22 Janvier 2023
J’ai spontanément dit oui à Suzette quand elle m’a demandé lors d’un rapide échange au téléphone d’écrire quelques mots pour la revue de l’amicale sur mes souvenirs de lycéen à Barbezieux. Et puis les semaines ont passé sans que je sache très bien par où commencer et quoi en dire. Alors un nouvel sms très présidentiel de bons vœux et d’impatience est venu utilement me rappeler dare-dare devant mon écran blanc.
J’ai poussé la lourde et haute porte en fer forgé du lycée, imposante création issue de l’obligation lors d’une construction publique du « un pour cent artistique », à la rentrée de septembre 1971. Je l’ai refermée dans l’autre sens à 17 ans en juin 1974 avec un bac littéraire en poche obtenu laborieusement et sur le fil après un oral de rattrapage bienveillant au lycée Guez de Balzac.
Un demi-siècle plus tard, je me désole encore de ne pas avoir été plus travailleur et concentré pendant les cours. J’ai d’ailleurs longtemps rêvé que je retourne au lycée apprendre et cette fois-ci pour de bon. C’est sans doute aussi pour cette raison que j’ai le sentiment de ne jamais être vraiment parti du bahut, tant ces années m’ont à la fois marqué et laissé une frustration qui dure encore. En tout cas, ces années fondatrices demeurent toujours bien vives dans ma mémoire.
Adolescence et timidité ne m’ont pas facilité la tâche. La crainte permanente de rougir sous les regards des autres en toute circonstance sans pouvoir rien y faire calme bien des ardeurs. Mais cela m’a aussi contraint à plus de prudence, d’écoute et d’introspection. Je n’ose imaginer comment, libéré de cette peur, j’aurais dévoré avec trop de gourmandise ces années de toutes les découvertes.
Le lycée, c’était d’abord la salle de classe bien sûr. Les cours de français avec Jean Claude Ramade en seconde et première, puis Jean Chambras en terminale. Deux profs très différents qui, chacun avec son style, son humour, sa pédagogie, ses sujets de prédilection et ses travers partisans ou ironiques, savait nous captiver et stimuler notre sens critique. L’un se référait à René Goscinny pour les citations latines et à Gérard Oury pour le cinéma d’auteur quand le second, on ne savait pourquoi, s’en prenait assez vivement aux vieux compères Lagarde et Michard. 68 n’était pas bien loin et le fond de l’air était toujours très politique sur les estrades. J’ai aimé très tôt la compagnie des livres et trois années passées à boire les paroles de ces deux serviteurs dévoués à la littérature a largement conforté m’a soif de lire qui dure encore.
J’ai abordé l’histoire et la géographie du second cycle avec Boris Bordes. Après des générations d’élèves, j’ai vu à mon tour tracer à travers tout le tableau vert la célèbre flèche du temps. L’imperméable accroché au porte-manteau, toujours impeccablement mis, légèrement penché en avant, nous le regardions se frotter machinalement les mains en même temps qu’il évoquait doctement paysages, économie, comme petits et grands évènements passés en France et dans le monde.
Le style change carrément les deux années suivantes avec Guy Bonnot. Grand et monté très fin comme il le disait lui-même, je le revois arriver en courant à la salle de classe juste après que la sonnette ait retenti et pour finir, se laisser glisser élégamment dans le couloir jusqu’à la porte. Après une telle entrée en scène avec effet garanti auprès des filles, de sa voix douce, un brin aigue et précieuse, Guy nous livrait des cours bien structurés et agréables à suivre.
Je crois que j’ai lâché les mathématiques en quittant l’école primaire. Au fur et à mesure où l’abstraction se substituait aux calculs simples, je décrochais. La géométrie en revanche m’a motivé un peu plus longtemps. Malgré le talent et l’ardeur de Jacky Lacouture ou de son collègue Poumaillou (prénom oublié), l’un nerveux, agité et vif, l’autre plus sobre et flegmatique, je n’ai assuré que le minimum nécessaire pour éviter la correctionnelle.
C’est le même prof qu’avait déjà connu mon père pendant la guerre qui donnait les cours d’anglais lors de mon entrée en seconde. Marcel Lemaigre n’était plus très loin de la retraite et après une très belle carrière, une certaine routine s’était installée dans ses cours. Je crois me souvenir qu’il s’éloignait souvent du sujet pour disserter et commenter sur tout et sur rien. Il se parlait à lui-même à voix haute. Oserais-je dire qu’il radotait un peu par moments. Rien de tel avec l’excellente Carmen Léger dont j’ai vivement apprécié le dynamisme, la clarté et la prononciation. L’initiation était bonne et je n’ai eu de cesse jusqu’à aujourd’hui de lire et de pratiquer l’anglais. Insuffisamment encore sans doute pour le maîtriser autant que je le souhaiterais dans les multiples situations où je me retrouve à devoir m’exprimer dans la langue de Shakespeare.
C’est Claude Verdonneau qui assurait les cours d’espagnol, la deuxième langue que j’avais choisie. Très bon professeur, très sérieux, très investi, qui nous a fait partager son intérêt pour les grands auteurs, poètes et écrivains hispanophones, tout comme sa détestation du franquisme finissant.
J’ai un excellent souvenir bien sûr des cours de sciences naturelles délivrés par Anne Marie Delas. Et quel plaisir d’écologie ludique et bucolique quand il fallait aller découvrir et analyser avec elle les écosystèmes autour de petits étangs du côté d’Oriolles.
Le nom de ma professeure de physique et de chimie ne me revient pas. Mais je me souviens très bien de cette grande femme rousse au cheveux frisés ondulés et longs dont la voix pouvait devenir stridente quand le chahut gagnait les paillasses.
C’est Michèle Sacquepey (le prénom est-il celui- là ? le nom s’écrit-il comme cela ?) qui m’a fait découvrir avec bonheur la philosophie en terminale. Une entrée en matière avec « les enfants sauvages » de Lucien Malson et puis Sartre, Camus, Nietzche, Kierkegaard et bien d’autres sont devenus mes lectures initiatrices. J’ai parallèlement ajouté la philosophie orientale à mes livres de chevet au fil de cette dernière année de lycée. Je nourrissais secrètement le projet du voyage en Inde que j’allais entreprendre seul dès la mi-juillet, après le bac, nouvellement émancipé, sac à dos et passeport en main.
Ma discipline préférée en éducation physique était la gymnastique. Je me débrouillais plutôt assez bien et j’avais même un temps goûté à la compétition. Je n’étais en revanche pas doué ni motivé par les sports collectifs. Mes profs s’appelaient alors Etanchaud et Robert. Il s’est révélé plus tard que ce dernier s’était intéressé d’un peu trop près aux jeunes filles et qu’il lui en avait coûté gros.
Le lycée, c’était aussi tout ce qui se passait en dehors des salles de classe. J’étais très cinéphile et j’aimais la photographie. Bien que demi-pensionnaire, je m’arrangeais pour rester à Barbezieux les soirs de ciné-club, rue Trarieux. J’aidais à l’arrière les projectionnistes attitrés. Les coupures étaient fréquentes et il fallait recoller la pellicule dans l'urgence. La durée du film s’en trouvait d’autant augmentée. Ce qui agaçait dans la salle mais pouvait aussi faciliter les amours naissantes. La programmation était très « Cahiers du cinéma » et nettement militante. Avec un son nasillard et dans l’inconfort on pouvait découvrir entre autres films à l’écran « Le chien andalou » et « los olvidados » de Luis Bunuel. Après « Cuba si » de Chris Marker, les plus politisés de la salle se livraient à un débat encenseur pour Fidel Castro et Che Guevara, mais carrément assassin pour Batista. Une autre fois c’était « M le maudit » de Fritz Lang qui donnait la chair de poule. Après la projection, je me glissais clandestinement dans le dortoir des garçons jusqu’au matin puisque je ne pouvais rentrer chez moi à Reignac.
Un local qui faisait l’angle des deux couloirs du rez-de-chaussée du lycée était aménagé en chambre noire. Un agrandisseur de la marque Krokus trônait aux côtés d’un équipement sommaire de bacs et de cuves à spirales pour développer films et papiers. Je ne me souviens pas que de très beaux tirages sans poussières bien visibles soient sortis de cet antre ou l’on aimait pourtant s’enfermer à double tour. J’appartenais au club photo, mais je réalisais mon travail de laboratoire dans le local fonctionnel que je m’étais créé dans un coin de notre maison.
Le cinéma et la photographie étaient mes deux passions et elles le sont restées. J’étais en revanche bien trop timide pour m’aventurer à monter sur scène avec le club théâtre animé par Jean Chambras. Quelle magnifique entreprise pourtant que ce club où mes camarades de classe se confrontaient aux textes d’Eugène Ionesco dans « La cantatrice chauve » sous la direction de leur brillant professeur et metteur en scène. J’étais au premier rang lors de la première. Il me reste une ou deux photos en noir et blanc de piètre qualité prise ce soir-là.
Le spectacle était aussi dans la cour de récréation. Un jour c’était l’élève un peu guindé et original, Stéphane Bulant, qui sortait à la récréation par une fenêtre du second étage pour se mouvoir à l’extérieur le long de la corniche sous les yeux effarés du proviseur, de la surveillante générale et des pions. Après les cris de stupeur, devant tous les élèves qui avaient les yeux rivés sur lui et qui retenaient leur souffle, celui qui allait devenir un peintre renommé regagnait un peu plus loin très calmement l’établissement par une autre fenêtre. Se faire sermonner ensuite ne semblait pas l’affecter outre mesure. Il devenait à nos yeux une sorte de caïd rebelle et impassible. On le savait aussi très littéraire et fort en thème.
Un autre jour c’étaient les deux Franck, Lamy et Guilbot qui se coursaient sur le bitume de la cour avec des seaux d’eau, éclaboussant au passage tous ceux qui se trouvaient sur leur trajectoire.
Mais dans le registre des distractions exceptionnelles, c’est bien le printemps 1973 qui me reste en mémoire. La fameuse loi Debré qui ramenait à 21 ans le sursis pour le service militaire, au moment où elle entrait en application et cinq ans après mai 1968, a mis dans la rue une bonne partie des lycéens de France. Barbezieux n’était pas en reste. Nos leaders étudiants du moment, Jean Noël Bordier en tête, avaient galvanisé les troupes. A tel point que notre lycée avait eu droit aux colonnes du Monde pour s’être distingué dans la dureté du mouvement comparativement à d’autres points chauds du pays. Nous en étions très fiers. Je me souviens pourtant que la loi Debré n’était pour la majorité d’entre nous que le prétexte à faire l’école buissonnière, à se donner du bon temps et à draguer les filles. Tout cela en se prenant quand même le plus possible au sérieux grâce à quelques slogans bien sentis et bien appris.
Ces quelques souvenirs n’épuisent évidemment pas le sujet de ma vie lycéenne, loin de là. Au fur et à mesure me reviennent nombre de situations et d’échanges qui m’ont marqué et qu’il serait interminable de relater ici. Comme autant d’anecdotes qui ont fait de ces trois années des jours heureux et drôles ou quelquefois aussi plus mélancoliques.
Mes deux filles, Camille et Victoria, bien meilleures élèves que leur père, ont fait toute leur scolarité à Barbezieux. J’ai donc eu le plaisir de retourner au lycée Elie Vinet dans ces salles de classe quasiment inchangées lors des réunions entre les parents et les professeurs de 2009 et 2015. Vous comprenez pourquoi je m’y sentais encore un peu chez moi.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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