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Qu'en est-il aujourd'hui du pommier polonais?

L’assemblée générale de WAPA (World Apple and Pear Association) s’est tenue le matin du vendredi 10 février, troisième et dernier jour du salon international Fruit Logistica, au City Cube du parc des expositions de Berlin. Les échanges entre quelques-uns des représentants des 22 pays adhérents ont pu se faire dans ce nouveau format mixte qui combine visio-conférence et présence physique. Après deux rendez-vous annuels où, par force, les discussions ont eu lieu exclusivement dans une salle virtuelle offerte par Zoom, se retrouver pour certains des membres en chair et en os a redonné un peu de la saveur d’avant Covid à l’évènement.

Prévisions de récolte de l’hémisphère sud en plus de la situation des stocks et des marchés dans l’hémisphère nord cristallisent toutes les attentions à ce moment particulier de l’année. D’autant plus lorsque le monde des pommes et des poires se trouve comme tant d’autres plus chamboulé que jamais ces temps-ci.

L’onde de choc de la déflagration du 24 février qui a vu l’invasion de l’Ukraine par la Russie et la guerre meurtrière qui perdure n’a pas fini de produire ses effets dramatiques et délétères. Et en tout premier lieu bien sûr pour les Ukrainiens, arboriculteurs y compris.

La loterie des aléas climatiques a fait plus de perdants que de gagnants au nord en 2022. Gels de printemps en Chine ou en Espagne, sécheresses et canicules en France et dans l’Etat de Washington aux USA, rares sont les régions productrices à ne pas avoir souffert des caprices du temps. Les maladies cryptogamiques ont aussi naturellement été très actives comme à l’accoutumée et les ravageurs n’ont toujours pas abandonné les pommeraies. Dommage d’ailleurs qu’aucune étude ne vienne dire dans les médias aux heures de grande écoute que les populations d’insectes et la biodiversité se sont nettement accrus dans les vergers tout au long des trente dernières années.

L’augmentation très sensible des coûts de production et une main d’œuvre saisonnière qui devient plus rare s’ajoutent aux difficultés à produire dans à peu près tous les pays.  Du côté du marché et des consommateurs, le retour brutal de l’inflation pénalise la valorisation des plus beaux fruits et comprime un peu plus les premiers prix.

Les arboriculteurs de l’hémisphère sud qui sont en pleine récolte en ce moment ne peuvent qu’être inquiets de cette situation au nord auquel ils destinent une part significative de leur production. D’autant que perdurent des coûts de transports très élevés sur les lignes de fret qu’ils utilisent.

Et, tout aussi grave, ils ne sont pas plus épargnés qu’au nord par les sévérités aléatoires du climat. A la canicule qui sévit là où sont produites les pommes au Chili est venue s’ajouter il y a trois jours une catastrophe démentielle en Nouvelle Zélande. Le cyclone Gabrielle a complétement dévasté la principale région arboricole de Hawke’s Bay. Les premières informations qui nous parviennent sur les dégâts occasionnés sont effrayantes.

Dans un tel contexte, chaque pays producteur n’a pu à la fin des échanges que tenter de déterminer s’il était plus ou moins en crise que son voisin. De tout cela résulte pourtant un élément qui doit soutenir les prix de vente. Les stocks de pommes disponibles à ce jour pour achalander le marché jusqu’à la prochaine récolte sont à peine suffisants.

Après ce panorama mondial inquiétant, la réunion terminée et après que le Fruit Logistica a eu refermé ses portes, je me suis envolé le soir même vers Varsovie. A l’heure où tous les regards en Europe sont tournés vers l’est et pour les pomiculteurs surtout vers la Pologne, j’ai saisi l’opportunité qui m’a été offerte d’intervenir le week-end dernier devant une assemblée d’arboriculteurs de la principale région de production autour de Grójec.  

C’est à Mirek, (Miroslaw Szyszkowski) un ami franco-polonais qui est technico-commercial pour les pépinières Dalival, que je dois d’avoir été sollicité. En plus d’être arboriculteur, Robert Sas a créé avec sa femme Grazyna une société de conseils, Ipsad, qui délivre au quotidien des informations et des préconisations techniques auprès de 750 pomiculteurs.  C’est lui qui m’a mis au programme de sa première réunion d’information qui doit s’inscrire dans un cycle de rendez-vous réguliers avec ses clients.

En route donc samedi 11 février au matin avec Mirek pour rejoindre le centre culturel de Tarczyn à une trentaine de kilomètres au sud de Varsovie. Gâteaux faits maison, café, thé et jus de pomme nous attendent dans le hall. La réunion doit commencer à 11 heures dans le petit amphithéâtre attenant. Toute la famille de Robert s’affaire pour accueillir les arboriculteurs qui arrivent. Une question me turlupine alors. A quelle heure déjeunent-ils dans ce pays ? A pas d’heure en fait. La réunion se déroulera donc jusqu’à 15h30 le plus normalement du monde. Je suis au pays de la journée continue et du déjeuner à heure variable.

La bonne cinquantaine d’arboriculteurs confortablement installés sur les gradins, Robert déroule son exposé. Retour en arrière sur les évènements au verger de la saison 2022 pour commencer avec projection de photos chocs sur grand écran. Mirek me chuchote l’essentiel du contenu à l’oreille. Le chancre fait des dégâts et n’est pas plus simple que chez moi à éradiquer. Maladies et ravageurs ne laissent aucun répit et rythment une saison culturale du débourrement à la cueillette et jusqu’à la chute des feuilles. Je m’y retrouve.

Je suis forcément très attentif lorsqu’avec force photos Robert montre les dégâts provoqués sur les feuilles et les fruits par les produits phytosanitaires contrefaits en provenance de Russie ou d’ailleurs. Bien meilleur marché, ils tentent le pomiculteur et font prendre trop souvent des risques inconsidérés dans les vergers. Mais sans doute aussi aux acheteurs tentés par la bonne affaire de pommes aux prix incroyablement bas rendues à Paris, Barcelone ou ailleurs en Europe.

Le 1-mcp est un autre sujet de préoccupation pour Robert qui milite avec passion pour l’augmentation de la consommation des pommes en Pologne par l’amélioration de la qualité gustative des fruits. Tests officiels de dégustation à l’appui, il démontre que la contrepartie de la bonne conservation des fruits conférée par l’inhibition des récepteurs d’éthylène, c’est la diminution des arômes. Mais là encore, les bas prix de la fabrication chinoise et des modes opératoires mal maîtrisés aggravent nettement cet inconvénient bien connu et mieux maîtrisé sous notre longitude.

Le gros coup de gueule de la matinée, Robert l’a réservé aux metteurs en marché, aux magasins et grandes surfaces, dont deux de nos chaines françaises bien connues. Dans un marché submergé d’offre, les prix de détail qui se pratiquent pour les promotions sont de l’ordre dérisoire de 30 centimes du kilo. Sur les photos montrées, la qualité des pommes faisait peine à voir. C’est tout le marché dit-il qui est tiré vers le bas par la mise en rayon de fruits qui devraient être destinés au jus.

C’est aussi toute l’architecture de la production et de la mise en  marché des pommes en Pologne qui le met en colère. Au fil du temps, certains producteurs plus entrepreneurs que d’autres ont créé de très grandes stations fruitières avec, faut-il le rappeler, des subventions combinées entre UE et l’Etat polonais qui ont pu atteindre 100% de l’investissement surfacturé. Ces producteurs ont quelquefois réussi en famille à créer des organisations de producteurs susceptibles de prétendre aux programmes opérationnels de l’UE. Ils ont aussi agrégé autour d’eux les arboriculteurs trop petits et atomisés pour avoir accès aux marchés directement par eux-mêmes. Que ce soit vers les fabricants de concentrés de jus de pomme, les chaines de supermarchés, les grossistes et détaillants et bien plus encore vers les marchés extérieurs à la Pologne. A la récolte, dit Robert, le désarroi des producteurs les conduits à accepter de vils prix par ces expéditeurs qui peuvent pratiquer de très bas prix par la suite sur les marchés. Sauf quand un accident climatique vient amputer gravement une récolte, les producteurs isolés ont rarement le manche de leur côté.

J’aurai à cœur de dire le lendemain au petit groupe réuni autour de Robert que la situation qu’il évoque n’est pas unique et n’a rien de bien nouveau ou de surprenant. Que ce soit en Turquie, en Inde et bien évidement aussi en France les exemples ne manquent pas de ces dépendances économiques chez les arboriculteurs. Ces modes d’organisations peuvent durer. Ils peuvent aussi donner lieu de guerre lasse à des cessations d’activité ou plus positivement à des coopérations ou à des concentrations lorsque les producteurs décident de se prendre en charge. La Pologne ne fera pas exception et les évolutions comme partout seront lentes, voire très lentes.

Avant de me passer la parole, Robert s’est très vivement inquiété des orientations de l’Europe, du green deal et de sa déclinaison agricole « farm to fork ». Après Prague il y a quelques semaines, j’ai une nouvelle fois eu la confirmation que c’est bien depuis l’est que l’on remettra peut-être les pendules à l’heure contre les initiatives abracadabrantesques de la commission et du radicalisé de la transition Franz Timmermans. Alors qu’en Pologne aussi le peu de production en agriculture biologique arrive difficilement à trouver des consommateurs et des prix rémunérateurs, il y a de quoi s’interroger sur l’aveuglement mortifère des commissaires qui maintiennent leur cap dogmatique de 25% pour ce cahier des charges. Il se confirme une fois de plus qu’il ne faut jamais construire un projet d’entreprise avec des subventions et des promesses de marché de la part de politiques. Au moins un Polonais l’a compris. Tant mieux.

A mon tour ensuite d’évoquer la situation de la pomme en France. Le verger, les variétés, les récoltes, les marchés et bien sûr l’étranglement économique entre des coûts de revient qui s’apprécient vivement et des prix de vente qui se maintiennent à peine, voire qui diminuent.

Il est à noter que le gouvernement polonais à réussi à plafonner depuis octobre le prix du mégawatt heure à 150 euros pour les particuliers et les petites et moyennes entreprises. Ce qui ne peut qu’exaspérer un peu plus en France où on est très loin de ce chiffre.

Je montre évidemment ce que sont encore nos exportations mais aussi nos importations qui augmentent et d’où elles proviennent. Robert se dit désolé que les bas prix de la pomme polonaise viennent perturber la formation du prix de la pomme en France. Arboriculteurs de tous les pays unissez-vous….

Je termine en disant que je suis assez surpris de voir l’assemblée afficher un certain flegme et beaucoup de sang froid dans cette situation économique pour le moins difficile. Que les arboriculteurs que j’ai en face de moi sont bien moins alarmistes qu’ils ne le sont en France au même moment. Je dis en tentant une pirouette que c’est très certainement lié à la qualité du service qu’ils reçoivent de Robert et à la passion qu’il met à défendre la pomme du pays et ses pomiculteurs. Ce à quoi l’un me répond que c’est avant tout parce qu’on a la foi en Pologne. A méditer quand même.

Dorota Kruczynska, est chercheuse à l’institut de recherche en horticulture de Skierniewice. Elle a eu la difficile tâche de faire le point ensuite sur l’intérêt de certaines variétés résistantes à la tavelure ou d’autres développées en clubs. Sujet toujours inextricable partout dans le monde et encore plus lorsque le marché est saturé.

Le déjeuner pour une petite tablée dans une sympathique auberge à service continu a donc pu avoir lieu vers 16h30. Le hasard des rencontres réserve des bonnes surprises. J’ai ainsi pu échanger avec l’auteur de la migration sur le cloud de notre cahier de culture Tellussia (anciennement Veiltec), Sander De Vries. Cet informaticien est aussi celui avec qui Robert Sas a pu mettre au point l’application qui permet à ses 750 producteurs de recevoir et de classer avec une ergonomie remarquable les bulletins journaliers au format idéal pour un smartphone.

La messe du dimanche matin est sacrée pour la majorité des Polonais. Je me suis donc baladé au centre de Varsovie dans la fraicheur hivernale, mais sous le soleil, avant de repartir chez Robert Sas pour découvrir le magnifique bâtiment qui héberge sa société IPSAD à côté de son habitation. Il comprend un laboratoire, une grande salle de réunion, des bureaux et un coin détente. Le tout avec vue sur les vergers alentour. 

Nous avons été rejoints par Piotr Korczak et son fils Szymon. Tous les deux arboriculteurs et présents la veille à la réunion. Je souhaitais que l’on me raconte l’histoire de la production de pommes en Pologne et Mirek m’avait dit que Piotr était mon homme. Dommage que je ne sache toujours pas prendre des notes. Nombre de détails me manquent déjà.

Un livre consacré à Szczepan A. Pieniazek trônait sur une étagère. Et c’est principalement par lui que tout a commencé. Ce pomologiste, professeur à l’université de Varsovie a été le pionnier de l’arboriculture en Pologne. Après un master en biologie, Pieniazek a eu l’opportunité grâce à une bourse de partir étudier aux Etats Unis en 1938, à l’université de Cornell. Juste avant que la guerre ne mette à feu et à sang son pays et l’Europe tout entière. Il obtient un doctorat en 1942 et reste sur le sol américain jusqu’en 1946 en tant qu’assistant professeur au département d’horticulture au Rhode Island state college. Il retourne alors en Pologne et commence à enseigner à la faculté d’horticulture de l’université de Varsovie.

Tout imprégné des connaissances acquises aux Etats Unis, il établit alors une coopération avec une organisation religieuse américaine. Ce partenariat a permis d’envoyer en stage d’un an, ou quelquefois plus, 1300 personnes, principalement des agriculteurs, entre 1947 et 1989. Ils y apprennent les meilleures méthodes de production tout en travaillant et en économisant même un peu d’argent qui leur permet au retour de moderniser leur propre ferme. Parallèlement le professeur organise des visites pour des scientifiques Polonais dans plusieurs universités américaines et au Royaume Uni.

De ce pont de connaissances horticoles entre les deux pays nait une solide dynamique de développement de l’arboriculture en Pologne. De 300.000 tonnes de pommes produites avant la guerre, le tonnage récolté a commencé à augmenter rapidement dès les années 50.

Un deuxième personnage s’impose à son tour dans le développement du verger par l’acquisition de nouvelles techniques. Il s’agit du turbulent professeur Eberhard Makosz de l’université de Lublin. Bien que scientifique, il acquiert vite la réputation d’homme pressé. Les grincements avec l’université viennent de ce qu’il fonctionne aux intuitions et se sert de ce qu’il apprend lors de nombreux voyages à l’étranger. Sans attendre la preuve par la démonstration scientifique, il prescrit et impulse des choix novateurs. J’ignorais beaucoup de tout cela lorsque que je l’ai croisé une ou deux fois lors de congrès. Dommage.

L’arboriculture en Pologne au temps maudit du communisme a eu le privilège de rester une activité privée. Elle a aussi été portée par l’immense marché protégé de l’union soviétique et de ses satellites. L’URSS était bien incapable de produire sur son sol le volume de pommes dont elle avait besoin pour sa consommation. Ce qui a fait le bonheur et la prospérité des arboriculteurs polonais jusqu’à l’embargo décrété par la Russie de Poutine le 6 aout 2014, soit bien après la chute du mur de Berlin en novembre 1989.

Depuis la fin de la guerre, le développement de l’arboriculture n’a pour autant pas été un long fleuve tranquille. Le climat est rude en Pologne et réserve quelquefois de bien mauvaises surprises. L’hiver 1985 1986 voit les températures descendre jusqu’à  30 degrés Celsius en dessous de zéro en janvier puis encore à moins 18 degrés en mars après que la sève ait commencé à se répandre dans les arbres. Troncs et branches ont alors éclaté et la quasi-totalité du verger polonais a dû être arraché et replanté.

Les plantations qui ont eu lieu les trois ou quatre années qui ont suivi ce gel étaient encore sous influence principale du modèle américain. Mais très vite ce sont les préconisations d’Eberhard Makosz qui se sont imposées et le verger est devenu bien plus d’inspiration hollandaise.

L’entrée dans l’union européenne en 2004 a permis des investissements considérables dans de très modernes et surdimensionnées stations fruitières. Parce que rusés comme l’étaient les Polonais, les aides étaient tellement bien optimisées que ces investissements étaient quasi gratuits pour le pétitionnaire.

Aujourd’hui, bien que n’ayant rien coûté à l’origine, la seule charge du fonctionnement n’est plus supportable pour certaines stations fruitières qui ont pour cela dues être fermées. Cinq d’entre elles ont déjà brulé et il se dit que ce n’est peut-être pas toujours accidentel. Il n’en reste pas moins que la plupart de ces équipements ultra modernes toujours en activité ont été un levier important pour le développement du verger.

La rupture et le désenchantement a clairement commencé avec l’embargo russe du 6 aout 2014. Au plus fort des exportations vers la Russie, ce sont plus d’un million de tonnes qui étaient expédiées de Pologne. A bon prix pour une qualité assez médiocre et les variétés importaient peu. Malgré l’embargo les envois vers la Russie ont évidement continué. Mais au prix de bakchichs de plus en plus élevés pouvant atteindre dernièrement jusqu’à 7 ou 8000 euros par chargement de 20 tonnes.

Au fur et à mesure où la production a augmenté, les marchés se sont réduits. La crise des migrants poussés dans le dos par le biélorusse Loukachenko à l’automne 2021 a mis fin aux derniers envois en Russie à travers ce pays. La guerre en Ukraine a réduit les importations de l’Egypte qui a préféré garder ses devises pour les précieuses céréales indispensables pour que le peuple ne se soulève pas.

Il est quand même utile de rappeler que la Pologne a accueilli sept millions de réfugiés Ukrainiens. Femmes, enfants et personnes âgées. Deux millions sont toujours présents sur son sol aujourd'hui qui ont tous trouvé hébergement et refuge dans les familles ou grâce aux associations et collectivités polonaises. Ce pays a vu sa population augmenter un temps de près de 20% sans qu’il y ait de troubles, de personnes à la rue, sous les ponts ou dans des campements de fortune. Quand Mirek me relate cette formidable générosité et solidarité, il ne peut s’empêcher de maudire cette Europe qui ne cesse de faire la leçon à son pays mais qui n’a quasiment rien donné pour soulager l’effort magnifique des siens.

La consommation intérieure de pommes s’en est évidement un peu trouvée augmentée. Mais c’est infime au regard des quantités disponibles. Si tant est que l'on puisse les connaître. Puisque les chiffres de la récolte polonaise, les stocks publiés, sont aussi un sujet de discussion qui a animé mes hôtes.

En fait, en Pologne, personne ne sait quels sont les vrais chiffres. Aucune organisation n’est vraiment en mesure d’évaluer précisément les quantités récoltées et l’évolution des stocks. Cela se fait à dire d’expert, un peu mieux qu’au doigt mouillé évidemment. Principalement en estimant l’évolution d’un échantillonnage de vergers et d'organisations de producteurs suivis année après année. L’Etat annonce un chiffre qui s’écarte en général de 500.000 tonnes à un million du chiffre des organisations de producteurs. Et quand j’évoque la récolte record de 2018 qui aurait avoisiné les 5 millions de tonnes, mes interlocuteurs me disent que cela pouvait bien être 6 millions. Une paille de différence. Autant dire que lorsque les chiffres sont publiés par WAPA, nombre de polonais s’étonnent de la précision à la virgule des chiffres bien loin des incertitudes qui nécessiteraient un signe indiquant environ.

En France nous évaluons à une moyenne de 18 à 20 % les pommes récoltées qui sont dirigées vers la transformation pour en faire des compotes ou des jus. 80 à 82% en moyenne vont donc sur les étals de France et d’ailleurs, dans la restauration collective ou pour la pâtisserie. Le compte de résultat de l’arboriculteur résulte de la valorisation totale obtenue pour tous les kilos. Dans un même verger, les pommes selon leur calibre et leur qualité peuvent être vendues de 12 à 15 centimes du kilo jusqu’à 1.70 euro sans emballage au départ des stations fruitières. Au bord du verger, juste cueillies, le lot peut ne valoir que 12 à 15 centimes. Dans ce cas l’arboriculteur est en faillite. Mais il peut aussi atteindre 70 centimes et dans ce cas, même avec l’augmentation des coûts de production de l’année 2022, un bénéfice est dégagé. La moyenne des prix de revient en 2022 se situe sans doute selon les vergers, les quantités récoltées et les régions entre 40 et 60 centimes.

La proportion des fruits destinés à la transformation et principalement au jus concentré, est carrément l’inverse de la nôtre en Pologne. Il n’y a cette campagne que 30 % des fruits qui n’iront pas chez les industriels, très implantés en Pologne et aux capacités géantes de traitement de volumes.

Ces fruits rapporteront au maximum sur une campagne entre 10 et 12 centimes aux arboriculteurs. Les plus beaux vergers dont la production se destine principalement à la croque en frais obtiendront peut-être les 25 centimes qui sont nécessaires pour couvrir les frais. Voilà donc un verger qui doit se satisfaire pour 70% des surfaces de 4000 à 6000 euros à l’hectare et pour 30 % de 7000 à 13000 euros à l’hectare.

Avec une main d’œuvre saisonnière qu’il faut maintenant payer entre 4 et 6 euros de l’heure quand il y a encore 5 ou 7 ans un euro suffisait. Des intrants dont les prix sont voisins des nôtres. Tout comme les carburants, combustibles ou frais de mécanisation qui sont aussi comparables.

A cela s’ajoute que les subventions se sont réduites d’année en année pour ne plus représenter grand-chose aujourd’hui.

La capacité de transformation en jus concentré étant semble-t-il au-delà de l’énorme potentiel de production du pays, j’ai pris conscience sur place que dès lors que la capacité à se satisfaire du très faible chiffre d’affaires conféré par cette destination était bien réelle, le verger polonais pouvait résister et attendre des jours meilleurs sur le marché du frais. Après aussi peut-être que sous la concurrence des bas prix qu’ils peuvent proposer sur les marchés européens, à force d’à force, ils ne se substituent aux offres nationales incapables de soutenir une telle concurrence.

Ce n’est pourtant pas je pense ce qui va arriver. Enfin pas complètement. Parce que le marché de la pomme en Europe et dans le vaste monde tient compte au-delà du prix, des préférences nationales et de segmentations subtiles. Pour autant, le temps des ajustements va être douloureux longtemps.

Je suis reparti de ce nouveau très court séjour en Pologne très heureux de l’excellent accueil qui m’a été réservé par mes hôtes et les arboriculteurs rencontré lors de la réunion. J’ai été impressionné par la qualité des échanges que j’ai pu avoir avec mes talentueux interlocuteurs. Je me suis nourri d’informations précieuses sur l’actualité du verger de pommier et des arboriculteurs de ce pays surprenant de dynamisme. Je me suis dit aussi que si ce peuple peut rester solide et traverser dignement la crise, faire cet effort de guerre d’accueillir sans sourciller autant de réfugiés, les difficultés que nous rencontrons en France doivent tout autant être surmontées avec le même courage. Nous avons beaucoup d’atouts pour cela et nous ne baissons pas les bras. 

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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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M
Bonjour, <br /> Merci M. Daniel Sauvaitre pour cette immersion dans le monde de la pomme et surtout ce reportage chez nos voisins européens polonais ! C'est une mine d'informations, de nombreuses clés pour comprendre les tenants et aboutissants de le filière. bien cordialement, Laurence Marmeys
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