6 Mars 2016
J’avais encore la tête dans les brumes du Dakota quand je me suis présenté bien avant sept heures devant les grilles du parc des expositions porte de Versailles samedi dernier. Pas facile en effet de me détacher des images du film de la veille. J’en étais encore à retenir mon souffle et à me raidir sur mon siège aux côtés d’Hugh Glass, ce trappeur de légende incarné par Leonardo Di Caprio qui a réussi une lutte surhumaine pour survivre.
Mais c’est un autre revenant, bien couturé de partout aussi, que je venais voir de si bon matin. François Hollande, tout juste rentré d’un périple en Amérique du Sud et en Polynésie inaugurait le salon de l’Agriculture. Début des hostilités et du tournage à 6H47 précises dans cet autre territoire d’indiens qu’est le Hall 1, avec ses éleveurs sur la paille décidés eux aussi à vendre chèrement leur peau aux côtés des bisons et autres veaux, vaches, cochons.
Il fallait s’y attendre, après des semaines de manifestations éruptives ici où là dans toute la France et bien peu d’annonces gouvernementales apaisantes, le passage du Président dans la foire, couvert par une forêt de micros et de caméras, était une opportunité médiatique à saisir pour faire connaître la détresse d’une partie de l’agriculture dans l’hexagone.
Si j’en crois le récit qui m’en a été fait par la suite au stand de la Fédération Nationale Bovine, c’est l’initiative des agents de sécurité contre des éleveurs qui leur avaient semblés menaçant qui a déclenché la première bronca. Les noms d’oiseaux et les appels à la démission ont alors fusé. Les visages du cortège, à l’instar de celui de François Hollande, se sont fermés et l’effectif innombrable des services de sécurité a redoublé sa surveillance inquiète.
Joël Sillac est éleveur à Perquie près de Mont-de-Marsan. Il est l’heureux propriétaire de Cerise, la magnifique vache de race bazadaise égérie de ce 53ème salon. Il a été l’un des premiers à accueillir le Président à son arrivée. Il m’a raconté le lendemain comment il l’a trouvé distant et peu intéressé par la présentation de son travail et des difficultés du moment vécues par les éleveurs. Jusqu’à ce qu’il lui dise que le ruban noir mis à la corne de Cerise n’était pas là pour témoigner de la crise mais en mémoire des victimes du 13 novembre dernier à Paris. Le Président serait alors revenu vers lui, soudain bien plus attentif à tout ce qu’il avait à lui dire. L’identité d’un territoire, la qualité de la production, la diversité à préserver, la passion du métier qui l’emporte sur l’exigence d’un meilleur revenu, le devoir de vérité envers le fils qui envisage de poursuivre. Tout, il a pu tout dire. Joël est à l’image de tant d’autres agriculteurs sur le salon et dans chaque village de France. Il est de ceux qui rendent humbles les plus blasés tant tout ce qu’il exprime témoigne d’un dévouement, d’une simplicité et d’une générosité déconcertantes. Le Président l’a-t-il ressenti?
Je me retrouve ensuite dans l’escalator parallèle à celui de François Hollande, à un mètre de distance de son air sombre et des gardes du corps à oreillette, pour rejoindre la passerelle et ensuite le hall 2.2. Au pas de course. Je dégaine mon smartphone et clique sans me prendre de claque. Merci Kojak.
Plus besoin d’anti monte lait dans la bouilloire au stand d’Interfel. Si tout n’y est pas rose, l’ambiance est plus sereine et le dialogue apaisé. François Hollande reprend son air potiron et retrouve le sourire en même temps que les bonnes poires et nos pommes pas toutes corréziennes.
C’est donc au pied d’une tour Eiffel parée de tous les fruits et légumes de France que le Président s’étonne de l’enquête diligentée par Bruxelles envers Intermarché. L’épicier a annoncé son engagement à ne pas descendre en dessous d’un prix plancher pour ses achats de porc français. Mais voilà, l’UE considère que c’est discriminant pour les autres pays de l’union.
Interdiction des ententes, liberté des échanges et des prix, moyens de régulation des déséquilibres entre l’offre et la demande, relations commerciales inéquitables, différences de compétitivité et de normes au sein de l’UE et en dehors, bio, labels, AOP, marquage des origines et différenciations qualitatives, la situation alarmante des éleveurs laitiers et des éleveurs de porcs a exacerbé tous ces débats et nourri la plupart des discussions de salon.
L’ambiance de la foire et son chahut permanent n’est pas le lieu idéal pour faire progresser le schmilblick sur ces questions essentielles. Je crains malheureusement que le terrain n’y soit plutôt propice aux promesses politiques intenables et à la mobilisation des représentants professionnels pour des échanges sans fin dans de mauvaises directions. On s’échauffe, on brule du gaz, on cherche à tricher avec les réalités et surtout on ne dit pas la vérité. Elle semble insupportable.
François Hollande reparti du salon, je me suis demandé ce que l’on pouvait retenir de son passage. D’un côté sans doute, une empathie répétée envers le monde paysan qui souffre. Et de l’autre, le renvoi à la responsabilité de son prédécesseur pour avoir libéralisé les négociations de prix entre les distributeurs et leurs fournisseurs. Ou sur celle de Bruno Le Maire pour avoir été ministre quand il a été décidé à Bruxelles de mettre fin aux quotas de production pour le lait. Mais rien qui permette de penser qu’il assume clairement une stratégie et une politique. Ou de l’art de ne pas être président tout en laissant croire qu’on l’est.
En plus du tour des exposants de la nouvelle région Aquitaine, j’ai profité de mon dimanche pour aller à la rencontre des représentants du lait, de la filière porcine et de la viande bovine. Pour tenter de comprendre un peu mieux les causes de la crise et surtout les solutions à mettre en œuvre pour en sortir.
Et comme à chaque fois, toutes les idées préconçues tombent une à une. Nulle baguette magique pas plus que le volontarisme politique ne feront se redresser spontanément les cours. Dès lors que l’équilibre entre l’offre et la demande est rompu, en ce moment en défaveur de l’offre, seul le retour à l’équilibre permettra aux cours de se relever. Compte tenu de la multiplicité des acteurs et de la liberté des échanges, la baisse de l’offre ne peut venir que du choix individuel des acteurs.
En complément, on peut aussi compter sur le réflexe patriotique des consommateurs qui accordent assez facilement une préférence positive à l’origine France dès lors qu’elle est clairement identifiée sur les produits. Toute différentiation pertinente permet en effet de segmenter le marché et peut être valorisée.
Sauf rareté conjoncturelle, dès lors qu’une production est indifférenciée son prix est tiré vers le bas. Ne peuvent résister que les producteurs dont l’efficience est la plus forte, le prix de revient le plus bas ou bien qui perçoivent le plus de soutiens.
C’est sur ce terrain que les responsables politiques ont à s’exprimer plutôt que de louvoyer en pointant la responsabilité vers les acteurs économiques. Ces derniers agissent dans un cadre légal et réglementaire qui leur est imposé. Et là encore, s’il y a lieu de faire évoluer, c’est au politique de l’assumer.
Le Président et son gouvernement veulent-ils rétablir des quotas de production, transférer à l’UE la compétence en matière de salaire minimum, de temps de travail et de réglementation sociale, rétablir des droits d’entrée pour les marchandises aux frontières de l’Europe, instituer de nouvelles aides à l’exportation, remettre en cause le droit de la concurrence et fixer les prix par accords interprofessionnels, instituer à nouveau un coefficient multiplicateur, voire même protéger spécifiquement un mode de production différent en France? Ou bien assument-ils le cadre légal et réglementaire en vigueur à ce jour dans notre pays et en Europe ?
Si comme je le pense ils n’ont pas le moins du monde l’intention de remettre en cause les principes fondamentaux adoptés par notre pays, il y a urgence à faire savoir comment la France entend se rendre pragmatiquement plus compétitive en Europe et dans le monde.
Ce sont ces mêmes questions auxquelles les candidats de la droite et du centre ont à répondre. Il est en ce sens inquiétant de constater que face à la crise et au risque de soulèvement d’une profession on puisse laisser entendre que les principes de liberté pourraient ne pas concerner l’agriculture. Qu’un encadrement spécifique des marchés serait possible et nécessaire tout en restant dans l’UE et sans trop tenir compte de l’avis des autres pays membres. Que la France pourrait redevenir la Suisse ou le Japon pour son agriculture. Attention à ne pas entrer par facilité dans ce cercle vicieux des promesses intenables.
Lundi, à l’heure du déjeuner, c’était au tour de Manuel Valls accompagné de Stéphane Le Foll et de Xavier Beulin de s’arrêter sur le stand d’Interfel après semble-t-il une déambulation de près de six heures dans les allées du salon plus sereine que celle du Président.
Une énième requête de notre part pour abandonner le projet impossible de l’évaluation de la pénibilité au travail suivie en réponse de la même volonté affichée de faire simple et pragmatique. En la matière la marche arrière ne semble pas exister, quelle que soit la bêtise dans laquelle on s’engage.
Un petit rappel au passage du décret contractualisation obligatoire pour les fruits et légumes entre le producteur et le premier metteur en marché, dénoncé solitairement sur ce blog dès son initiation, qui bien qu’il n’ait jamais été appliqué dans le sens souhaité et après que l’unanimité se soit faite pour acter son inutilité, est toujours en vigueur.
Une avancée semble-t-il sur l’obligation de la complémentaire santé dès le premier jour d’embauche d’un salarié, même saisonnier, qui fait s’arracher les cheveux le service paie dans les entreprises. Ce sera au salarié d’en exprimer le souhait.
Et puis un nouvel échange sur la cerise française menacée par le moucheron asiatique invasif Drosophila Suzukii. A ce jour, dans les lieux où la pression de cet insecte est très forte, le retrait d’homologation du diméthoate qui vient d’être décidé équivaut à la fin de la production de cerises. Les autres pays producteurs en Europe et en dehors maintiennent l’utilisation de cette matière active. Ce qui signifie que nous allons vivre dès cette année le temps des cerises turques, espagnoles, italiennes, allemandes mais plus françaises. Nous demandons à bénéficier de la même réglementation que les autres pays producteurs au sein de l’Europe ou bien l’interdiction d’importer des cerises en provenance des pays où le diméthoate est utilisé. L’ANSES a retiré l’homologation mais le ministère de l’agriculture peut accorder une dérogation pour 120 jours. En revanche, il ne serait pas simple d’interdire l’importation sur ce critère puisque les normes européennes en matière de résidus seraient parfaitement respectées. Difficile au regard de nos échanges de savoir ce qui va être décidé.
Je passe sur la demande répétée par la profession de revenir sur les coupes budgétaires qui ont supprimé les soutiens à la promotion des productions agricoles par France Agrimer. Je n’ai jamais vraiment eu la foi sur ce sujet.
Je teste en revanche auprès du premier ministre un discours un peu délicat pour un libéral. J’explique que les organisations de producteurs sont membres d’Associations d’Organisations de Producteurs reconnues par produit. Leur reconnaissance s’est faite après que la DGCCRF ait vérifié qu’il n’y avait pas de risque de position dominante sur le marché pertinent dudit produit. Puisque par essence une AOP peut être le metteur en marché unique des productions de ses membres.
Il se trouve que nos AOP ne font pas d’acte commercial et que leurs membres gardent leur complète autonomie sur les marchés. Ce qui signifie immédiatement qu’ils n’ont pas le droit d’échanger entre eux sur les prix qu’ils pratiquent ou qu’ils projettent d’obtenir. Même si aucune entente n’est réalisée, il suffit que les moyens d’une entente aient été mis en œuvre pour que le délit existe et que la sanction financière tombe. Alors que s’ils commercialisent ensemble la totalité de ce qu’ils détiennent au même prix, n’étant pas en abus de position dominante, tout est parfaitement légal.
Ce que je propose, c’est que les membres des AOP puissent échanger sur les volumes et les prix qu’ils pratiquent, voire même s’entendre librement et sans bien sûr sans se contraindre. Dans la réalité, sans cadre contractuel l’entente est pratiquement impossible tant le nombre de metteurs en marché est important. Et puis bien entendu, si une entente devait conduire à un abus de position dominante elle serait sanctionnée. En revanche, ces échanges libres entre opérateurs participent d’une régulation ô combien utile pour des productions et des consommations soumises aux vicissitudes du climat. S’il n’est pas possible d’inverser les tendances de prix, il est envisageable d’en limiter les excès. En tout cas, à mon sens, cela peut tempérer l’obligation de concentration des opérateurs pour peser plus sur les marchés et permettre à peu de frais de limiter la violence des crises. En cas de surproduction, une résistance à la baisse peut en découler face à des acheteurs inquiets de payer plus cher que leur concurrent. En tout cas un peu de souplesse sur la doctrine du côté des moyens mis en œuvre ne ferait pas de mal. Le sujet est devenu tabou, mais il m’a semblé que la violente crise des prix sur le lait et la viande justifiait que l’on étudie la question.
J’ai écourté un rendez-vous et je suis revenu sur le salon jeudi après-midi à 16 h, ayant été informé du passage d’Emmanuel Macron accompagné de Martine Pinville au stand d’Interfel.
J’ai ainsi pu évoquer une deuxième fois ma demande de souplesse sur le droit de la concurrence au sein des AOP. J’ai évidemment tenu à préciser au ministre que j’étais libéral. Ce à quoi il a répondu : « moi aussi ». Peu de temps avant, après que mes collègues aient copieusement râlé sur France 2 et ses émissions manipulatrices, je lui ai soumis la proposition qui m’est chère de privatiser cette chaine. Il s’est retourné vivement en s’exclamant : « je ne suis pas contre ».
Clap de fin…provisoire.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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