25 Janvier 2023
Mot d’accueil à l’église pour les obsèques de Jean Pierre Montigaud.
C’est le privilège du maire que d’être informé de toutes les mauvaises nouvelles sur sa commune. J’ai donc eu le 29 décembre la primeur et la stupeur de voir s’afficher sur mon écran, au milieu du flot habituel, le courrier adressé à la commune de Reignac par le service de l’état civil de l’ambassade de France à Cuba. Courrier qui nous annonçait le décès survenu là-bas le 27 décembre, sur son île de prédilection, de Jean Pierre Montigaud.
Chère famille, chers amis, chers proches de Jean-Pierre, à la demande de Samuel, son fils, j’ai la douloureuse et délicate mission de prononcer le mot d’accueil pour la célébration des obsèques de ce natif de Reignac et de cette forte personnalité qu’était Jean-Pierre.
Jean Pierre est né à La Chataigneraie sur la commune de Reignac le 21 avril 1950 au domicile de ses parents viticulteurs, Pierre et Lucia. Il est aujourd’hui de retour un peu plus de 72 ans plus tard dans la commune qui l’a vu naître.
Lorsque nous avons engagé il y a trois ans la formalisation juridique du lien familial avec les sépultures du cimetière, Jean Pierre a été l’un des premiers à venir renouveler les concessions pour le compte de sa famille. Son choix était déjà fait.
Nous nous étions revus en septembre 2021 lors d’un vernissage à la médiathèque de Barbezieux où certains d'entre vous assistaient également. Quelques jours plus tard, c’est au stade de rugby que Jean Pierre était venu évoquer avec quelques anciens joueurs ses matchs passés et d’autres riches heures du club.
Et puis le 10 septembre de l’an dernier, Jean-Pierre avait répondu à mon invitation à participer aux journées du patrimoine de Reignac dédiées à cette église et à l’inauguration des lourds travaux de restauration que nous avons engagés il y a une dizaine d’années.
Jean-Pierre avait passé toute la journée avec nous, ô combien plus attentif que la moyenne aux communications de nos conférenciers historiens de l’art. Il m’avait d’ailleurs fait remarquer quelques jours plus tôt que c’était une faute que d’avoir bouché le trou de biscaïen dans le bras de transept nord, que cette blessure était une marque de l’histoire qu’il fallait respecter. Il avait alors pu débattre entre experts de ce parti-pris de restauration.
Jean-Pierre est peut-être finalement le lointain fondateur de notre association Reignac Patrimoine. Je le revois m’apportant à la maison un dimanche soir, il y a de cela plus d’un demi-siècle, un agrandisseur photo qu’il vendait d’occasion. Il m’avait ensuite confié les négatifs de clichés en noir et blanc pris sur les lieux d’histoire de la commune. Il en voulait des tirages pour un mémoire qu’il rédigeait dans le cadre de ses études à l'université.
J'ai été bien plus proche de Philippe, son jeune frère décédé en juillet 2011 et de Michel que je revois aujourd’hui. Mais j’ai le souvenir bien présent de ces longues heures passées à refaire le monde avec Jean Pierre chez Luceau à Sauvignac et ensuite chez Grivaud à Juignac où il avait acheté une maison. Maison qu’il avait rénovée, de l’autre côté de la petite vallée où vivaient aussi Philippe et Christine sa compagne. Il en était parti début novembre dernier pour un nouveau séjour à Cuba.
Sauvignac, Juignac étaient en ce temps-là de nos jeunes années ma destination des fins de semaine. Les bals, les frairies et les concours de belote de village s’ajoutaient à nos agapes dans de modestes auberges.
Je me souviens évidemment aussi de ce 30 juillet 1977 où, à l’arrivée chez Grivaud, mon increvable Simca 1100 avait été réquisitionnée pour aller à Creys-Malville dans l’Isère gonfler les rangs des manifestants qui étaient vent debout contre la centrale nucléaire Superphénix. Jean Pierre marchait en tête de notre petite délégation, le verbe haut, la musette en bandoulière, un béret sur la tête. Jusqu’aux premières grenades offensives qui nous ont fait rebrousser chemin.
Les débats étaient vifs et les fous rires nombreux. Que de bons moments décalés et stimulants j’ai passés avec notre petit groupe.
Jean Pierre, le grand Montigaud comme je l’entendais surnommé parfois, avait cette stature, cette élégance naturelle et cette aura des hommes qui se hissent par exigence envers eux-mêmes au-dessus des vies ordinaires. Il y avait de l’ascétisme dans son choix d’une vie avec de faibles moyens. Une vie qui nécessite beaucoup de courage physique et moral.
Jean Pierre m’avait aussi longuement parlé ce cette grande exposition de ses peintures à Soulac en aout 2021 dont il était très heureux. L’artiste qu’il était s’était senti une nouvelle fois reconnu.
Je me souviens avoir assisté à ses tout débuts dans la peinture et à la première exposition qu’il avait proposée dans ce qui allait devenir son atelier Chez Grivaud. Des années plus tard, en septembre 2021, le correspondant de La Dépêche parlant de la peinture de Jean Pierre accrochée à Soulac a pu écrire ceci :
« Aquarelles poétiques et tachistes, empreintes, signes dans l’espace, corps flottants colorés, sortes d’astéroïdes « Montigaudesques » se mouvant sans fond, voyage en suspension sans fin comme essence même de l’artiste. Une exposition à découvrir qui mérite le détour. »
Astéroïdes « Montigaudesques ». Jean Pierre vient de quitter ce monde mais il semble qu’il ait perçu avant nous et plus que d’autres, lui le voyageur, lui l’artiste, quelques mystérieuses luminosités divines qui nous sont inconnues.
C’est un artiste, un reignacais de naissance étonnant, attachant, talentueux, surprenant qui nous revient aujourd’hui en cette terre.
J’adresse en mon nom et au nom de cette commune ma plus vive sympathie, toutes mon amitié et mes sincères condoléances à Françoise, Michel, Samuel, aux amis et aux proches.
Cher Jean Pierre, sois le bienvenu, tu es ici chez toi.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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