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Chronique des débuts de la faim en pays de Cocagne (3)

Le pire n’est jamais sûr. Mais il est annoncé, et à très court terme pour le verger de pommiers en France. Par peur de jouer les Cassandre et de ne susciter que de l’incrédulité, on refait les calculs interminablement avant d’annoncer la mauvaise nouvelle. Malheureusement, le résultat est toujours le même. Ça ne passe pas pour tous ceux parmi les arboriculteurs qui viennent de renouveler ou qui vont renouveler ces jours-ci comme dans les semaines et les mois qui viennent leur contrat d’approvisionnement en électricité. Et pour les autres, c’est assez mal emmanché aussi. 

La hausse du prix de l'électricité est bien trop forte pour des aides de l’Etat très insuffisantes. Les paramètres précis du dispositif annoncé jeudi par Elisabeth Borne ne sont pas encore tous bien calés, mais au bout du compte la réduction de la facture ne dépassera pas 20 à 30 % au maximum. Alors que la douloureuse est, ou sera, multipliée par trois ou quatre et jusqu’à 10. Les caisses du pays sont trop vides pour faire plus pour cette nouvelle crise. L'impasse est consacrée. Le changement du mode de fixation du prix de l'électricité tant attendu et souhaité n'est pas pour demain non plus. 

Bruno Le Maire dit faire avec ces annonces le maximum possible et nous invite à relever nos prix pour couvrir la différence manquante. Après tout, il suffirait de 6 à 10 centimes de plus par kilo de pommes pour ne pas être électrocuté. Mais comparativement à l’an passé il faudrait déjà avoir obtenu en moyenne 20 centimes de plus à l’expédition pour répercuter les autres augmentations de charges déjà subies depuis un an. Hausse du SMIC de 8%, des carburants, des intrants, des emballages et des équipements, le cumul de cette inflation ramené au kilo de pommes produit est évalué à cette hauteur.

26 à 30 centimes sur un prix moyen des pommes emballées au départ des stations fruitières d’un euro, cela représente donc une hausse de 26 à 30 %. Le calcul est simple. C’est peu en valeur absolue si l’on compare avec le prix moyen payé par le consommateur de 2.30 euros sur la dernière campagne 2021-2022. Mais c’est à ce jour inaccessible sur un marché où la formation du prix ne tient pas compte en instantané des coûts de revient.

La terrible injustice, c’est aussi que toutes les entreprises ne sont pas confrontées en même temps à la hausse violente du coût de l’énergie. Le renouvellement des contrats va s’étaler sur près de trois ans. C’est-à-dire que sur le même marché, les premiers à renouveler leur contrat à prix élevés seront les premiers étranglés. Si l’on considère que les prix moyens de vente des pommes cette année se situent plutôt depuis le démarrage des récoltes en aout à 10 centimes en dessous de l’an passé, on comprend aisément l’ampleur du manque à gagner. Ce sont entre 30 et 40 centimes qui sont absents pour couvrir le coût de revient. Une fois déduites toutes les charges cette année, si rien ne change sur le marché, le producteur recevra entre zéro et 25 centimes de son kilo de pomme produit.

Chaque ferme arboricole est particulière évidemment. Les fonds propres, la rentabilité antérieure, l’endettement, la composition variétale du verger, la diversification des cultures, d’autres ateliers de production ou de vente peuvent tempérer ou aggraver l’impact global sur la résistance économique de chacun. Cependant l’ampleur du séisme touchera à des degrés divers tous les vergers. Certains, trop nombreux, ne s’en relèveront pas.

Seule une prise de conscience collective et rapide des metteurs en marché d’une relative rareté des volumes récoltés cet automne permettrait de relever les prix à l’expédition. La défaillance d’entreprises serait alors plus réduite. Le risque, comme souvent, c’est que cela n’arrive bien trop tard.

La hausse brutale et spectaculaire du prix de l’électricité va donc faire fondre les trésoreries des entreprises qui représentent le quart du potentiel de production national dans les semaines qui viennent. Des trésoreries déjà mises à mal par une campagne 2021-2022 au cours de laquelle les pommes ont été difficile à valoriser suffisamment et par de nombreuses hausses très significatives de charges.

Il faut de plus élargir l’analyse de la situation aux autres éléments qui impactent la vie du verger et des entreprises d’expédition. Diminution sévère des moyens de protection contre les maladies et ravageurs. Les produits phytosanitaires sont de moins en moins efficace et de plus en plus chers. Rationnement de l’eau qui devient insuffisante pour couvrir les besoins du verger existant. Quasi-impossibilité dans les faits de pouvoir augmenter le stockage de cette eau précieuse quand elle déborde l’hiver. Accès difficile à la force de travail indispensable pour réussir une récolte, son stockage et sa mise en marché. La liste est longue des handicaps qui mis bout à bout font craindre une réduction brutale du potentiel de production du verger français. Et l’on ne se rassure pas vraiment quand on sait que la situation n’est pas nettement meilleure autour de nous. Si ce n’est sur l’environnement réglementaire et administratif où la France fait cavalier seul en tête du peloton pour mettre le plus possible de bâtons dans les roues à ses producteurs.

Tout cela pour dire que si nous avons été surpris de la hausse spectaculaire du prix du gaz et de l’électricité, il est à peu près sûr que nous le serons demain par le prix des pommes. Comme des autres productions agricoles qui pour certaines ont déjà bien amorcé le mouvement de hausse qui accompagne toujours la rareté.

Plus tôt s’amorcera l'amélioration des prix de vente et moins haute sera la vague finale de l'inflation sur les étals qui surviendra si trop de vergers disparaissent.

Alors autant faire tout ce qui est possible tout de suite pour obtenir les précieux centimes nécessaires sur le marché. Dans le même temps, nous devons réussir les optimisations logistiques mises à mal par quelques distributeurs qui se moquent du CO2 comme de leur première promotion saignante pour la production. Et dans le cadre du plan de souveraineté qui commence en ce moment même par la collecte de propositions, il faut donner la priorité aux priorités et lever immédiatement les verrous réglementaires et législatifs les plus destructeurs de vergers rappelés dans les articles précédents.  

Les prix doivent monter dès maintenant à l’expédition pour les pommes, les poires et beaucoup d’autres productions si nous voulons en avoir encore demain produites en France. Qu’on se le dise….

Un arboriculteur et un commercial devisent au cul du camion de l'avenir du métier et d'une pomme exceptionnelle adaptée aux temps difficiles dans lesquels nous sommes entrés.

Un arboriculteur et un commercial devisent au cul du camion de l'avenir du métier et d'une pomme exceptionnelle adaptée aux temps difficiles dans lesquels nous sommes entrés.

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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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