15 Juillet 2012
Lettre aux adhérents de l’ANPP. Reignac le 15 juillet 2012.
Cet automne en France, la récolte totale de pommes et de poires sera probablement inférieure de près de 30 % à celle de l’an passé. L’amplitude de la variation est cependant très différente selon les régions, les vergers et les variétés. Jamais depuis 1991 nous n’avions connu une telle hétérogénéité des rendements. Alors que la plupart des vergers de Provence et du Languedoc ont une récolte pendante très satisfaisante, la quasi-totalité de ceux du Limousin portent un nombre de fruits très faible. Entre ces extrêmes, toutes les déclinaisons quantitatives sont présentes dans les vergers de nos régions.
Les mauvaises conditions climatiques pendant la floraison s’imposent aux meilleurs arboriculteurs et déjouent les moyens de protection habituels utilisés contre le gel et la grêle. L’arboriculteur, comme tous les agriculteurs, est un entrepreneur qui prend de grands risques économiques. Certains peuvent être maîtrisés ou sont assurables. D’autres comme la coulure consécutive au froid et à la pluie relèvent encore d’une loterie climatique subie. Le phénomène est heureusement très rare.
Nombre d’arboriculteurs sont donc conduits à solliciter le fonds de calamités agricoles pour tenter de réduire un peu le montant de leurs pertes. D’autres équilibreront leur compte de résultat si les prix s’établissent suffisamment haut pour compenser l’affectation des frais fixes sur un nombre de kilos modérément réduit. Et puis ceux dont la récolte est proche de la normale peuvent espérer gagner de l’argent cette année.
Les prévisions pour la récolte européenne de pommes et de poires seront annoncées lors du congrès Prognosfruit qui se tient cette année à Toulouse le 3 aout. Il se profile une récolte globale en pommes inférieure d’environ 8% par rapport à celle de l’an passé. Parmi les grands pays producteurs, c’est donc la France qui paie un lourd tribut à cette baisse aux côtés du Royaume Uni, de la Belgique et des Pays Bas, et peut-être aussi de l'Espagne et de l'Italie dont nous attendons des informations.
La récolte française sera bien sûr amplement suffisante pour achalander correctement le marché national. Les circuits commerciaux seront un peu modifiés, au détriment temporaire de l’exportation et du marché de la transformation. On peut en effet supposer que les tolérances de la normalisation seront pleinement utilisées cette campagne, ce qui limitera les déclassements et augmentera la proportion habituelle des fruits vendus sur le marché de frais.
Les disparités de récolte entre arboriculteurs et régions de production constituent une nouvelle épreuve pour l’entreprise « pommes poires de France » et l’engagement solidaire dans l’association. La précédente déconvenue relève du cadre réglementaire dans lequel s’étaient inscrites les AOP (Associations d'Organisations de Producteurs). Alors que nous pensions bénéficier d’une dérogation au droit de la concurrence afin de pouvoir échanger entre les adhérents sur les volumes et les prix du marché en cours et à venir, il se confirme que cette tolérance est assez illusoire. Les différents juristes consultés nous incitent maintenant à adopter une lecture restrictive du droit de la concurrence.
Pour ce qui me concerne, je ne suis pas vraiment surpris de la tournure que prennent les choses et comme à mon habitude je recherche quelle stratégie positive il y a lieu de mettre en œuvre dans ce cadre réaffirmé.
Le nombre de metteurs en marché est tel pour la pomme et la poire que toute tentative d’entente sur les prix serait parfaitement absurde et vouée à l’échec. En revanche les metteurs en marché des fruits issus des vergers des arboriculteurs de l’ANPP doivent disposer de l’information économique sur le marché immédiatement passé, ainsi que sur les stocks, la plus précise possible. Ceci afin qu’ils optimisent individuellement leur position sur le marché, qu’ils soient préservés des rumeurs et ne puissent être manipulés à bon compte. L’intelligence économique est plus que jamais la première mission de notre association. Synthèses et interprétations des données doivent être le levier qui permettra aux organisations de producteurs membres de l’association d’afficher de meilleurs résultats.
Mais c’est sur le marché des pommes et des poires destinées à la transformation que le défi à relever est le plus enthousiasmant tant les effets peuvent être immédiatement mesurables.
Les fruits déclassés qui ne peuvent être vendus réglementairement et commercialement sur le marché du frais sont dirigés vers la transformation. A partir de ces fruits sont élaborés des jus, des compotes ou des pâtisseries. Des industriels en nombre de plus en plus limité absorbent ces écarts de tri issus de nos vergers. La qualité des produits, l’attrait et la praticité pour les consommateurs, le génie marketing des marques font que les volumes des produits transformés vendus augmentent sans cesse.
La problématique de la vente des écarts de tri issus des stations fruitières est bien plus logistique que commerciale. Les fruits voyagent en camions bennes depuis les lieux de production jusqu’au usines et le côut du transport est un facteur déterminant des arbitrages commerciaux. Très tôt les producteurs ont crée des bureaux centralisateurs de vente régionaux pour gérer la relation commerciale et logistique avec les industriels. Plusieurs courtiers assurent également la mise en marché de ces fruits.
La cotation de la pomme et de la poire pour l’industrie résulte de la confrontation quotidienne de l’offre et de la demande. Quantités, qualités, variétés, distances de transport justifient un spectre de prix plus ou moins large selon les années.
Pour coller à la spécificité de ce marché et aux contraintes techniques d’approvisionnement des usines, les industriels et les bureaux centralisateurs des producteurs ont recherché une planification des livraisons en s’engageant de part et d’autre par contrat. Cette contractualisation s’est développée dans le cadre de l’AFIDEM (association qui réunit les bureaux centralisateurs de la production et les industriels). Chaque année, pour la pomme par exemple, producteurs et transformateurs se réunissent pour évaluer le potentiel qualitatif et quantitatif à mettre en marché ainsi que les tonnages nécessaires pour les usines. Cette confrontation permet de coter la valeur des fruits à terme pour les livraisons des mois compris entre novembre et aout. Lorsque les prix à terme font consensus après plusieurs confrontations tendues, les différents opérateurs choisissent librement de s’engager par contrat à l’achat ou à la vente sur cette base. Les opérateurs qui en revanche considèrent que ces contrats à terme risquent de leur être défavorables au regard de l’évolution des prix qu’ils escomptent choisissent de prendre le risque de s’approvisionner ou de vendre sur marché libre au fil du temps.
Bien qu’imparfait, ce système a le mérite de donner de la visibilité aux opérateurs et de développer un partenariat commercial bénéfique aux deux parties. Les cotations doivent être suffisamment crédibles pour que librement les opérateurs de l’amont et de l’aval contractualisent les plus grandes quantités possibles. Ce qui ne marche pas forcément à tous les coups. Surtout lorsque l’année précédente la cotation du marché libre a évolué à la hausse ou à la baisse assez loin des prix contractualisés. Et puis, bien que significatives, les quantités engagées par contrat n’ont toujours représenté qu’une partie minoritaire des échanges.
Le problème c’est que pour faire vivre cette contractualisation, des entreprises indépendantes et concurrentes doivent se retrouver dans une même salle pour faire émerger des cotations.
J’ai la ferme conviction que ce « dialogue», parce qu’il résulte de la confrontation d’intérêts contraires, a toutes les vertus attendues d’une économie de marché transparente qui ne lèse en aucun cas le consommateur. Mais voilà, sur la forme cette contractualisation est bêtement répréhensible. Inutile d’insister.
A mon sens il y a lieu de mettre très rapidement à profit la remise en cause de cette contractualisation et de se donner pour objectif de faire encore mieux pour la maîtrise de la mise en marché des fruits déclassés issus des « vergers écoresponsables » de l’association.
Il suffit pour cela que tous les adhérents de l’association s’arriment plus fermement au bureau centralisateur dont ils se sentent le plus proche et qu’ensuite ces bureaux s’organisent sous la forme qui leur conviendra pour n’être qu’un seul metteur en marché. Cette fédération de bureaux devant bien entendu être sous la totale emprise des organisations de producteurs adhérentes et la plus efficiente possible.
Le principe est simple. Les organisations de producteurs membres de l’ANPP décident de mettre en marché exclusivement par leur bureau commercial commun tous les fruits qu’ils destinent à la transformation. Un metteur en marché détenant la moitié, voire les deux tiers de l’offre française, fait face à moins de dix industriels. Et c’est parce que ce metteur en marché détient une offre quasi incontournable pour chacun des industriels que la contractualisation devient pour ces derniers une absolue nécessité. Charge aux dirigeants représentants les organisations de producteurs de définir la tarification des contrats au mieux des paramètres de l’offre et de la demande européenne du moment.
C’est finalement grâce au rappel à l’ordre pour un strict respect du droit de la concurrence que les producteurs peuvent se mettre en situation de valoriser au mieux le sous produit de leurs vergers. Il faut savoir qu’il suffit d’obtenir 20 euros en plus par tonne de pommes vendue à la transformation par rapport au prix qui résulterait de la concurrence entre les multiples bureaux centralisateurs fournissant les mêmes clients à partir des mêmes fruits, pour financer le budget défini par les membres de l’association pour les missions qui sont les siennes. Voilà une ambition collective extrêmement motivante que je n’aurai de cesse de proposer jusqu’à ce qu’elle soit mise en oeuvre et réussisse.
Que se passera t-il si par extraordinaire nous ne nous engageons pas dans cette voie ? Eh bien tout ira certainement pour le mieux pour la prochaine campagne. Puisque nous serons en effet en sous offre permanente en raison de la faible récolte qui s’annonce. Dans ce cas les multiples metteurs en marché contribuent à renforcer le sentiment de rareté. Les industriels ne trouvant pas les quantités dont ils ont besoin appellent tous les courtiers et bureaux centralisateurs qu’ils connaissent pour leur demander des fruits. Tous ces metteurs en marché appellent toutes les stations fruitières de leur fichier pour essayer de dégoter la marchandise. Le détenteur des fruits sentant cette demande artificiellement gonflée fait de la rétention et fait monter les enchères. Dans ce cas, l’absence de contractualisation et les opérateurs multiples profitent au producteur.
En revanche, dès l’année suivante, si l’offre est équilibrée ou à peine supérieure à la demande, le même processus se met en marche dans l’autre sens et les prix baissent dans des proportions sans commune mesure avec l’excédent relatif de l’offre. C’est malheureusement le cas le plus fréquent.
A mon sens c’est dès cette année qu’il est nécessaire de mettre en place l’organisation que j’ai décrite. Parce qu’il est indispensable de maîtriser au mieux l’approvisionnement de nos clients. Nous avons besoin que leurs entreprises soient solides et prospères pour les années suivantes. C’est aussi une façon de les rassurer et d’être crédibles sur nos intentions. La concentration de notre offre ne doit pas être un obstacle pour eux mais bien au contraire une garantie de sécurisation de leur approvisionnement à un coût identique à celui de leurs concurrents directs.
Nous avons là un magnifique chantier école réaliste de concentration de l'offre pour des producteurs vraiment déterminés à obtenir sur le marché la meilleure valorisation possible de leurs fruits.
C’est bien vous qui détenez les fruits mes chers collègues. C’est donc à vous de décider et d'agir.
Qu’en pensez-vous?
Daniel SAUVAITRE
Président de l'ANPP.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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