaux est nécessairement à l’étude pour qu’il ne puisse être dit que tout n’a pas été tenté pour sauver la possibilité de produire des pommes en France.

Ce deuxième verrou ô combien plus coûteux politiquement que le précédent sur les emballages sera encore plus difficile à faire sauter. Malgré les multiples déclarations de soutien qui ont été faites toutes ces dernières semaines….

A suivre Egalim et les prix plancher….Et puis Ecophyto, origine France, les sujets ne manquent pas.

Que retenir de la 60ème édition du Salon International de l’Agriculture ? (2)
Retour à l'accueil
Partager cet article
Repost0
Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
Voir le profil de Daniel Sauvaitre sur le portail Overblog

Commenter cet article
B
Je partage ce point de vue. Le puceron cendré est également présent sur les arbres isolés des jardins particuliers où il constitue avec le carpocapse un duo des fléaux majeurs. Traitement avec les médiocres insecticides encore accessibles au public ou pas, rien n'y fait. Bon courage à nos pomiculteurs.
Répondre