6 Avril 2014
Décidemment la France file un bien mauvais coton institutionnel ces temps-ci. Alors que l’urgence est au sursaut national, aux réformes courageuses et aux règles simples et claires pour mobiliser efficacement chaque citoyen, la sphère publique du pays s’enfonce toujours un peu plus, de vils en anguilles, dans le tricotage, la bidouille et la confusion.
Il y a pourtant une belle unanimité pour dénoncer, entre autres handicaps, les pesanteurs et l’inefficacité du millefeuille territorial. Mais, non seulement cette indignation ne s’accompagne d’aucune volonté réelle de réforme, il faut qu’elle serve en plus de paravent pour instiller de nouvelles aberrations paralysantes et bourratives dans le système.
La diminution par deux du nombre de cantons confiée aux ciseaux partisans du parti socialiste, assortis de la création graveleuse du scrutin binominal paritaire majoritaire à deux tours, en est un parfait exemple. Mais je suis bien d’accord avec vous mes chers lecteurs, je me suis déjà trop longuement étendu sur ce mariage blanc hétéro éphémère pour tous pour y revenir.
C’est une autre innovation que je cible aujourd’hui et pour laquelle je bande mon arc en pur if, le déjà trop fameux fléchage des délégués communautaires.
Jusqu’aux dernières élections municipales, les délégués des communes en charge de mettre en œuvre la coopération intercommunale étaient élus en leur sein par les conseils municipaux. En cas de désaccord avec un (ou une) délégué, le conseil municipal pouvait le (ou la) remplacer.
La commune par l’entremise de ses délégués coopérait avec les autres communes pour les compétences qu’elle avait choisi de ne plus exercer seule. La communauté n’était donc pas une collectivité à part entière. Elle était un espace de coopération entre les communes.
Au regard de l’importance prise pas l’action intercommunale, le législateur s’est ému de ce que les communautés, de communes ou d’agglomération, lèvent de l’impôt sans que leurs élus soient issus du suffrage universel direct. Ils se sont aussi inquiétés de ce que les électeurs n’aient jamais à se prononcer directement sur les projets et l’action intercommunale.
La question était pour le moins très pertinente. Comment permettre un contrôle démocratique plus direct sur l’action intercommunale et la levée de l’impôt ? Comment préserver dans le même temps la commune et l’esprit de la coopération intercommunale ?
Pour ce qui me concerne, j’étais favorable à l’élection au suffrage universel direct du président de la communauté et au maintien de l’élection des délégués communautaires par les conseils municipaux. Le pouvoir de décision demeurait ainsi aux communes tout un instituant un lien démocratique parfait avec le président et ses orientations pour le développement territorial.
Ce n’est pas ce choix qui a été fait. Un ersatz de représentation démocratique directe a cru être trouvé en instituant le fléchage des élus communautaires pour les communes de plus de 1000 habitants.
Pour les communes de moins de 1000 habitants, au prix de quelques acrobaties, c’est toujours le conseil municipal qui choisit ses délégués. La corrélation entre l’ordre du tableau et la représentation de la commune à la communauté n’est pas absolue. Le maire ou ses adjoints peuvent démissionner de leur mandat de délégué communautaire tout en conservant leur niveau hiérarchique dans la commune. Le, ou les délégués communautaires souhaités par le conseil municipal doivent juste être positionnés en conséquence. La presse s’est déjà faite l’écho de cette nouvelle gymnastique contorsionniste.
Mais ce sont pour les communes de plus de 1000 habitants que la nouvelle règle de 2013 met brutalement fin à la coopération intercommunale telle qu’elle a été instituée en 1992.
En effet, dès lors que le mandat de délégué ne s’accompagne plus de l’obligation d’être en phase avec la commune sur laquelle l’élection a eu lieu, l’assemblée communautaire délibérante peut s’aventurer vers une configuration parfaitement politique de la gouvernance devenue supra communale.
C’est ainsi par exemple que Philippe Lavaud, le candidat battu 60/40 par Xavier Bonnefont aux élections municipales de la ville d’Angoulême peut être élu à la présidence du Grand Angoulême par une majorité politique de délégués communautaires de gauche. Ce qui était impossible avec la règle précédente. En effet, si par souci de représentation équilibrée du conseil municipal de la ville d’Angoulême, ce même conseil municipal avait accordé un ou plusieurs représentants à son opposition, faire acte de candidature à la présidence pour son leader aurait conduit immédiatement au retrait de sa délégation. Ce n’est plus possible aujourd’hui.
La règle du jeu précédente demandait déjà aux élus siégeant à la fois au conseil municipal et au conseil communautaire de faire montre d’une hauteur de vue assez peu commune pour trouver les consensus nécessaires à une bonne coopération entre les communes. En revanche, la nouvelle règle du jeu, si elle aboutit à élire comme président de la communauté l’opposant battu de la ville centre, grippera à coup sûr gravement la relation entre cette commune et la communauté.
L’interpénétration constante sur un même territoire des actions conduites par les agents et les élus de la commune et de la communauté, dans un climat de guerre politique ouverte issue d’un troisième tour parfaitement improbable pour les électeurs, sera évidemment dévastatrice.
Les électeurs ne peuvent pas plus qu’avant se prononcer sur le projet communautaire et la légitimité nouvelle des délégués communautaires les conduit simplement à s’affranchir de l’obligation de concertation véritable entre les communes.
Cette nouvelle aberration de l’organisation territoriale alimentera la chronique des affrontements politiciens stériles et des coups tordus issus des guéguerres entre élus et administrations des collectivités. Pas sûr que les électeurs se reconnaissent dans cette réforme soi disant faite pour leur redonner du pouvoir.
Elire un président de communauté au suffrage universel direct aurait été c’est vrai révolutionnaire. Faire semblant de tirer les conséquences de l’importance prise par la coopération intercommunale pas l’astuce du fléchage correspond bien mieux aux grenouillages politiciens habituels. Mais nous glissons ainsi dangereusement vers une inefficacité territoriale très 4ème république qui enfonce chaque jour un peu plus le pays dans la crise.
Trop de pouvoir accordé au peuple fait toujours peur à l’establishment. Je crains pour ma part bien plus la couardise et les louvoiements qui nous rapprochent d’explosions autrement plus douloureuses.
Il ne reste plus qu’à observer attentivement si les élus sauront s’abstenir de mettre les territoires en danger en renonçant sagement aux scénarii absurdes permis par cette nouvelle loi imbécile.
(Je vous mets, exigeants lecteurs, un lien vers un article de la gazette des communes qui complète très utilement mon point de vue sur la question).
Dans la liste déjà longue des petits calculs qui priment sur les grands desseins, je ne résiste pas à l’envie de vous mettre un lien vers un article par lequel je m’élevais contre le passage d’une communauté vers l’autre de communes périphériques. Les arguments du type bassin de vie qui justifiaient qu’après avoir choisi un espace de coopération intercommunale on puisse avoir envie d’un autre m’ont toujours paru dérisoire au regard de la mobilisation administrative à mettre en œuvre pour la concrétiser. La commune de Chatignac dans le canton de Brossac est emblématique de ce transfert ruineux et inutile pour la France. Fera-t-on jamais le coût carbone de cet aménagement essentiel du périmètre de la coopération intercommunale ? Depuis la quarantaine d’élus réunis plusieurs fois dans les grands salons de la préfecture, les élus des deux communautés, les services juridiques de l’Etat, la trésorerie, les agents de la commune et des deux communautés, les délibérations et les calculs de compensation en tout genre, cette opération s’est révélée bien plus lourde que l’annexion éclair de la Crimée par la Russie.
Il se trouve que, et ce n’est pas tout à fait une surprise, Jean Yves Ambaud, maire de ladite commune fait campagne, me dit-on, pour briguer la présidence de la nouvelle communauté qu’il a rejoint et qui regroupe un peu plus que les cantons de Montmoreau, Chalais et Aubeterre.
Alors peut-être ai-je tort finalement. Si tout cela doit permettre à ce nouvel espace de coopération de bénéficier de son immense talent et de son expérience pour en assurer la présidence, l’enjeu valait peut-être que nous soyons tous là pour tenir la chandelle.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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