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Coup de calcaire contre un amendement dans le champ des fruits et légumes frais. Marge arrière toute.

Je n’aime jamais tant la loi que quand elle définit des règles du jeu simples, claires, justes et efficaces. C’est ainsi que l’attention du législateur à l’efficience du marché des fruits et légumes frais par la transparence des prix entre les opérateurs est précieuse et nécessaire. Son initiative en 2010 pour mettre fin aux rabais, ristournes et remises qui brouillaient les termes de l’échange entre les producteurs et les distributeurs est en ce sens une très belle réussite à mettre à son actif.  Par la suite, un encadrement équitable et pragmatique négocié entre les acteurs du marché pour traiter les non conformités a parfait le nouvel environnement réglementaire. Ce n’est que du bonheur depuis.

Mais voilà, la compétition très vive qui s’exerce entre les entreprises exacerbe leur créativité pour trouver des failles dans le dispositif réglementaire et arracher ici ou là un peu de marge arrière récurrente. Après une période plutôt calme depuis 2000, les juristes des acheteurs ont repris l’initiative. Hardiment, ils tentent d’optimiser les possibilités que leur donne encore la loi de valoriser auprès des fournisseurs des éléments de leur travail qu’ils considèrent abusivement être un avantage spécifique développé pour eux.  En rouvrant bruyamment la boite de Pandore des marges arrières, ils ont, vous vous en doutez mes chers lecteurs, suscité la contre offensive de leur cible. Quelques sénateurs alertés se sont alors emparés du dossier et en accord avec le ministre Macron, ils ont tenté de faire passer le petit amendement qui va bien pour redonner sans feu d’artifice sa pureté originelle à l’économie de marché des fruits et légumes frais. Trop simple et trop beau sans doute. Un tir de barrage venu d’où on ne l’attendait pas a fait rejeter la clarification autant souhaitée que nécessaire.

Etant donné, si j’ose dire, les circonstances dans lesquelles cet amendement a été rejeté vendredi au Sénat, les réactions des dépités promettent d’être à la hauteur des marges arrières qu’ils s’enquillent.

Pour mieux comprendre de quoi il s’agit mes chers lecteurs je vous ai recopié le verbatim des débats publié sur le site du sénat.

Séance du 10 avril 2015 : compte rendu intégral des débats

Articles additionnels après l'article 10 C

Mme la présidente. Je suis saisie de deux amendements identiques.

L'amendement n° 220 rectifié ter est présenté par Mme Malherbe, MM. Bertrand, Collombat, Arnell, Castelli, Collin, Esnol et Fortassin, Mme Laborde et MM. Mézard et Requier.

L'amendement n° 730 rectifié est présenté par MM. Camani et Guillaume, Mmes Bricq, Emery-Dumas et Génisson, MM. Bigot, Cabanel, Filleul, Marie, Masseret, Raynal, Richard, Sueur, Vaugrenard et les membres du groupe socialiste et apparentés.

Ces deux amendements sont ainsi libellés :

Après l'article 10 C

Insérer un article additionnel ainsi rédigé :

L'article L. 441-2-2 du code de commerce est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par les mots : « ou prévoir la rémunération de services rendus à l'occasion de leur revente, propres à favoriser leur commercialisation et ne relevant pas des obligations d'achat et de vente, ou de services ayant un objet distinct » ;

2° Au deuxième alinéa, après les mots : « à la commande », sont insérés les mots : « ou prévoir la rémunération de services rendus à l'occasion de sa revente, propres à favoriser sa commercialisation et ne relevant pas des obligations d'achat et de vente, ou de services ayant un objet distinct ».

L'amendement n° 220 rectifié ter n'est pas soutenu.

La parole est à M. Yannick Vaugrenard, pour présenter l'amendement n° 730 rectifié.

M. Yannick Vaugrenard. Cet amendement, cher à mon collègue Pierre Camani, coprésident du groupe d'études fruits et légumes, vise à défendre les producteurs de fruits et légumes, trop souvent malmenés par la grande distribution dans les négociations de contrats-cadres annuels, où on leur impose souvent des services dont l'objet est distinct de la vente proprement dite.

La cour d'appel de Paris a d'ailleurs récemment condamné un grossiste en fruits et légumes pour des pratiques de fausse coopération commerciale destinées à passer outre la loi de modernisation de l'agriculture et de la pêche prohibant l'obtention de remises, rabais et ristournes lors de l'achat de fruits et légumes frais. Elle a retenu que « de telles pratiques créent un trouble à l'ordre public économique en ce qu'elles faussent le marché de la libre concurrence en créant des prix artificiels ».

Certains grossistes proposent des services annexes, comme la mise en avant des produits sur les lieux de vente, le référencement numérique ou encore la centralisation des commandes, qui ne relèvent pas de la vente et sont irréalisables en pratique, d'autant que peu de fournisseurs disposent de marques commerciales valorisables, en rayon comme sur internet.

Ce contournement est aujourd'hui rendu possible par la possibilité offerte par la loi de rémunérer des services de coopération commerciale ou des services ayant un objet distinct, sous réserve que ceux-ci soient prévus dans un contrat écrit portant sur la vente des produits par le fournisseur.

Il apparaît ainsi que certains distributeurs ont pu imposer par ce biais la rémunération de services fictifs ou disproportionnés, imposés sans négociation lors de la signature des contrats-cadres annuels. À l'heure où ces contrats se négocient, ces contournements à la règle des « 3R nets », c'est-à-dire remises, rabais, ristournes, déstabilisent le secteur des fruits et légumes au profit de la grande distribution.

Notre amendement vise donc à éviter ces contournements, en précisant la rédaction de l'article L. 441-2-2 du code de commerce, afin d'en conforter l'esprit initial, à savoir la nécessité de lutter contre les déséquilibres dans les relations commerciales entre producteurs et acheteurs.

Toutefois, il paraît essentiel d'adapter le dispositif aux réalités et nécessités de la pratique : en certaines occasions, quand ils sont négociés correctement, ces services peuvent être utiles aux deux partenaires commerciaux. Il convient donc de permettre à l'interprofession de définir les conditions dans lesquelles leur rémunération serait autorisée.

Mme la présidente. Quel est l'avis de la commission ?

Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur. Cet amendement tend à interdire les conventions de coopération commerciale entre distributeurs et fournisseurs, sauf s'il existe un accord interprofessionnel les encadrant.

Or il y a déjà un dispositif permettant de sanctionner la fausse coopération commerciale, notamment dans les cas où la rémunération du distributeur est disproportionnée par rapport au service réellement rendu. Le 1° du I de l'article L. 442-6 du code de commerce interdit une telle pratique.

La victime peut saisir les tribunaux pour obtenir réparation. Mais cette saisine est aussi possible par le ministre, ou, en pratique, par la DGCCRF. Le distributeur qui propose une fausse convention de coopération commerciale s'expose à une amende de 2 millions d'euros pouvant être portée au triple des sommes indûment versées.

Le secteur des fruits et légumes n'est pas celui dans lequel les conventions de coopération commerciale sont les plus fréquentes. L'intérêt d'un dispositif spécifique d'encadrement de la coopération commerciale par un accord interprofessionnel ne paraît donc pas flagrant, d'autant qu'un tel accord ne permettra pas de mettre en place un régime de sanctions : les interprofessions ne disposent pas d'un pouvoir de discipline sur leurs membres.

En outre, rien n'interdit à l'interprofession de fournir aux acteurs de la filière fruits et légumes frais un guide de bonnes pratiques concernant les conventions de coopération commerciale, guide qui aura les mêmes effets qu'un accord interprofessionnel et pourra servir de référentiel aux parties, mais aussi à la DGCCRF ; cette dernière sera ainsi en mesure d'apprécier les cas d'abus.

L'avis de la commission est donc défavorable.

Mme la présidente. Quel est l'avis du Gouvernement ?

M. Emmanuel Macron, ministre. Le Gouvernement émet un avis favorable sur cet amendement, qui n'est pas redondant par rapport aux dispositifs existants.

Avec un tel mécanisme, la coopération commerciale serait fortement limitée dans le secteur. Pour préserver une possibilité de négocier, il est proposé de définir par accord interprofessionnel les conditions dans lesquelles les services de coopération commerciale ou des services distincts de ces derniers pourraient être négociés entre les producteurs et leurs clients.

Le déséquilibre du rapport de forces entre les producteurs et les distributeurs au sein de la filière fruits et légumes frais avait déjà conduit en 2010 le législateur à interdire, de manière spécifique, les rabais, remises ou ristournes pour l'achat des produits en question.

La cour d'appel de Paris a récemment condamné le fait de se faire rémunérer des services fictifs de coopération commerciale en vue de contourner l'interdiction des rabais, remises ou ristournes ; je fais référence à l'arrêt rendu le 15 janvier 2015 dans le cadre de l'affaire Blampin.

Le dispositif proposé apporte un complément utile, afin de mettre un terme aux stratégies de contournement que l'on observe encore. Il semble que la pratique dans le secteur légitime une telle démarche.

Une interdiction dans un secteur particulier où la coopération commerciale est, en général, fictive sera plus efficace que le contrôle juridictionnel ex post, sans entraîner d'inconvénient économique.

Mme la présidente. La parole est à M. Henri Tandonnet, pour explication de vote.

M. Henri Tandonnet. En tant que coprésident du groupe d'études fruits et légumes du Sénat, je ne partage pas l'avis qui vient d'être exprimé par M. le ministre.

D'une part, la récente loi de modernisation agricole assainit les pratiques commerciales en matière de vente de fruits et de légumes.

D'autre part, et même si la jurisprudence de la cour d'appel de Paris montre qu'il existe encore des brebis galeuses, l'outil complémentaire de lutte contre les abus qu'il est proposé introduire me semble disproportionné. Il existe, pour les cas particuliers de la vente des fruits et légumes, des services réels, qui doivent faire l'objet d'un contrat écrit. Il n'est pas opportun de les supprimer.

J'ai été étonné que mon homologue coprésident du groupe d'études ne m'ait pas informé du dépôt de cet amendement. J'ai pris directement contact avec l'interprofession, dont le président m'a indiqué ne pas être favorable à cet amendement ; il m'a également soutenu que les accords interprofessionnels seraient élaborés en vue d'éviter les pratiques non respectueuses des producteurs.

Par conséquent, je ne voterai pas cet amendement.

Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 730 rectifié.

(L'amendement n'est pas adopté.)

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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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D
On te remercie quand même de nous mettre au courant de ces turpitudes: à savoir de quel côté penche la balance à droite...
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D
Si demain la droite revient au pouvoir, on est mal barrés...<br /> <br /> S'opposer aveuglément c'est bien son style.
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