9 Octobre 2016
Je m’adresse demain par mail à tous les arboriculteurs adhérents de l’ANPP pour les informer et les mobiliser sur un projet réglementaire imminent qui les concernent.
Le sujet est très spécifique à l’agriculture, mais il illustre une méthode normative des pouvoirs publics qui se retrouve dans tous les secteurs d’activité.
L’équation bénéfices attendus au regard des risques encourus n’est plus de mise. L’existence d’un danger conduit par précaution à préférer son interdiction pure et simple. Au risque de devoir affronter des dangers plus grands encore.
Voilà pourquoi avec le souci de transparence que vous me connaissez je vous délivre la teneur de mon message à mes collègues.
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Attention danger : L’espace agricole menacé d’un rétrécissement brutal et inutile
A la requête de l’Association Nationale Pommes Poires, le Conseil d’Etat a demandé en juillet l’abrogation dans les six mois de l’arrêté du 12 septembre 2006 relatif à la mise sur le marché et à l’utilisation des produits phytopharmaceutiques et de leurs adjuvants.
Un nouvel arrêté est en cours de finalisation ces jours-ci par les quatre ministères concernés, agriculture, environnement, santé et économie.
A notre sens, ce texte réglementaire doit absolument satisfaire à quatre obligations pour être accepté et respecté dans les campagnes :
Protéger l’environnement et les personnes tout en préservant les terres agricoles et la compétitivité des agriculteurs français.
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La décision du Conseil d’Etat fait suite à 10 ans de mobilisation des arboriculteurs qui n’ont cessé de dénoncer l’inapplicabilité de l’arrêté du 12 septembre 2006 auprès de l’administration, des élus et enfin de la justice.
Les producteurs de pommes et de poires ont investi plus de 300 k€ dès 2008 dans un verger témoin pour démontrer que le respect strict de l’arrêté aboutissait inévitablement à une perte totale de la récolte.
C’est ainsi que nous avons pu dire au ministre de l’époque que s’il trouvait à l’automne des pommes ou des poires de France d’une belle qualité sur les étals, ce ne pouvait être que parce qu’un arboriculteur avait à un moment ou à un autre du cycle végétatif enfreint par nécessité les obligations réglementaires contenues dans cet arrêté. Y compris si cet arboriculteur respectait le cahier des charges de l’agriculture biologique.
Malgré les promesses de plusieurs Ministres d’agréer des moyens techniques permettant d’atteindre les objectifs réglementaires contenus dans l’arrêté, aucune avancée sensible n’a été possible. Bien au contraire. En 2010, ce sont 3 arboriculteurs adhérents de l’ANPP qui étaient trainés devant les tribunaux par des riverains et une association locale. Un non-lieu avait alors heureusement été prononcé.
Les contrôles de la police de l’eau (ONEMA) se sont ensuite multipliés, conduisant certains arboriculteurs devant les substituts du procureur de la République pour rappel à la loi. Des procès-verbaux ont été dressés et parfois des amendes signifiées. Ces derniers jours, un adhérent a reçu une convocation du tribunal correctionnel pour non-respect de cet arrêté en voie d’abrogation. Notre conseil va le défendre et nous espérons qu’il sera lui aussi innocenté.
En près de 10 ans et des contacts réguliers avec l’administration, il n’a pas été possible de faire évoluer le texte afin de pouvoir produire conformément à la loi. L’ANPP n’est évidemment pas restée inactive. Tous les constructeurs français ont été sollicités pour leur demander de faire évoluer leurs matériels d’application des produits phytosanitaires. Six pulvérisateurs performants qui réduisent la dérive de plus de 66% ont ainsi pu être pré-homologués au printemps dernier par les pouvoirs publics. Ils permettent de ramener les ZNT (Zones Non Traitées) à 5m le long des cours d’eau. Il aura pour cela fallu attendre 10 ans après la publication de l’arrêté.
Le Conseil d’Administration de l’ANPP considère depuis 2006 qu’il n’y a pas d’avenir possible pour l’arboriculture si elle ne peut exister qu’en enfreignant la loi. C’est ainsi qu’après avoir longtemps hésité, il a été décidé de faire appel au Conseil d’Etat pour abroger cet arrêté et engager l’épreuve de vérité entre notre métier, les pouvoirs publics et la société tout entière.
L’exaspération du monde agricole qui s’est accompagnée il y a peu d’un engagement solennel du 1er Ministre lorsqu’il déclare: « L’urgence, c’est aussi la simplification des normes […] il ne peut plus y avoir de sur-transposition » justifiait cette stratégie. Aucune nouvelle norme ne devait plus intervenir dorénavant sans étude d’impact et de faisabilité. Et surtout sans avoir préalablement vérifié la cohérence stricte avec les normes des pays européens concurrents lorsqu’elles vont au-delà du socle commun dans l’Union Européenne.
Le délai de six mois dont dispose le gouvernement pour émettre un nouvel arrêté et éviter tout vide juridique comprend également la notification à Bruxelles qui doit intervenir 3 mois avant l’entrée en vigueur du futur texte, soit courant octobre.
Dès août, un nouveau texte a été discuté entre les quatre ministères dont ceux de l’écologie et de la santé.
Nous avons eu connaissance d’une version intermédiaire qui malheureusement aggrave nettement la situation actuelle pour l’arboriculture et l’ensemble des productions végétales françaises. Elle multiplie les contraintes en instaurant de nouvelles zones non traitées le long des habitations et des forêts (ZNCA, Zones Non Cultivées Adjacentes) ou de larges dispositifs végétalisés permanents (DVP) visant à éviter le ruissellement en aval des parcelles.
Des combinaisons de moyens à mettre en œuvre permettraient de réduire la largeur de ces zones à ne pas traiter. Parmi ces moyens on cite certains nouveaux types de pulvérisateurs capables de réduire encore plus la dérive, les filets paragrêles ou des dispositifs végétalisés de hauteur diverse en fonction de la nature de la zone non traitée. Cependant à ce jour ces moyens ne sont pas identifiés et normés pour une conformité réglementairement de la réduction de la dérive selon l’abaque envisagée par le ministère.
Il semble que seules les ONG environnementales soient entendues en ce moment par l’Etat qui ne se pose pas la question de savoir si pour atteindre l’objectif légitime de protection de l’environnement et des personnes il faut nécessairement en passer par les mesures proposées. Les discussions semblent à sens unique. Le ministère de l’Ecologie pousse à imposer des mesures sans aucune étude d’impact sur la santé, l’environnement ou l’économie. Et plus grave encore sans aucune étude de faisabilité. Tout cela est parfaitement destructeur et en parfaite contradiction avec les engagements du Premier Ministre.
En début de semaine, les syndicats (FNSEA, JA, Coordination Rurale, Confédération paysanne) et les organisations professionnelles agricoles (APCA, Coop de France, ACTA…) ont été invités à discuter du projet de texte en préparation avec les Ministères concernés. Les représentants professionnels confirment d’ores et déjà le très fort durcissement des conditions de protection des cultures défendu bec et ongles par les représentants des ministères.
Nous devons donc tous nous mobiliser pour rappeler le gouvernement à ses engagements. Compte tenu des délais contraints, le prochain arrêté ne peut en aucun cas aller au-delà du précédent. Il doit en revanche tenir compte de l’expérience acquise sur les modalités de mesure de la vitesse du vent et la limite objective à respecter selon les moyens techniques mis en œuvre. Tout comme il doit prévoir la rentrée dans les parcelles à l’intérieur des délais de précaution dès lors que l’intervenant bénéficie d’une protection équivalente que lors de l’application des produits phytosanitaires.
Les contenus plus exigeants envisagés pour un nouvel arrêté doivent d’abord satisfaire au cheminement annoncé par le premier ministre avant d’être adoptés et d’avoir force de loi. INRA, fermes Dephy, Centres techniques, stations expérimentales, tout le dispositif existe pour valider d’abord sur le terrain les obligations souhaitées et pour en vérifier concrètement la faisabilité et l’utilité.
Chaque mètre carré de terrain utilisé à ce jour pour l’agriculture est un trésor pour nourrir la population du monde. Nous devons tout faire pour préserver le potentiel actuel qui n’a cessé de se réduire par l’urbanisation depuis des années. Tout doit être mis en œuvre pour à la fois maintenir les surfaces cultivées actuelles et éviter tout débordement des applications de produits phytosanitaires en dehors des parcelles cibles.
Des moyens techniques pour s’affranchir des distances maximum instituées par précaution doivent être testés et agréés avant de publier un arrêté d’application immédiate. Parce que forcément si ce n’est pas le cas, l’arrêté rejettera dans l’illégalité les agriculteurs ou bien appauvrira la ferme France de plusieurs millions d’hectares. Puisqu’une parcelle de terre qui ne peut pas être protégée, y compris en Agriculture biologique, est une parcelle qui ne produira rien.
En obtenant par nécessité l’abrogation de l’arrêté du 12 septembre 2006, l’ANPP a fait basculer malheureusement tous les agriculteurs dans des temps d’incertitudes et de menaces sur leur métier en raison de l’attitude des pouvoirs publics qui semblent disposés à passer outre leur engagement solennel devant les français.
Alors, puisse l’exaspération que l’on sent sourdre en profondeur dans les campagnes forcer les ministres à ne pas bruler les étapes et revenir promptement aux principes qu’ils ont eux-mêmes énoncés.
Tous les élus locaux ou nationaux doivent être alertés d’urgence de la catastrophe qui s’annonce et qu’il est encore temps d’éviter.
Chacun d’entre nous a vocation à prendre dès aujourd’hui toute initiative qui lui paraitra utile pour accélérer les prises de conscience et peser sur les décisions de nos ministres.
Daniel SAUVAITRE. Président de l’Association Nationale Pommes Poires
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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