11 Avril 2010
Samedi dernier, tout ce que la planète bio compte d’organisations militantes s’était donné rendez-vous au jardin des plantes de Saint-Chamond près de Saint Etienne pour dire non à l’interdiction des alternatives aux pesticides.
L’appel à mobilisation commence en ces termes : « Aujourd’hui, les agriculteurs qui souhaitent limiter l’usage des pesticides et particulièrement les producteurs de fruits en culture biologique se heurtent à des impasses réglementaires qui remettent en question leur capacité à produire et à vivre de leur activité.
En effet, des produits naturels alternatifs aux pesticides chimiques existent, mais ils ne peuvent pas être utilisés car ils ne disposent pas d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) en France, bien qu’ils soient autorisés par le règlement européen de l’agriculture biologique et par les autres pays européens.
Les agriculteurs ne pourront pas respecter les engagements du gouvernement de limiter l’usage des pesticides si les alternatives naturelles sont elles aussi considérées comme des pesticides et ne sont pas autorisées à cause de contraintes administratives stupides. De nombreuses démarches auprès des services du Ministère de l’Agriculture ont été mises en place, mais la réglementation sur les produits naturels peu préoccupants (PNPP) n’évolue pas. »
Les lecteurs attentifs de ce blog trouveront sans doute une certaine ressemblance avec certains de mes écrits précédents. Mais il y a plus que des nuances entre mes positions et celles des organisations auteurs de cet appel de Saint Chamond. Et c'est sans doute pour ça que je me réjouis de ce que la résonance de cet évènement a vocation à nettement revigorer la notoriété de cette ville autrefois célèbre par la présence d’Antoine Pinay.
Le mobile de la rébellion partagée est le suivant. Dans le même temps où les pouvoirs publics affichent leur volonté de réduire drastiquement l’utilisation de produits phytosanitaires, la recherche de nouveaux moyens de lutte contre les ravageurs semble bien moins efficace ici que chez nos principaux concurrents.
L’intérêt de cette manifestation c’est donc qu’elle permet d’illustrer le blocage avec un cas concret qui révèle toute la complexité du problème. Les manifestants ont en effet choisi de transgresser l’interdit et fait acte de « désobéissance civile » en épandant de l’huile de neem sur l’espace public. Le tout en présence de représentants du Parc Naturel Régional du Pilat et d’élus locaux. Dois-je rappeler à ce stade, pour les moins assidus d’entre vous, que j’ai eu l’insigne honneur d’être intronisé par la confrérie de la pomme du Pilat le 11 novembre dernier en la bonne ville de Pelussin et en présence de tout le personnel politique local. Autant dire, pour ceux qui en douteraient encore, que j’ai quand même un peu d’autorité pour parler de ces choses.
L’huile de neem est donc une huile végétale issue de la graine de l’arbre « qui guérit tout » venu de l’Inde, le margousier appelé aussi neem. Les propriétés insecticides de l’huile issue de cet arbre sont connues depuis la nuit des temps. La principale substance active, mais pas la seule, contenue dans cette huile s’appelle l’azadirachtine. Jusqu’à aujourd’hui le règlement européen qui définit l’agriculture biologique en autorise l’utilisation. En revanche en France son utilisation est interdite à des fins insecticides parce qu’il n’y a pas de produit commercial homologué, ayant reçu une AMM (autorisation de mise en marché). On voit tout de suite quel est le paradoxe. Voilà un produit bio par excellence, une préparation naturelle utilisée depuis des siècles en Inde et ailleurs, qu’il est impossible d’appliquer sur les cultures agricoles.
Bon, vous me direz qu’il y a d’autres plantes qui comme le margousier poussent sur les contreforts de l’Himalaya et qui ne sont pas plus en odeur de sainteté dans la réglementation nationale. Je pense à une en particulier, qui sécrète une étonnante résine que l’on peut recueillir en frottant les feuilles et les fleurs entre ses mains avant d’en faire une boulette qui pourra servir à différentes préparations dont les vertus sont elles aussi bien connues depuis la nuit des temps. Mais c’est une autre histoire et de lointains souvenirs, je m’égare un peu.
A première vue purin d’ortie et huile de neem, même combat. Dans les deux cas ce sont des préparations naturelles qui ont une présomption de totale innocuité et pour lesquelles il y a une vraie urgence à faire évoluer la réglementation pour sortir de l’aberration d’interdiction par non autorisation dans laquelle nous sommes. Sauf que ce n’est malheureusement pas si simple….
Lorsque qu’il y a déjà trois ou quatre ans j’indiquais à tel responsable national du service de la protection des végétaux l’anomalie française de l’interdiction de l’huile de neem dans une Europe qui au contraire l’autorise, je m’entendais répondre à peu près ceci. L’huile de neem a un profil toxicologique beaucoup trop dangereux pour l’utilisateur et les abeilles et ne sera donc jamais homologuée en France. J’ai continué depuis a évoquer cette situation très scabreuse de la production biologique qui applique sur les plantes de l’huile de neem en contrevenant à la réglementation française tout en recevant la bénédiction des organismes certificateurs, eux-mêmes agrées par les pouvoirs publics (Cofrac). Les services de la protection des végétaux se gardant bien jusqu’à ce jour d’effectuer les mêmes contrôles que ceux effectués chez les autres agriculteurs, qui eux se retrouveraient illico en correctionnelle s’il leur prenait l’idée d’utiliser dans leur verger la même huile de neem. Allez comprendre. Lors d’une récente rencontre avec les directeurs de la secrétaire d’Etat chargée de l’écologie et championne de karaté kata, Chantal Jouanno, j’ai à nouveau soulevé le problème. D’autant plus malicieusement en ces lieux aseptisés, tout en haut d’une tour à la Défense, dans une salle de réunion sans fenêtre, où l’on me regarde comme un martien d’agriculteur encore conventionnel et où l’on m’explique que j’ai décidemment encore beaucoup d’efforts à faire pour réduire ma consommation de produits phytosanitaires. Tel directeur se présente comme responsable de la commande publique durable de l’Etat pour un Etat exemplaire quand un autre est responsable de la promotion des pratiques durables en agriculture au travers de la même commande de l’Etat. Je vis certains jours, vous le constatez, des moments de grande solitude. Enfin j’ai quand même, à force d’à force, réussi à mettre un coin dans leurs certitudes et leur croyance en l’horizon indépassable pour la société qu’est selon eux le label bio. En parlant justement du neem, mais aussi du cuivre… En redescendant du haut de la tour et après avoir récupéré nos passeports et dépassé les cerbères des lieux, j’ai demandé à mon jeune responsable de notre Charte de Production Fruitière intégrée ce qu’il pensait de notre très légère avancée. Plutôt désespéré, il s’est retourné pour me montrer la tour en me disant : « vous avez parlé à deux types. Même si on venait tous les jours pendant des mois on arriverait à peine à décontaminer un étage ». C'est malheureusement tout le problème du Grenelle qu'il venait de synthétiser là. L’argument de la distorsion de concurrence entre la France et l’Allemagne au regard de l’utilisation du neem avait quand même porté. Dans les heures qui ont suivi, ce même directeur nous faisait savoir rassuré que le produit allait également être interdit dans toute l’Europe puisque la matière active ne serait pas inscrite à la fameuse annexe I de la directive CEE 91/414. Enfin un peu plus tard il devait à nouveau convenir que la distorsion allait encore durer pendant près de deux ans/.
Mais vous vous en doutez, cela ne fait pas du tout, du tout, l’affaire des agriculteurs en production biologique. Eux sont convaincus que l’huile de neem est totalement inoffensive pour l’environnement et l’homme et surtout qu’ils en ont définitivement besoin pour dégommer quelques bébêtes dévoreuses. Ils clament aussi qu’il faut distinguer l’huile de neem de la matière active azadirachtine au regard de l’innocuité. Et puis de l’autre côté les autorités sanitaires brandissent le dossier à charge contre cette huile et cette matière active, cancérigène, perturbateur endocrinien, toxique pour les abeilles etc… Suffisamment d’arguments pour que cette matière active ne puisse pas entrer dans la composition de préparations appliquées sur les plantes. Ce qui signifie en creux que cette préparation naturelle ne respecte pas les critères que d’autres matières actives pourtant chimiques respectent. Et c’est ce qui est fondamentalement utile dans les conséquences de cet appel de Saint Chamond. Nous entrons, je j’espère, dans une nouvelle étape où la distinction entre production biologique et production intégrée va progressivement s’estomper et même basculer en faveur de la seconde. C’est la voie que j’appelle du « chemin des crêtes » qui recherche l’optimum possible en fonction des connaissances du moment et qui ne reconnaît pas la frontière artificielle entre intrants naturels et ceux issus d’une transformation chimique au regard de leur utilité pour la production et la protection des plantes.
Je pourrais continuer la démonstration avec le cuivre, tout aussi indispensable à la production dite biologique mais tout aussi problématique bien que naturel. Je pourrais aussi rappeler que la roténone est interdite après avoir constitué longtemps la base de la protection insecticide en bio.
J’ai mis quelques documents en lien pour ceux qui souhaitent en savoir plus. Cliquez ça doit marcher.
En ce dimanche matin où j’ai une nouvelle fois raté la messe je vous propose pour une fin provisoire la lecture d’un passage de la Bible que j’aime citer : « Rien de ce qui est hors de l’homme et qui entre en lui ne peut le souiller ; mais ce qui sort de lui, voilà ce qui souille l’homme » (Marc 7, Verset 15).
Ca rend plus cool vis-à-vis de toutes ces questions, non ?
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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