8 Mars 2020
Le polonais Janusz Wojciechowski est le nouveau commissaire européen à l’agriculture de l’ère Ursula Von Der Leyen qui a commencé en décembre 2019. Il prend la suite de l’irlandais Phil Hogan qui est devenu commissaire au commerce.
Magistrat, un temps Président du parti paysan, député à la Diète puis député européen, le nouvel homme fort de la politique agricole de l’Europe a été l’objet de toutes les attentions au salon. Il se bruissait que sa première audition par les parlementaires avant sa nomination avait été plutôt ratée. La deuxième aurait été quand même plus convaincante. La moindre de ses interventions est donc désormais attentivement scrutée et chacun parmi les responsables agricoles cherche à comprendre sa pensée profonde et à lui communiquer ses revendications pour la prochaine PAC.
Nous l’avons reçu le mercredi après-midi pour quelques échanges au calme sur le stand de l’interprofession des fruits et légumes (Interfel). Aucun scoop n’a été obtenu sur le débat budgétaire compliqué qui est engagé. Le commissaire a en revanche utilement pu confirmer sa volonté de maintenir l’organisation commune des marchés (OCM) spécifique aux fruits et légumes. Cette politique présente la particularité de se traduire par un cofinancement à 50% avec les organisations de producteurs d’un programme opérationnel pluriannuel. La part du soutien de l’Europe est limitée à 4.1 % de la valeur de la production commercialisée des producteurs. Il peut s’y ajouter 0.5 % au titre de la prévention et de la gestion des crises. C’est donc un budget ouvert et proportionnel à la capacité d’investissement des producteurs. Mais au total c’est aussi très peu dans le budget de la PAC comparativement à l’importance économique de ce secteur de l’activité agricole. Ce qui a évidemment été rappelé.
Il pouvait être craint qu’étant polonais, il n’ait envie d’infléchir cette politique qui profite peu au paysans de sa zone. En effet, passée la période de la subvention facile qui a accompagné l’entrée dans l’UE de la Pologne et consorts en 2004, les contraintes réglementaires à satisfaire pour obtenir la reconnaissance d’Organisation de Producteurs sont telles que peu de producteurs à l’est s’y sont aventurés. Malgré les incitations qui se multiplient, la situation évolue lentement et rares sont les programmes opérationnels qui sont déposés.
J’ai évidemment été très intéressé d’entendre le commissaire évoquer au cours de cette échange la situation des producteurs de pommes en Pologne. Il regrettait vivement qu’après l’embargo russe du 6 aout 2014, les subventions aient encore donné lieu à une augmentation des plantations et du potentiel de production. Ces soutiens, nous dit-il, auraient dû servir à adapter l’offre de pommes au marché plutôt qu’à générer une surproduction économiquement désastreuse. Ces déclarations sont venues s’ajouter au discours pragmatique et réaliste de Jan Krzysztof Ardanowski, le ministre de l’agriculture polonais, que la petite délégation à laquelle je participais a pu entendre en novembre dernier à Varsovie. Il nous avait alors clairement rassurés sur la lucidité des dirigeants du pays quant au très fort déséquilibre qui continue de s’amplifier entre l’offre et la demande de pommes polonaise.
Autant dire qu’entendant cela, à la fin de la réunion, je me suis précipité pour évoquer auprès du commissaire et de sa chef de cabinet, notre compatriote Catherine Geslain Lanéelle, la concertation que nous avons entreprise à l’initiative de l’association européenne Freshfel, avec nos collègues belges, italiens et bien sûr polonais. Je lui ai dit que nous souhaitons vivement pouvoir échanger librement avec lui et son équipe à Bruxelles sur les conditions d’un retour à un meilleur équilibre de la production de pommes en Europe. J’ai eu l’assurance que cette rencontre qui peut participer à l’accélération des adaptations nécessaires ne saurait tarder.
A l’heure où le débat se focalise sur le montant du futur budget de la PAC pour 2021- 2027 dont on ne sait s’il sera de 380 ou 375 milliards d’euros et bien moins peut-être, en euros courants ou constants, quelques autres questions de fond se posent.
La quadrature du cercle budgétaire pour l’UE peut se résumer ainsi. Le Royaume Uni était un contributeur net, c’est-à-dire qu’il versait plus au budget européen qu’il ne percevait directement. A taux de contribution égal pour la nouvelle UE à 27, il manque quelques 10 à 12 milliards par an dans la caisse, soit près de 6% du budget. Puisque, à la contribution nette du United Kingdom, il faut ajouter la part de TVA et des droits de douanes qui ne seront plus perçus au profit de l’UE.
D’un côté les recettes sont à la baisse et de l’autre les dépenses sont prévues pour augmenter. Les 27 ont en effet l’ambition de mettre plus de moyens pour maîtriser leur politique migratoire et les frontières. Ils souhaitent également investir pour leur défense commune.
A contribution constante des 27 cela nécessiterait de baisser la dotation de la politique agricole commune et celle de la politique de cohésion de 5 à 6 %. Ce que quasiment aucun pays ne veut.
Happy tax payers, je crois que vous connaissez vers où se fait la recherche de solution. Plutôt que de baisser les dépenses, chacun se mobilise pour trouver de nouvelles recettes d’impôts. Et comme une contribution directe plus importante des Etats membres est peu consensuelle et donc peu probable, c’est du côté de nouvelles ressources propres à créer pour l’UE que les regards se tournent. Un impôt européen ou diverses nouvelles taxes, seraient pour beaucoup la solution rêvée puisqu’elles permettraient à chaque Etat de se dédouaner auprès de ses contribuables respectifs. Et il ne se trouvera personne à la Commission européenne, au Parlement de Strasbourg ou à Paris et dans les Régions de France pour aller contre cette idée selon laquelle pour agir il faut du budget. Et celui de l’UE comme chacun sait est ridiculement faible. Pensez-donc, 1 % des richesses nationales. A peine l’épaisseur du trait. Oui mais selon moi, ce trait est peut-être une ligne de coke aux effets euphorisants qui finissent par nous tuer à petits feux.
Il se trouve que le Coronavirus est en train de mettre inopportunément quelques grains de sable de plus dans cette quête du toujours plus d’impôts. L’infiniment petit et invisible virus donne la fièvre aussi à l’économie mondiale et elle commence depuis quelques jours à être un brin alitée. Et on sait que quand la température monte brutalement, quand l’alerte devient chaude, il devient plus difficile de venir gratter en loucedé quelques euros de plus aux contribuables. Difficile de leur faire les poches quand elles menacent de se vider à l’insu de leur plein gré et sans rien faire. Dans ces circonstances de crise, chacun redevient nécessairement très attentif à son porte-monnaie.
Mais c’est vrai aussi que du côté des bénéficiaires des aides, chacun espère conserver sa gouttière dont il est convaincu que c’est un autre que lui qui l’alimente en argent frais. Que son propre bénéfice reste positif. Et comme chacun directement ou indirectement est concerné, le pire qui n’est jamais sûr reste quand même une hypothèse sérieuse.
Dans un pays comme la France, quand la croissance faiblit, compte tenu de nos dépenses publiques peu élastiques et très élevées, c’est l’endettement qui explose. Nous avons déjà atteint 100% du PIB et il est à craindre que comme en 2008 nous ne fassions faire un bond à cet endettement avec le ralentissement de la croissance qui se profile. Du côté de l’Italie l’effet sera peut-être plus sévère encore compte tenu de l’état initial.
Autant dire que nombre de questions essentielles pour l’euro, l’UE et nos organisations nationales collectives vont revenir sur le devant de la scène. Si jamais elles avaient pu paraître moins cruciales ces derniers temps.
Mais revenons au sujet particulier qui nous intéresse. L’éternelle question qui se pose est bien celle de savoir à partir de quand la subvention a plus d’effets pervers que d’effets positifs. Et les politiques européennes sont un bon sujet d’étude sur cette question puisque plus de 80% du budget pour les mettre en œuvre est distribué sous forme de subventions conditionnelles et incitatrices gérées par les États membres par délégation.
Jean Marie Gourio s’est rendu célèbre avec ses brèves de comptoir glanées dans nos cafés, bars et autres estaminets à l’heure de l’apéro. Il y en a une magnifique à laquelle je pense au moment d’évoquer un exemple extrême qui illustre la profondeur du mal. Elle dit ceci : « la plus grande invention de la science c’est la subvention ».
Depuis près de 12 ans maintenant, à l’initiative de Michel Barbier, il a été institué un fonds de subvention pour que les pays membres s’impliquent pour que soit distribué un fruit à la récré et puis aussi un verre de lait pour nos chères têtes blondes.
Pour la France, une somme forfaitaire qui atteint maintenant 18 millions d’euros est disponible chaque année pour le fruit à la récré. Et bien depuis que cette possibilité est offerte aux États membres, la France n’a jamais réussi à utiliser plus de 6 à 8% du budget. Contrairement à la quasi-totalité des autres États membres qui consomment l’enveloppe jusqu’au dernier centime.
La subvention est définie pour couvrir 100% de la dépense engagée, ce qui n’est quand même pas courant. Et pourtant année après année nous faisons le constat de la non utilisation du budget.
On pourrait penser que c’est de la pure négligence coupable. Ce n’est pas le cas et ce serait à la limite moins grave. En effet depuis que ce dispositif existe plusieurs personnes sont mobilisées en continu pour mettre en place un système qui enfin permettrait de motiver les acteurs potentiels de la mise en œuvre de la distribution de ce fruit à l’école. 12 ans plus tard, malgré les injonctions politiques permanentes jusqu’au plus haut niveau de l’Etat, malgré moultes engueulades et quelques crises de nerfs, rien n’y fait. Il semble même que l’on régresse encore.
Voilà donc près de 200 millions qui nous pendaient au nez, qui auront coûté un temps fou de réunions, de rapports, de propositions techniques issues des meilleurs crânes d’œuf du pays, de cahier des charges ubuesques, grotesques, démentiels et rien n’a changé pour nos gamins à l’école de par cette politique. Utilisation zob, zéro, nada. A croire qu’en sous main les industries de la mauvaise calorie virussent le système pour que l’obésité progresse. En tout cas c’est la réalité objective de ce qui se passe sous nos yeux.
La première conclusion à tirer de cette abracadabrantesque pantalonnade, c’est que nos gouvernements successifs et notre administration sont bien moins pragmatiques et efficaces que ceux et celle plus astucieux des autres États européens.
Mais ce qui étonne plus encore c’est que toute honte bue nous ne cessons de dire politiquement à la cantonade européenne à quel point nous sommes attachés à cette belle et généreuse politique pour une initiation de nos enfants à une nutrition de qualité. Nous sommes persuadés qu’enfin la prochaine tentative sera la bonne.
Depuis que ça dure on aurait pu espérer que notre orgueil aurait eu raisons des blocages nationaux où qu’ils soient pour faire enfin bonne figure à Bruxelles. Même pas. Le cercle vicieux se poursuit, les ministres se succèdent, les directeurs d’administration aussi, et les 18 millions sont toujours comme la queue du Mickey que l’on arrive pas à attraper. C’est business as usual.
Après tout, comme le disait Henri Queuille « il n’y a pas de problème dont une absence de solution ne finisse par venir à bout ».
Mais à mon sens, il y a bien plus grave encore que notre désastreuse et risible bêtise politico-administrative sur ce fruit à l’école qui n’en finit pas de pourrir l’ambiance.
A aucun moment depuis plus de dix ans un responsable politique ne s’est posé la question de savoir s’il était pertinent de faire passer une part du revenu des habitants de nos villes et de nos villages par Bruxelles et la commission européenne pour que dans les écoles de nos villes et de nos villages les enfants soient incités à manger des fruits et à boire du lait. Le principe de subsidiarité est définitivement abandonné.
C’est là à mon sens le plus grave de cette affaire. L’idée qu’il pourrait ne pas y avoir besoin de ce circuit européen de l’impôt pour que nos enfants soient incités à manger des fruits est parfaitement devenu inimaginable.
Il est même sacrilège de l’évoquer comme je le fais ici puisque l’on me rétorque que ce n’est pas parce que le France est nulle que l’on doit priver les autres de ce dispositif qui permet de rendre l’Europe populaire et d’en retirer un bénéfice électoral.
A chaque fois que l’on sollicite un politique pour résoudre un problème, il y voit l’opportunité de lever un impôt et de démontrer son utilité en tentant de résoudre ledit problème avec du budget. On me rétorquera que celui qui demande est le premier coupable et que celui qui accède à la demande ne fait que ce pourquoi il a été élu. Ce n’est pas faux. Mais comme il est dit dans le langage populaire, convenons qu’il n’y en a malheureusement pas un pour racheter l’autre.
L’heure est à la promotion des circuits courts et c’est tant mieux. J’attends avec impatience que l’on prenne conscience que les circuits courts valent aussi, voire bien plus pour l’argent des contribuables. Et que tout ce qui peut éviter de passer par l’impôt pour rester de la responsabilité directe des individus fait grandir la liberté, l’autonomie et la force des individus.
Cet exemple de la politique européenne du fruit à la récré dont on pourrait dire encore beaucoup de choses encore à travers l’exemple français n’est que la partie émergée de l’iceberg des circuits improbables de l’argent de nos impôts.
Mais c’est le seul que je peux évoquer en ne risquant pas trop directement de me faire assassiner professionnellement. Il y aurait pourtant beaucoup à dire sur la recherche de l’efficacité économique, d’un meilleur revenu disponible par habitant comme pour plus d’équité et de solidarité sans passer par l’impôt. Ce serait trop révolutionnaire et ce n’est pas de ce côté-là que les goûts révolutionnaires se manifestent ces temps-ci encore.
Le salon de l’agriculture m’a confronté à de nombreux autres sujets et réflexions. La suite a un prochain épisode.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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