12 Juin 2016
De mon village à Strasbourg en passant par Paris, Bordeaux ou Bruxelles et même ailleurs en Europe et dans le monde, comme nombre d’autres porte-paroles du monde paysan, je me démène sans compter ces temps-ci pour faire savoir à tous les échelons de décision l’implication des agriculteurs à satisfaire aux réglementations de plus en plus contraignantes qui encadrent leur activité. J’essaie dans le même temps d’exprimer combien il devient difficile pour un paysan de nourrir et de protéger ses cultures des aléas climatiques tout comme des maladies et des multiples ravageurs pour réussir à mettre sur le marché des produits de qualité à la meilleure valeur marchande possible. J’explique inlassablement aussi que tout cela doit être réussi en maîtrisant au mieux les coûts de revient pour assurer la viabilité économique d’une ferme et recueillir un revenu suffisant à l’agriculteur pour nourrir sa famille. J’alerte aussi qui veut bien m’entendre sur la situation particulière des fruits et des légumes dans notre pays dont la production diminue lentement et laisse de plus en plus de place aux importations.
Je dois malheureusement reconnaître que ces démarches n’ont pas l’effet escompté et que l’écoute réelle devient chaque jour un peu plus inversement proportionnelle au désarroi grandissant des agriculteurs.
Politiques, haute administration, ONG, médias, tous considèrent que les marges de progrès sont immenses et que c’est avant tout du côté de la mauvaise volonté des agriculteurs qu’il faut agir. Et que même si des progrès de recherche sont encore nécessaires, beaucoup de solutions sont déjà disponibles pour réduire nettement les intrants qui s’appellent engrais ou autres produits phytosanitaires issus de la chimie de synthèse.
A l’occasion de la venue du Président de la République à Bordeaux pour inaugurer la Cité du vin, le journal Sud Ouest a pu l’interviewer et après avoir rappelé que la viticulture, comme le monde agricole, est sous pression par rapport à l’usage des pesticides, lui a posé la question de savoir s’il est urgent d’en sortir.
Ce à quoi François Hollande a répondu : « la réduction de l’utilisation des pesticides est engagée depuis plusieurs années par les professionnels. C’est un enjeu de santé publique. L’Etat a pris ses responsabilités au travers du plan Ecophyto. Le ministre de l’Agriculture se mobilise auprès de la Commission européenne pour réduire étape par étape le recours aux pesticides. Demain, les innovations et la généralisation des bonnes pratiques en amont permettront de produire de mieux en mieux sans recours à ces intrants. »
Le Président de la région Aquitaine Alain Rousset, après avoir entendu Bernard Farges, le Président du Conseil Interprofessionnel des Vins de Bordeaux, dire son objectif de diminution forte, voire même la sortie de l’usage des pesticides, répète ces temps-ci à peu près la même chose.
Je pourrais multiplier presqu’à l’infini les exemples d’annonces de ce type qui évoquent clairement qu’il est déjà possible de faire bien mieux dès aujourd’hui, même si pour atteindre le but ultime quelques solutions restent à trouver.
D’un côté cette antienne de juges sévères et de commentateurs sûrs d’eux qui dénonce l’usage abusif des intrants et de l’autre des agriculteurs les mains dans la terre qui recherchent concrètement l’optimum agronomique et économique dans le respect des réglementations en vigueur.
C’est en écoutant Alain Rousset s’émouvoir de l’acquisition de 1700 hectares de terres berrichonnes par un groupe chinois que je me suis dit qu’il était temps de quitter les injonctions et les suspicions envers les agriculteurs pour enfin passer aux travaux pratiques.
Les agriculteurs ne cessent de faire évoluer leurs modes de production en s’inspirant des innovations et des réussites obtenues par d’autres agriculteurs près d’eux comme ailleurs. C’est une profession où le fameux benchmarking fonctionne sans discontinuer depuis la nuit des temps.
Il suffit donc aujourd’hui de montrer la voie à ces vaillants laboureurs à la main verte pour que très rapidement leur mode de production évolue.
Je propose pour cela que l’Etat, voire une région, achète la plus grande surface possible de terres disponible. Pourquoi ne pas réquisitionner par exemple ces fameux 1700 hectares acquis malencontreusement par des chinois ? Ce serait une surface suffisante pour implanter les fermes expérimentales dont nous avons un besoin urgent.
Une fois la terre acquise, c’est le savoir-faire qui est le plus essentiel à mobiliser. Je propose pour cela que l’on réunisse dans un Haut Conseil scientifique, agronomique et technique les meilleurs parmi tous ceux qui s’expriment dans les médias pour indiquer les possibilités offertes par l’agriculture biologique, agro-écologique, voire naturelle.
Pour s’assurer du sérieux parfait des préconisations agronomiques qui seront faites, je propose de confier la présidence de ce Haut Conseil au directeur scientifique de l’INRA, Christian Huyghe. Engagé résolument dans Ecophyto, il contribue aujourd’hui à trier savamment et mathématiquement le bon grain de l’ivraie des pratiques agricoles pour que soient mis en œuvre utilement les certificats d’économie phytosanitaires(CEPP). Ces petits derniers nés sont, vous le savez déjà, destinés à contraindre les distributeurs d’intrants pour qu’ils battent leur coulpe et prescrivent aux agriculteurs des solutions douces pour la planète.
Fort de l’autorité de cette incontestable et éminente personnalité, je propose de faire entrer dans l’équipe des agronomes réputés comme Marc Dufumier, Lydia et Claude Bourguignon. Mais aussi des scientifiques engagés comme le professeur Gilles-Eric Séralini ou Dominique Belpomme. J’en passe et de biens meilleurs sans doute.
Je pense qu’il est tout autant indispensable de demander à Pierre Rabhi d’éclairer de sa philosophie humaniste de la nature l’organisation des fermes et des systèmes de production à créer. Tout comme sur un plan plus politique il serait judicieux d’associer Laurent Levard, l’auteur du programme agricole pour le Front de Gauche qui a si parfaitement décrit les leviers des alternatives au modèle agricole dominant d’aujourd’hui en termes d’emplois et de respect des équilibres naturels.
Ce serait aussi l’occasion de créer un collège d’experts des ONG très impliquées pour une agriculture qualitative et naturelle. Je pense bien sûr à François Veillerette pour Générations Futures, mais il y en a bien d’autres à France Nature Environnement, à Greenpeace ou dans de nombreuses autres qui militent pour un monde meilleur.
Je pense qu’il n’y aurait pas de difficultés à obtenir aussi de Stéphane Foucart, journaliste au Monde, qu’il pilote une cellule de communication des résultats obtenus auprès du grand public afin de les mobiliser pour que les productions obtenues soient assurées d’un débouché auprès de consommateurs solidaires.
Tout cela est à peaufiner bien sûr. Mais voilà, je pense qu’il y a lieu de faire prendre en charge par la collectivité et sans lésiner la contribution de cette communauté bienveillante de scientifiques, de chercheurs, d’experts, de politiques et de communicants. Du large rassemblement de toutes ces intelligences viendra la certitude de la réussite du projet agricole qu’auront à porter les candidats à l’installation sur les terres redécoupées en autant de fermes qu’il sera jugé pertinent au regard du modèle agricole alternatif à mettre en œuvre.
Les terres, les infrastructures, le matériel, le savoir- faire réuni dans et autour du Haut Conseil, sont des investissements et des charges à assumer par la collectivité régionale ou nationale.
Il sera consenti aux candidats à l’installation sur les fermes des loyers correspondants à des durées longues d’amortissements des bâtiments, équipements et matériels, sans intérêts compte tenu des taux négatifs auxquels emprunte l’Etat en ce moment. Une trésorerie elle aussi sans intérêt sera également mise à disposition des pionniers de cette nouvelle agriculture.
Nul doute que dans ces conditions les candidats seront légion. Au-delà du soutien technique qui sera offert et du système locatif qui permettra d’accueillir des candidats à l’installation sans le sou mais motivés, chaque ferme sera économiquement indépendante et ne recevra que les subventions en vigueur pour l’ensemble des autres agriculteurs du pays. Le label Bio ou peut-être "Agri Après Demain" seront les leviers de valorisation qui permettront une bonne rémunération du travail effectué.
Le besoin en main d’œuvre dont on sait par avance qu’il sera important sera aisément couvert par le vivier de candidats connu de Pôle Emploi. Il va de soi qu’il ne pourra être question d’avoir recours aux travailleurs détachés sur ces fermes de démonstration du modèle agricole qui doit diffuser auprès des autres agriculteurs du pays demeurés à ce jour dans l’obscurité jusqu’à cette initiative. Le code du travail, avec ou sans loi El Khomri sera évidemment scrupuleusement respecté.
J’ai hâte de tester ce projet auprès de tous mes collègues agriculteurs dont je connais l’impatience à voir ce dont sont capables tous ceux qui les sermonnent et les accablent. Nul doute qu’ils s’empresseront d'aller voir comme moi pour puiser les recettes intemporelles auprès de ces défricheurs qui permettront à nos fermes de retrouver cette apesanteur quasi divine des équilibres naturels source d’une réussite agronomique féconde.
Avec juste l’eau du ciel et des intrants naturels qui ne devront bien sûr pas être toxiques au delà des critères en vigueur pour les produits issus de la chimie de synthèse, un pilotage agronomique de très haut niveau, verra le jour enfin cette agriculture d’évidence que l’on ne nous faisait que miroiter aux alouettes jusqu'à ce jour.
Enfin, la société toute entière pourra spontanément se réconcilier avec ses agriculteurs et ce ne sont pas quelques mycotoxines, même si elles devaient donner lieu à quelques douloureuses morts naturelles, qui entacheront le jardin d'Eden retrouvé.
« Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde » disait Ghandi. Mobilisons-nous donc tous pour permettre à tous ceux qui savent et qui parlent aujourd’hui de nous montrer concrètement la voie.
L'humanité pourra enfin se sucer la pomme sans entraves, sans cette chimie tue l'amour qui aseptise nos vies sous cloche d'urbains artificiels.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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