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Injonctions virales, paradoxales ou contradictoires envers l’agriculture. Ou pourquoi les paysans doivent plus que jamais garder les pieds sur terre(1).

Le salon de l’agriculture a fermé ses portes un jour trop tôt, à la fin du huitième jour. Le corona virus m’a ainsi privé de la rencontre programmée dimanche par Interfel avec Michel Barnier et de celle bien moins indispensable avec Anne Hidalgo. De quelques moments de convivialité de plus aussi.

Malgré ce jour en moins, cette année encore à la Porte de Versailles c’était bien la fête de l’agriculture. 

Même le métro qui d’habitude est d’une tristesse infinie peut s’illuminer à cette occasion de la truculence rurale. Comme ce mardi matin où je suis entré dans une rame de la ligne 12 à Montparnasse en même temps que de solides gaillards landais barbus, avec le béret vissé sur la tête. Pas plutôt les portes fermées, de bon matin, ces joyeux drilles ont entonnés en chœur de leur voix puissante et chaude, sur l’air de Da Doo Ron Ron des Crystals, une chanson qui commence par  « oui le cochon est mort ». Ils ont même pris quelques libertés avec les paroles de la version que l’on trouve sur YouTube pour qu’elles soient plus gourmandes encore. Les sourires sont immédiatement apparus sur les visages des passagers très éteints d’habitude. Des salves d’applaudissements ont clôturé ce tour de chant gastronomique et charcutier. Avant de passer les portes du salon, les visiteurs étaient déjà dans l’ambiance. 

La rusticité, la gouaille paysanne, la joie du bien manger et du bien boire, l’esprit vif et rieur qui se forge au grand air, l’amour des nourritures terrestres bien faites, tout cela transpire dans les allées des régions de France et d’Outre-Mer au salon. Il faut aller s’y ressourcer de temps en temps quand on est d’astreinte pour les rencontres institutionnelles. Parce que dans les salons du salon l’ambiance et les textes sont souvent tout autres. 

La tonalité politique du cru 2020 a été donnée dès l’arrivée du Président Emmanuel Macron le samedi matin sur le pavillon (1) de l’élevage. 

Une poignée de jeunes agriculteurs en concertation avec leurs ainés de la FNSEA avaient peaufiné les messages d’accueil et sorti quelques drapeaux et banderoles ceintes de slogans bien sentis. 

En accord avec le pléthorique service d’ordre et le protocole élyséen, ils se sont sagement mis en formation haie d’honneur face aux caméras. 

Les demandes adressées au chef de l’Etat tiennent en peu de mots. Le budget européen de la PAC doit être maintenu. La loi EGEA est insuffisante et doit être mieux appliquée pour relever les prix payés aux producteurs. Les produits phytosanitaires ne doivent pas être supprimés sans alternatives efficaces et économiquement soutenables. L’eau qui tombe en excès l’hiver doit pouvoir être stockée pour en disposer en été. Les contraintes pour produire ne doivent pas être supérieures en France à ce qu’elles sont pour les autres pays européens. Il ne doit pas entrer en Europe des marchandises produites avec des intrants qui sont interdits sur le continent. Les zones de non traitement sont une perte de production nette qu’il faut compenser et l’agribashing aggravé de violences et d’intrusions dans les élevages, les abattoirs et les exploitations doit cesser. 

Finalement, le Président s’est montré assez d’accord avec toutes ces demandes. Mais on va le voir, il y a loin de la coupe aux lèvres et le diable se range comme chacun sait dans les détails. 

Commençons par cette fameuse loi EGA censée permettre l’amélioration des prix payés à l’agriculteur par l’adossement de la contractualisation à des indices de coûts de production lorsque les prix sont déterminables à posteriori.  

 

Alors que pour la énième fois je rabâchais au milieu des vaches ma conviction de l’absurdité de cette fausse promesse, mon interlocuteur qui représente les intérêts de la grande distribution m’a répondu que je me trompais parce que cela marchait plutôt bien pour le lait.

Piqué au vif, je me suis mis en quête de comprendre en quoi cette loi pouvait bien avoir permis au producteur de lait d’être mieux rémunéré. 

La loi stipule que lorsque les prix ne sont pas fixés lors du transfert de propriété entre le producteur et son premier acheteur, le contrat qui les lie doit faire référence à des indices de coûts de production et des mercuriales qui doivent être pris en compte pour déterminer et justifier le montant du règlement qui lui est consenti.

Si le producteur est un coopérateur, on sait que le prix auquel il sera payé à la fin de la foire résultera de la performance des ventes réalisées par sa coopérative, de la qualité des marchandises qu’il aura livrées et des coûts internes à déduire. 

La meilleure des coopératives ne pourra jamais donner plus que ce qu’elle aura obtenu sur le marché dans la plus vive des concurrences avec ses compétiteurs et après qu’elle ait retenu ses coûts. Aucun indice de coût de production n’aura en soi la vertu et le pouvoir de déterminer le cours du lait, du beurre, du yaourt ou du fromage dans les box des supermarchés. Ces indices ne pourront être que des repères des seuils de résistance à défendre quelles que soient les offres concurrentes proposées. 

De plus, il est aussi utile de rappeler à ce stade que lorsque le producteur est un coopérateur, donc exerçant un pouvoir au sein de l’entreprise, il est co-décideur et coresponsable du prix qu’il se donne à lui-même. Au travers de sa coopérative, l’éleveur laitier se trouve être aussi le transformateur et le metteur en marché de son lait. Le résultat qu’il obtient pour son lait résulte donc de sa propre performance partagée avec ses collègues coopérateurs. 

Dans ce cadre, la loi n’est évidemment d’aucune utilité. Sauf à considérer qu’avant la loi, le directeur de la coopérative, pourtant sous le contrôle de ses administrateurs, n’avait aucune idée des coûts de revient de ses producteurs et se laissait ainsi aller à vendre trop bon marché alors qu’un peu de conscience des réalités vécues par ses producteurs aurait permis qu’il remonte ses prix et que le marché les auraient acceptés. La loi agirait alors comme un aiguillon envers les endormis, les paresseux, les installés peu préoccupés d’emmener leurs adhérents, de par leur couardise ou leur veulerie, vers le dépôt de bilan ou le suicide. 

Dévoiler un prix de revient peut sans doute dans le cadre coopératif aussi servir psychologiquement à diminuer la violence des négociations avec la grande distribution quand l’offre et la demande est assez équilibrée. En revanche lorsque l’offre est supérieure à la demande, il se trouvera toujours un offreur qui justifiera d’un prix de revient plus faible pour emporter le marché en baissant les prix. En cas de rareté, il sera à l’opposé plus difficile de profiter de la tension sur le marché pour monter les prix et engranger une marge bienvenue. Donner son prix de revient, c’est quand même renoncer au statut d’entrepreneur, accepter une sorte de salaire minimum et se soumettre à son client. 

La situation est un peu différente lorsque l’éleveur laitier livre son lait au travers d’une organisation de producteurs à une seule entreprise de transformation privée dans laquelle il n’est pas associé. Dans ce cas, le prix de son lait fixé à posteriori dépend du bon vouloir de la firme dont il est très dépendant, voire captif. Une firme qui peut se contenter de le tenir juste la tête hors de l’eau pour qu’il continue de produire et qui se donne pour but d’engranger le maximum de bénéfices en serrant la vis à ses apporteurs. 

C’est dans ce cas de figure que mon interlocuteur m’indiquait que la loi est efficace. Puisque maintenant le prix payé par l’entreprise Lactalis aux éleveurs laitiers doit prendre en considération, entre autres indices, des coûts de production. Le miracle aurait donc opéré. Ce que l’on me démontre en me mettant sous les yeux une courbe de paiement du lait par ladite entreprise Lactalis. Elle s’envole depuis trois mois. Le quasi modèle mathématique négocié entre les producteurs et le groupe pour calculer le prix du lait à payer a fait monter la cotation comparativement plus haut que celle l’on constate….chez les coopératives. Dont acte. Mais cela peut-il durer ? 

Il m’a suffi d’une courte visite sur le stand de Lactalis, présent pour la première fois sur le salon, pour comprendre que rien n’était moins sûr. Puisque évidemment on m’a clairement fait savoir que si les coopératives payaient moins cher et prenaient des parts de marché auprès des distributeurs, le mode de calcul âprement négocié devra être revu à la baisse pour coller au plus près du marché défini par d’autres et rester compétitifs.  

La loi aura donc fait illusion quelques jours avant que le marché n’impose à nouveau sa loi implacable. Loi qu’il vaut mieux accepter et comprendre pour trouver les bonnes solutions de valorisation du lait comme pour d’autres productions. 

La loi ne peut définitivement pas grand-chose pour la formation du prix dans une économie de marché ou l’autorité de la concurrence veille implacablement à ce qu’il n’y ait aucune entente sur les prix entre acteurs économiques indépendants les uns des autres.  

Est-ce à dire que les prix obtenus par les producteurs en agriculture sont condamnés à être des prix de misère ? Bien sûr que non. Mais l’amélioration des prix perçus par un producteur commence toujours par la prise de conscience de sa propre responsabilité dans les prix obtenus. Autrement dit, si j’apporte mon lait à une seule entreprise qui me fixe à postériori le prix et que j’accepte cette dépendance à son bon vouloir, je dois assumer ce choix et les limites qui vont avec.  

Si je ne suis pas satisfait de cette situation, je peux faire d’autres choix. Je peux arrêter de produire et changer de métier. Je peux m’associer avec d’autres producteurs et mettre en concurrence les acheteurs pour obtenir le meilleur prix du marché pour la qualité que je produis. Je peux aussi adhérer à une coopérative que je vais cogérer avec d’autres producteurs de lait et essayer de faire les meilleurs produits finis reconnus par les consommateurs pour avoir à la fin la meilleure valorisation possible de mon lait. Je peux aussi artisanalement transformer mon lait pour en faire des yaourts et des fromages et les vendre en direct aux consommateurs et en circuits courts. 

Je peux aussi m’associer avec d’autres producteurs, ou même rester seul, augmenter au maximum la taille de mon élevage, automatiser plus, avoir un vétérinaire salarié à plein temps, optimiser la production de lait par vache, créer ma propre entreprise de transformation. Non, là je rêve. Sommes en France quand même. Ici on fait des lois cosmétiques qui ne sont que des pansements sur des jambes de bois et on veille à ce que le paysan reste petit quand l’entreprise à laquelle il livre est encouragée pour être un géant mondial. 

Le prix de revient reste donc cette donnée essentielle, parfaitement unique à chaque producteur, qui permet de savoir à partir de quand on gagne ou perd de l’argent. On n’obtient sur le marché des prix supérieurs à son prix de revient que si à qualité égale un autre producteur ne propose pas un prix inférieur au sien. L’ajustement n’est pas instantané, mais tôt ou tard la sanction se produit. 

Si la loi a pu participer à forcer le dialogue et la négociation entre les producteurs et leurs acheteurs pour qu’il y ait un effort collectif pour remonter les prix, c’est sans doute déjà beaucoup. Mais en aucun cas il ne faut compter durablement sur ce dispositif pour éviter au producteur de s’émanciper, de gagner en autonomie et de maîtriser autant qu’il lui est possible son statut d’entrepreneur. 

C’est sans doute dans cette perspective que du côté des producteurs laitiers se fait jour une nouvelle revendication. Celle de permettre à un éleveur de pouvoir être adhérent de plusieurs organisations de producteurs, voire de plusieurs coopératives, afin qu’il puisse exercer des arbitrages vers le plus offrant et qu’un marché, une compétition entre acheteurs ait lieu à la sortie de l’étable. 

A ce jour l’apport total est la règle pour une coopérative et l’adhésion n’est possible qu’à une seule organisation de producteurs au sens européen des termes. Et on voit mal comment l’engagement  coopératif ou en organisation de producteurs qui est très proche pourrait s’accommoder d’une fidélité en pointillé.   

C’est évidement l’organisation de producteurs qui doit avoir le choix de ses clients. Elle est parfaitement possible. Mais il y a des exigences industrielles à cette reprise de liberté de la part des producteurs. Il faut en effet que leur organisation maîtrise la logistique de collecte, de stockage, voire d’une première transformation pour être en capacité d’arbitrer entre plusieurs clients. C’est-à-dire que les éleveurs laitiers n’arrêtent pas leur activité à la sortie de l’étable mais se dotent collectivement des moyens nécessaires à l’accès de leur production à un stade où un marché peut avoir lieu et avoir du sens. Compte tenu du nombre d’opérateurs de produits finis sur le territoire, cette perspective reste semble-t-il à ce jour théorique. 

C’est sans doute parce que la probabilité est très faible de voir les producteurs réussir à être directement confrontés au marché pour leur lait que le législateur a cherché des astuces techniques et psychologiques pour que le rapport de force soit moins déséquilibré. C’est ainsi qu’il a même été donné au producteur la possibilité d’exercer un recours pour prix abusivement bas non seulement envers un opérateur privé mais aussi à l’encontre de sa propre coopérative. Ce qui est quand même assez contradictoire avec le statut de coopérateur. 

Mais cela démontre qu’il a vraiment été tenté de bricoler aux lisières du droit un soutien aux producteurs dont l’efficacité réelle ne résiste malheureusement pas un seul instant à l’analyse objective. 

Poursuite de la ballade dans les allées du salon au prochain épisode…..

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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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