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Que retenir de la 60ème édition du Salon International de l’Agriculture ? (1)

Comme chacun sait, c’est à la fin de la foire qu’on compte les bouses. Qu’en plus des innombrables abus on décompte les buses aussi. Mais oui, une fois le bruit et la fureur retombés, du brouhaha passé émergent plus nettement quelques idées -forces à retenir. 

Tout a mal commencé par un gros chahut et un joli bordel. Sept compagnies de CRS pour garder les bonnets jaunes de la CR et les autres vaches à lait dans le hall 1 en disait long de la tension qui régnait entre le monde paysan et le Président. Faut dire qu’agiter l’avant-veille depuis l’Elysée le chiffon rouge de la présence des Soulèvements de La Terre à un grand débat sur l’agriculture n’était pas très malin ou alors carrément cynique. On hésite encore sur l’explication à retenir.

L’improbable bévue a quand même fait pousser très fort toute la matinée dans la mêlée ouverte entre CRS et CR (d’autres y ont participé mais pour la rime et l’énergie déployée, je me limite à ce sigle). Le débat prévu dans l’arène aux bestiaux n’a donc pas eu lieu. A la place ce sont des discussions un étage au dessus le plancher des vaches par petits groupes syndicaux avec le Président qui ont rythmé la matinée.

Lors d’un échange direct avec des agriculteurs et du debriefing qui a suivi face aux caméras, le Président a surpris son monde en annonçant qu’il fallait instituer des prix plancher.  L’idée avait pourtant été émise quelques jours plus tôt par Manuel Bompard et Aurélie Trouvé de La France Insoumise et retoquée aussitôt par le ministre de l’Agriculture, Marc Fesneau. D’où les yeux dans le vague et la tête dubitative arborée par ledit ministre sur la photo lors de cette annonce surprise.

Dans la foulée, à un arboriculteur qui se plaint des prix qu’il obtient sur Rungis pour ses noix, le Président enchaine et rappelle que certaines filières n’ont pas voulu être dans Egalim et que ça explique peut-être en partie la chose.

Voilà comment en moins d’une minute la parole présidentielle remet une grosse pièce dans le bastringue des idées farfelues et impossibles à mettre en œuvre. Et ce n’est qu’un exemple.

Mais après tout, émettre des idées folles permet aussi d’exciter les débats et de libérer la parole. Et de la créativité positive sur ces thèmes, il y en a eu pendant ce salon. Des avancées sont ainsi apparues possibles pour l’économie des fruits et légumes, de la production jusqu’à la consommation. Encore faut-il que nous réussissions à les faire fructifier…

Il y a un an, sur ce même salon, a été annoncé par le ministre un plan de souveraineté pour les fruits et légumes. La barre des 50% d’importation en passe d’être franchie, sous l’impulsion des interprofessions de la filière des fruits et légumes frais et transformés de métropole et d’outre-mer, le gouvernement s’est résolu à agir. Un an plus tard, sur le stand d’Interfel, l’interprofession qui a été l’instigatrice principale de ce plan, un premier point d’étape a pu être fait. Après un démarrage plus long que prévu, les premiers guichets d’aide sont ouverts et la consommation des crédits va bon train. Une deuxième salve budgétaire est en cours de configuration. Elle a vocation à compléter et corriger les manques apparus sur les premiers guichets. Parallèlement, des moyens supplémentaires pour la recherche sont en passe d’être attribués. Principalement pour faire face à la diminution des possibilités de désherbage chimique et de protection phytosanitaire. Du côté des professionnels, chacun a à cœur de faire de ce plan pluriannuel un levier efficace pour regagner de la production et de la part de marché dans notre pays. L’objectif est de 5 points de plus dès 2030 et de 10% à l’horizon 2035.

Evidemment, comme chacun sait, le diable se range dans les détails. Mais il serait trop long, trop technique et fastidieux d’en faire l’analyse ici. Qu’en la matière, l’espérance de combat prime encore et longtemps.

Restons en aux verrous et aux handicaps spécifiques à la France que l’on nous dit vouloir supprimer, mais sans jamais passer des intentions aux actes.

Promis, on ne le fera plus entonnent en chœur Président, ministres et élus. Prendre par avance des décisions contraignantes pour les producteurs français bien avant que l’Europe éventuellement ne le décide aussi, c’est terminé. Cette antienne mille fois répétée ces derniers jours nous a vivement encouragés à demander une légère rétroactivité de cette acceptation bienvenue de l'édiction des normes à l’échelle de l’espace européen. Sauf que ce que l’on croit avoir compris a du mal nous être expliqué…

Jusqu’à en être assommant et pénibles nous sommes nombreux à avoir sommé les membres du gouvernement et les élus de tous bords de passer des paroles aux actes en retirant illico fizza le décret 2023-478 du 20 juin 2023 qui interdit depuis le 1er janvier la présentation à la vente des fruits et légumes frais dans des emballages composés pour tout ou partie de plastique. Bien que l’UE ait demandé à la France en décembre de retirer ce troisième décret d’application d’une des dispositions de la loi AGEC (Anti Gaspillage et Economie Circulaire) du 10 février 2020, il est toujours bien en vigueur. Alors que dans le même temps un projet de règlement européen relatif aux emballages a obtenu l’accord du Parlement et du Conseil le 5 mars pour une interdiction des emballages plastiques à usage unique pour les fruits et légumes au 1er janvier 2030.

L’occasion est quand même belle pour nos gouvernants de prouver que ce ne sont pas des paroles en l’air que nous avons entendues tous ces derniers jours. Et ceci en retirant immédiatement le décret « pré-transposeur », avant que les entreprises ne soient contraintes d’investir dans de nouvelles chaines d’emballages pour substituer le carton au plastique. Et de se retrouver gros-jean comme devant lorsqu’inévitablement ce troisième décret finira par tomber par décision du juge en Conseil d’Etat. Enfin, c’est ce qui semblait inévitable avant qu’il apparaisse que l’UE pourrait bien accepter que les Etats membres puissent prendre de l’avance sur l’échéance de 2030, quand la règle s’imposera à toute l’Union.

Il n’en demeure pas moins qu’en maintenant ce décret le gouvernement impose des contraintes supplémentaires spécifiques à la France qui vont ajouter un handicap de compétitivité à nos entreprises. Puisque leurs lignes de production ne servent pas que le marché français, mais aussi bien d’autres, toujours demandeurs des emballages actuels. Le doublage des équipements à un coût qui in fine pèsera sur le maraicher ou l’arboriculteur. Désolant.

Peut-on au moins se satisfaire de ce que nos efforts servent la belle cause de la diminution du plastique dans les océans ? A l’évidence non. Les fruits et légumes frais sont déjà présentés à plus de 60% à l’étalage sans être emballés. La totalité du plastique utilisé sur ce rayon est évalué à 1.5% de l’ensemble présent au rayon alimentaire. Autant dire que retirer le plastique des emballages inférieurs à 1.5 kilo de fruits ou de légumes n’aura pas d’impact significatif.

En revanche, la préservation, la praticité ou l’attractivité se trouvent modifiées et des baisses de vente sont déjà constatées auprès des consommateurs urbains attachés à ce type de petits lots emballés. Le carton est plus volumineux, plus cher, plus pondéreux à transporter et diminue la visibilité de ce qu’il contient. En fait, rendre moins attrayants les fruits et les légumes auprès de certains consommateurs les conduits plutôt à s’orienter vers les produits transformés qui eux sont très bien emballés dans du plastique.

Erik Orsenna et Julien  Denormandie viennent de publier un excellent essai à deux plumes : « Nourrir sans dévaster ». Dans le chapitre qu’ils consacrent à la modification de notre lien à la nourriture ils s’interrogent en constatant la perte continue de l’envie de mastiquer : « notre espèce ne va-t-elle pas perdre ses dents ? ».  A un chirurgien-dentiste charentais praticien à Paris à qui j’évoquais lundi cette perspective assis à la bonne table de l’Atelier du Marché dans le 17ème, je me suis entendu répondre que le phénomène était déjà bien en cours. Qu’en effet, nos mâchoires évoluent et que nos dents de sagesse disparaissent peu à peu, devenues inutiles.

Je me désole que la tendance concerne aussi la pomme qui au fil du temps se croque moins. En revanche elle se consomme de plus en plus en compote ou sous d'autres formes. Et si le petit film plastique qui recouvrait une petite barquette de quatre pommes a dû disparaître, coupelles et gourdes en plastique en revanche gagnent en volume. C’est ainsi que les consommateurs du boulevard Saint Germain, tout autour de l’hôtel de Roquelaure, comme des autres univers urbains artificiels, moins tentés de primitivement croquer dans le fruit défendu le savourent sucré en pressant leur petite gourde. Admirables produits de l’injection plastique, bouchons et gourdes sont alors méticuleusement déposé dans le bac à ordures recyclables, mais quelquefois aussi sur les trottoirs.

Par cette décision d'interdire un peu de plastique pour les seuls fruits et légumes frais, le geste symbolique bien perçu du législateur, du ministre, du gouvernement et du Président l’emporte sur la mise en perspective objective assez désolante qu’il est pourtant nécessaire de faire.

La suppression de ce décret est pourtant la décision la plus facile à prendre pour commencer à mettre en cohérence le discours avec un acte. Après la lueur d’espoir apparue lors du salon, l’obstination coupable semble malheureusement reprendre le dessus.

On va voir qu’un deuxième décret anti-européen et encore plus lourd de conséquences pour les producteurs fait aussi l’objet d’une puissante résistance dogmatique du pouvoir. En parfait décalage avec l’engagement de ces derniers jours de ne pas pénaliser la France en Europe par des contraintes séparatistes spécifiques.

Et puis il y a Egalim et les prix plancher....

A suivre…..

Que retenir de la 60ème édition du Salon International de l’Agriculture ? (1)
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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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