13 Août 2010
Chaque année, la première semaine d’août, les représentants de la production de pommes et de poires de toute l’Europe se réunissent dans l’un des pays de l’Union pour annoncer leurs prévisions de récolte. C’est l’association WAPA (World Apple and Pear Association) dont le siège est à Bruxelles qui a la charge de compiler les données recueillies auprès des pays producteurs et de les présenter. La très petite équipe qui constitue la cheville ouvrière de l’association s’acquitte brillamment de cette tâche. Depuis quelques éditions du Prognosfruit (c’est le nom du congrès) les prévisions de l’UE à 27 sont ainsi enrichies des données en provenance des autres pays de l’hémisphère nord ainsi que de l’état des stocks de la récolte précédente aussi bien au nord que dans l’hémisphère sud. La semaine prochaine les prévisions pour l’Amérique du Nord seront affinées lors de l’Outlook Conférence de l’US Apple qui se tiendra, comme chaque année depuis des lustres, à Chicago.
En Europe, comme dans le reste du monde ces prévisions sont très attendues, vous vous en doutez. Dès qu’elles sont révélées, les analyses vont bon train pour tenter une prospective fiable du déroulement économique de la campagne qui va commencer.
L’an passé, c’est à Maastricht aux Pays Bas que s’est tenu le Prognosfruit. L’ukrainienne Oksana Varodi était présente. Elle représentait IFC (International Finance Corporation), une filiale du groupe Banques Mondiales, qui soutient un programme ambitieux de développement du verger en Ukraine. Il lui a été proposé d’accueillir la conférence. Pour le cas où cela n’aurait pas été possible, c’est la France qui aurait pris son tour de rôle. Bien heureusement le défi a été relevé par l’Ukraine, et après la Suisse il y a quelques années c’est à Kiev, hors de l’union européenne, que s’est tenu le Prognosfruit. Certains d’entre nous s’étaient pourtant inquiétés de la réaction des autorités russes à la tenue de cette manifestation dans ce pays dont le tropisme marqué vers l’ouest agace Moscou. Les barrières phytosanitaires politiques élevées opportunément par la Russie pour freiner ses importations de pommes quelque temps auparavant et que nous tentions de faire tomber allaient peut-être devoir durer un peu plus que prévu. La situation ne s’est pas vraiment améliorée depuis mais sans doute pas du fait de ce congrès.
La présentation des chiffres pourrait très bien se faire de n’importe où par internet, par un simple envoi de mail suivi de téléchargements des tableaux sur le site de WAPA. Mais l’autre dimension de cette étonnante réunion serait totalement occultée alors qu’elle est au moins aussi importante que la prévision chiffrée.
C’est ce que j’appelle l’effet « dessous des cartes ». Quand on regarde la carte du monde à partir d’un autre lieu que celui d’où on le perçoit habituellement, la perspective change, le regard et la compréhension aussi. A cela s’ajoutent les innombrables rencontres physiques entre professionnels de tous les pays présents avec les échanges inattendus qui s’ensuivent, toujours extrêmement riches et profitables.
L’Ukraine c’est connu détient des terres excellentes pour la production de céréales. On en parle beaucoup moins mais ce pays a aussi d’assez bonnes conditions pédoclimatiques dans certaines de ses régions pour la production de fruits. Au bord de la mer Noire, en Crimée par exemple pour la production de fruits à noyaux, fruits à coque tout comme dans la région de Vinnytsya au sud-ouest de Kiev pour les petits fruits et les fruits à pépins, pommes et poires.
Après plus d’une décennie de diminution de son potentiel de production consécutif à la « chute du mur » et à l’effondrement de l’organisation antérieure, l’Ukraine comme la plupart des autres pays de la zone augmente à nouveau sa production et des projets de développement d’importance apparaissent. D’abord pour satisfaire le marché intérieur et tout de suite après pour la Russie et les industries de transformation qui trouvent de moins en moins de matières premières à l’ouest. Nous avons ainsi pu visiter deux projets dans la région de Vinnytsya, l’un porté par AGRANA, une multinationale dont le siège est à Vienne et l’autre par un investisseur du pays proche des milieux gouvernementaux. Ce qui fait forcément rêver l’arboriculteur français que je suis, qui depuis qu’il a planté son premier arbre a toujours galéré pour trouver des parcelles de terre pour développer son verger, c’est de lever les yeux sur des parcelles de 1000 hectares. C’est aussi d’entendre l’arboriculteur local dire qu’il projette d’atteindre rapidement, justement, 1000 hectares de vergers et qu’il vient d’en planter 350 en quatre ans. Investir, produire, créer de l’activité, sont des moteurs puissants de la motivation pour un pays qui rêve d’émancipation et de meilleurs revenus.
Le contraste est saisissant avec notre renoncement à produire en France pour privilégier l’importation et externaliser ce que l’on considère n’être que des nuisances. Je viens de lire la note de conjoncture pour les fruits du mois de juillet d’Agreste qui traduit clairement cette évolution qui me désole. Je vous reproduis l’introduction et je mets un lien vers le document complet pour les lecteurs économistes de ce blog: « En dix ans, la consommation globale de fruits a progressé. La demande en fruits transformés l’a en effet emporté sur le recul en fruits frais. Parallèlement, la production s’est réduite et ce sont surtout les importations qui ont répondu à la demande. La situation du commerce extérieur s’est surtout dégradée avec nos partenaires de l’Union européenne. L’excédent a fait place à un déficit en fruits frais ; le déficit s’est lourdement aggravé en fruits transformés avec l’essor de la consommation de jus de fruits, dont les échanges sont majoritairement intracommunautaires. A l’inverse, avec les pays tiers, le déficit a diminué en fruits frais, et s’est très légèrement alourdi en fruits transformés. »
La suite bientôt…..
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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