5 Octobre 2016
J’emprunte un bout de mon titre à un Claude Belot en colère. Il mène la fronde à Jonzac contre le ministère de l’Education Nationale et la région Nouvelle Aquitaine. Il dénonce en termes crus mais intelligibles leur nullité conjointe dans l’accompagnement du développement indispensable selon lui du lycée Jean Hyppolyte.
Vaste programme aurait dit le Général. Mais si nécessaire par les temps qui courent. Et puis cela vous permet d’échapper à un autre titre beaucoup trop gore que ma colère mauvaise conseillère m’avait un temps soufflé.
D’où me vient me direz-vous un tel courroux envers les valeureux pensionnaires du Berlaymont à Bruxelles? Tout simplement de l’accumulation d’absurdités dont la Commission s’enorgueillit fièrement sans réserve. Alors qu’à mon sens les bizarreries ubuesques dont elle est l’auteur mènent l’Europe tout droit dans le mur.
Vous avez peut-être entendu comme moi il y a quelques semaines la commissaire danoise à la concurrence, Margrethe Vestager, annoncer avec autorité qu’elle demandait à Apple de verser à l’Irlande 13 milliards d’impôts en plus des quelques roupies de sansonnet que lui a facturé au fil des ans le paradis fiscal d’élection du fruit défendu préféré de Steve Jobs.
Tout le monde ou presque en Europe a applaudi cette décision. Après tout, que ce géant de l’informatique et des bénéfices se soit permis de profiter d’un taux d’imposition particulièrement avantageux proposé par un Etat membre de l’Union Européenne devait être condamné non ? Et comme c’est la règle en matière d’aides illégales consenties par un Etat membre à une entreprise, le montant déterminé par la Commission doit bien être remboursé à ce même Etat, majoré des intérêts cumulés pas vrai? Tout cela, faut-il le rappeler, pour remettre l’entreprise bénéficiaire de l’avantage indu dans la même situation de compétitivité que ses concurrents. Parce que comme chacun sait, la concurrence libre et non faussée est une règle sacrée en Europe. Et oui.
Tim Cook, le patron d’Apple, lui en revanche n’a pas très bien pris cette annonce. Le gouvernement irlandais non plus qui déclare même ne pas vouloir de cet argent et qu’Apple ne lui doit rien.
C’est là que mon point de vue diverge de l’assentiment généralisé qui s’exprime un peu partout en Europe contre Apple.
Que la politique fiscale de l’Irlande enfreigne les règles que se sont fixées les Etats membres est une évidence. Qu’Apple ne paye pas assez d’impôts en Europe est manifeste. Mais qu’après coup, l’Europe vienne dire à une entreprise que l’Irlande où elle a élu domicile lui a octroyé une aide illégale au regard du droit européen et qu’il faut donc la rembourser, devrait interroger un peu plus.
Comment peut-on en effet accepter que perdure un système qui laisse une entreprise croire à tort qu’un Etat membre de l’Union Européenne est responsable de ses choix fiscaux et des aides qu’il accorde à l’économie? Comment accepter que l’Union européenne, parce qu’elle est infoutue de mettre de la cohérence en amont dans les choix politiques et fiscaux de ses membres, puisse se manifester bien après pour corriger ce qui ne lui convient pas et faire payer la seule entreprise. L’Etat fautif n’étant quant à lui condamné qu’à recouvrer les aides illégales qu’il a consenties et emplir ainsi de force sa tirelire.
J’imagine que nombre d’entre vous ne sont sans doute pas encore convaincu qu’il y ait si maldonne que cela. Surtout quand le redressement fiscal concerne Apple.
Alors j’ai un autre exemple de la mise en œuvre d’une obligation de recouvrement d’aides illégales qui lèvera les doutes tant il est édifiant.
Au début des années 2000 un représentant professionnel en colère du Languedoc constitue un dossier qu’il adresse à Bruxelles pour dénoncer les aides apportées par l’Etat français au secteur des fruits et légumes. Chaque année en effet, les organisations des différents fruits et légumes négociaient en ce temps-là avec l’Office des soutiens pour différentes actions qu’elles mettaient en œuvre. Ces quelques subsides étaient la carotte bien utile pour stimuler le regroupement des producteurs et l’action collective.
Je n’ai jamais été fan de ces mécanismes qui font regarder du côté de l’Etat plutôt que d’être à l’écoute attentive du client. Mais ça, c’est une autre histoire.
L’Europe officiellement sollicitée met alors le nez dans ces fameux « plans de campagne » français. Le verdict tombe. Ce sont bien des aides illégales accordées par la France à ses maraichers et autres arboriculteurs à l’insu de son plein gré à elle l’Europe. Ces « plans de campagne » n’avaient en effet pas été notifiés à Bruxelles comme cela aurait du l’être par la France.
Dura lex sed lex. Il faut donc que les producteurs remboursent ces aides illégales à l’Etat français majorées des intérêts cumulés. En la matière la prescription est de 10 ans. Et le temps que la machine se mette en marche seront retenues les années 1998 à 2002. Le temps encore que l’identification des sommes et des bénéficiaires soit faite, les derniers recouvrements se terminent juste maintenant. Soit près de 18 ans plus tard.
Aller expliquer à un paysan que les quelques sous que l’Etat français lui a donné très officiellement en 1998 doivent lui être repris 18 ans plus tard majorés des intérêts courus n’est quand même pas simple. Le réflexe de bon sens paysan est de se dire que l’Etat, le gouvernement et son ministre de l’agriculture de l’époque doivent être tenus pour responsables et assumer leur tricherie à l’égard des engagements pris par la France à Bruxelles. Erreur profonde. L’Etat est responsable mais pas coupable. Sa signature au bas du chèque ne peut pas être revendiquée par le paysan comme preuve de sa bonne foi. Le paysan est seul responsable du recel de l’aide illégale et quelles qu’en soient les conséquences il doit les rembourser. Aucune circonstance atténuante ne peut être invoquée dès lors que l’entité juridique de l’exploitation perdure. L’avantage concurrentiel que le paysan a retiré de ces aides doit être annulé pour le remettre, même tardivement, en situation de concurrence équitable avec tous ses collègues européens.
Alors l’Etat français s’est mis au boulot pour aller chercher l’argent donné des années plus tôt. Tout ça en essayant que cela soit le moins douloureux possible pour la victime. C’est-à-dire en tentant de compenser autant que faire se peut cette amputation par les dispositifs actuels agrées par Bruxelles.
Je vous laisse imaginer l’énergie dépensée et la somme de travail que cela a représenté. Pourtant quand on sait que la variabilité des prix de revient en Europe pour les fruits et légumes est principalement liée au coût de la main d’œuvre et que comparativement les aides dénoncées ne font même pas l’épaisseur du trait, on mesure l’immensité de l’absurdité de cette règle appliquée à la lettre.
Quand j’ai eu à connaître précisément en 2008 comment aller se dérouler toute cette affaire de remboursement, j’ai naïvement pensé que politiquement au plus haut niveau en Europe, entre chefs d’Etats, il allait être décidé de tirer un trait sur cet épisode de la politique agricole française. Parce qu’au final tout cela était dérisoire. Et qu’en plus, malheureusement, cela n’a pas vraiment renforcé les paysans français qui dans le domaine des fruits et légumes ont continué à se faire tailler des croupières par leurs voisins européens.
Je pensais même encore plus naïvement qu’un puissant commissaire profiterait de cet exemple concret pour réviser la règle en matière d’aides illégales. Parce que si en théorie le principe de remise en état des conditions réglementaires de la concurrence entre entreprise peut se concevoir, dire aux citoyens que leur Etat n’est responsable en rien et les ministres encore moins est quand même bien plus grave. Que dans la hiérarchie des responsabilités l’Etat soit classé en dessous du simple paysan qui accepte le chèque que l’autorité publique lui donne à tort me parait être pure folie.
Et bien non. Personne ne trouve à redire à ce système. A part moi. Sauf peut-être aussi les peuples qui deviennent chaque jour un peu plus anti européens.
Dans le prochain article je vous parlerai des travailleurs détachés….
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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