4 Août 2013
Le ministre de l’agriculture vient d’annoncer la création l’an prochain des controverses européennes des vieilles charrues qui seront jumelées avec celles déjà existantes de Marciac dans le Gers où l’on traitait cette année des normes. L’ambiance jazz rock sera-t-elle propice pour entendre les dissonances de l’agriculture contemporaine ? A moins que le nom de ces rencontres ne soit prémonitoire et que l’on ne perçoive de ces quelques champs du Finistère que les sillons tracès par de vieux disques rouillés.
Ne sachant plus comment faire regarder en face les réalités concrètes de ce qu’endurent les arboriculteurs de ce pays, j’ai eu envie de quitter les discussions feutrées et décevantes qui se tiennent dans les bureaux des ministères pour adresser une lettre ouverte au Président de la République destinée à être lue par le plus grand nombre de nos concitoyens. Elle aurait tout aussi bien pu s’adresser au précédent Président. Elle n’est donc pas le chant d’un partisan.
Mais avant de l'adresser à l'intéressé et de lui donner, peut-être, une diffusion bien plus large, j’ai une nouvelle fois pensé à vous mes très chers lecteurs pour en tester la résonnance. Dites moi ce que vous en pensez très librement, comme d’habitude.
Monsieur le Président, d'aujourd'hui comme d'hier,
Je vous fais une lettre que vous lirez peut-être pour vous dire le profond désarroi des arboriculteurs.
A ce jour, les récoltes de pommes et de poires s’annoncent pourtant plutôt bonnes dans tous les terroirs de notre pays. Les français pourront croquer une fois de plus leurs fruits préférés.
Mais cette année encore, pour obtenir des fruits de qualité, nombre d'arboriculteurs ont été contraints d’enfreindre plusieurs fois l’arrêté du 12 septembre 2006. Des applications de produits phytosanitaires ont pu être réalisées pour protéger les vergers en présence de vent supérieur au degré 3 sur l’échelle de Beaufort. Les larges zones non traitées définies le long des cours d’eau n’ont pas toujours pu être respectées. Des retours dans le verger ont quelquefois eu lieu en deçà du délai requis.
Comme nous l’avons démontré avec notre « verger expérimental témoin » en 2008, le respect strict de cet arrêté conduit tout pomiculteur à la faillite, qu'il soit en production biologique ou raisonnée. Nulle ferme du réseau Déphy issue du plan Ecophyto, nul centre de recherche ou d’expérimentation n'a pu démontrer le contraire.
D'ailleurs, aucun autre pays d’Europe n’a fait le choix d’une réglementation équivalente à la nôtre qui interdit de fait de produire, si elle est appliquée à la lettre.
Et puis, cette année encore, bien que cela soit interdit par le code du travail, une bonne partie des vergers de pommes et de poires seront cueillis dans nos régions, comme presque partout ailleurs dans le monde, par des salariés qui utiliseront des escabeaux ou des échelles.
Comme vous le savez aussi, aucune pomme, aucune poire ne parviendra sur les étals sans avoir reçu l’application de produits phytosanitaires au verger, quelque soit le mode de production de l’arboriculteur. Savez-vous d'ailleurs que nous ne pouvons produire des pommes certifiées AB en France qu’à la condition expresse d’utiliser des pesticides que vous n'avez pas souhaité homologuer, comme par exemple l'huile de neem tirée du margousier et qui contient de l'azadirachtine ? Cette substance ne répond pas à vos critères d’homologation. Elle est suspectée d’être un perturbateur endocrinien. Elle est connue depuis plus de mille ans en Inde et certains de nos voisins ont choisi d'en valider l'utilisation. La bouillie sulfocalcique italienne est tout aussi indispensable, et tout aussi interdite.
Monsieur le Président, si les produits phytosanitaires sont aussi dangereux que vous le laissez dire en permanence en tout lieu, il faut sans attendre les interdire tous. Si vous réussissez dans le même temps à bloquer l’importation de toute production agricole ayant nécessité l’application de ces mêmes produits phytosanitaires, nous ferons alors de notre mieux pour nourrir la population. Et après tout, le rééquilibrage entre l’offre et la demande sera enfin durablement en notre faveur.
Mais si vous maintenez des autorisations de mise sur le marché de produits phytosanitaires pour la protection des plantes, assumez vos choix. Et soyez à nos côtés pour expliquer aux français les bénéfices attendus pour chacun d’eux, comparativement aux risques encourus.
De grâce, ne laissez pas croire que nos comportements sont déviants et nécessitent d’être redressés par toujours plus de taxes sur les produits phytosanitaires. Vous ne ferez que réduire encore la production en France et augmenter les importations. Chaque arboriculteur ne se maintient en activité que parce qu’il est déjà à l’optimum de ce qui peut être pratiqué en l’état des connaissances et des moyens technologiques en matière de réduction d’intrants pour un même résultat technique et économique. Cela fait près de 20 ans que nous nous sommes engagés à respecter notre Charte des pomiculteurs de France et à n’avoir recours aux produits phytosanitaires qu’en dernier ressort. Notre engagement pour la préservation de l’environnement et la sécurité sanitaire des consommateurs est maintenant garanti par l’apposition sur les emballages du label « Vergers Ecoresponsables »
Si votre administration et vos chercheurs peuvent faire mieux que nous, comme ils l’expliquent à longueur de rapports, qu’ils nous le démontrent dans le verger.Mais qu'ils tiennent compte aussi des contraintes économiques auxquelles nous devons faire face. Nous nous ferons un devoir de faire aussi bien qu’eux, parce que c'est l'honneur de notre métier.
La demande mondiale de pommes progresse. Les arboriculteurs français veulent relever le défi de la compétitivité et développer leurs ventes dans tous les pays importateurs du monde. Ils ont le climat, les terroirs et les savoir-faire nécessaires. Et l’espace européen permet à des travailleurs motivés d’assurer le renfort indispensable pour développer la production. La France peut redevenir dans un avenir proche le premier pays exportateur de pomme du monde. Elle l'était encore en l'an 2000.
Les arboriculteurs sont des entrepreneurs capables d’affronter les pires difficultés économiques, agronomiques et climatiques. En revanche, ils ne peuvent lutter contre le dénigrement dont ils font l’objet en permanence, contre la suspicion de ne pas être attentifs à l’environnement ou au consommateur et contre la menace d’être traînés à tout moment devant les tribunaux.
Pour planter un pommier ou un poirier, il faut croire en l’avenir et avoir confiance en l’environnement social, scientifique, politique et administratif de son pays. L’étude compétitivité que réalise chaque année France Agrimer montre bien que ce n’est plus le cas en France et que nous nous disqualifions lentement pour la compétition internationale. Nous avons déjà perdu un cinquième de notre verger depuis 10 ans et le mouvement d'arrachage tend à s'accélérer.
Monsieur le Président, les arboriculteurs comptent sur vous. Ils ont besoin de savoir si le gouvernement et le pays sont solidaires de leur projet de développement de la production et de l’emploi. Ils vous demandent une réglementation et des normes cohérentes et compétitives avec les autres pays producteurs européens.
Monsieur le Président, d’ici là, dites bien à vos contrôleurs que nous sommes parfaitement désarmés face aux réglementations inapplicables dans les situations d'urgence et qu’ils doivent nous verbaliser tous ou alors aucun de nous.
Recevez Monsieur le Président, l’expression de notre haute considération.
Le président de l’Association Nationale Pommes Poires.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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