La Charte Nationale
de Production Fruitière Intégrée.
La création de
la Charte
de Production Fruitière Intégrée des producteurs de pommes est encore récente. Elle a tout juste dix an. C’est peut-être le bon moment pour se rappeler les objectifs que nous nous étions fixés avec ce projet et évaluer les résultats obtenus. Et puis à l’heure où les producteurs de pomme annoncent au colloque Prognosfruit, une prévision de récolte pour 2006 inférieure à 1.600.000 tonnes, très en retrait par rapport aux années passées en raison de la diminution de la surface du verger français, il y a lieu de repenser à la lumière de la « demande sociale », comme on dit à l’INRA, mais aussi du contexte réglementaire, commercial et médiatique, l’intérêt et le rôle de cette Charte pour l’identité et la réussite de la pomme française.
Dans les années 90, sur le marché européen, les pommes françaises se trouvaient en compétition avec des pommes d’Italie du nord qui arboraient ostensiblement l’image d’une coccinelle pour signifier à leurs clients tout le soin apporté pour les produire au respect de l’environnement. Alors que dans chacune des régions de France de multiples initiatives en ce sens existaient déjà depuis longtemps, elles s’accomplissaient dans la plus grande discrétion. C’est donc pour se donner les moyens d’avoir une communication plus offensive, afin de faire connaître la qualité du travail effectué par les producteurs de pomme de notre pays, que le projet d’une Charte a vu le jour. L’autre objectif assigné à
la Charte
était aussi d’engager un plan de progrès concerté entre tous les partenaires de la production, stations expérimentales, CTIFL, protection des végétaux et INRA, pour maîtriser des méthodes de production écologiquement plus sures. Le système qualité de
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s’est ainsi construit avec l’assistance du CTIFL et de plusieurs organismes de contrôle, avec beaucoup de rigueur et des améliorations permanentes. La traçabilité exemplaire des lots jusqu’à leur expédition de la station fruitière, permet ainsi l’apposition du logo PFI qui garantit aux clients les méthodes de production dont elles sont issues.
Quelle est donc la situation aujourd’hui au regard de ces objectifs attendus ?
Ce que l’on peut considérer être une franche réussite c’est d’abord l’adhésion des arboriculteurs membres de l’organisation économique qui dans leur quasi-totalité maintenant, sont engagés dans le système Charte et se conforment au plan de contrôle. La réussite c’est aussi la coopération active de tous les techniciens qui assistent les arboriculteurs ainsi que celle des agents des comités économiques qui coordonnent le suivi administratif et bien sûr celle de l’animateur de
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, à ce jour Pierre Varlet. Et puis il y a tout lieu d’être fiers de la construction, du contenu et du fonctionnement de
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en ce qu’elle insuffle une dynamique de progrès par l’obligation qu’elle instaure d’un suivi technique par un conseil extérieur lui même au service des valeurs de la production fruitière intégrée.
De nombreux aspects sont en revanche plus en demi-teinte et ne donnent vraiment pas entière satisfaction.
Tout d’abord sur le plan technique, malgré la volonté des arboriculteurs qui privilégient l’observation et le raisonnement avant toute intervention, force est de constater que nous sommes en manque de solutions alternatives économiquement acceptables pour aller plus avant dans la réduction des intrants sur le verger. Il y a là encore une ressource inépuisable de thèmes pour la recherche, l’expérimentation et le développement.
Pour ce qui concerne la communication engagée pour
la Charte PFI
et la reconnaissance obtenue par nos acheteurs, il reste vraiment presque tout à faire. Malgré la subsidiarité obtenue pour des enseignes majeures en France, sur le marché européen c’est Eurepgap qui s’est imposé, en plus des exigences propres à chaque distributeur qui sont toujours incontournables. Et puis notre choix de ne pas nous engager dans une communication d’envergure pour toucher le consommateur a fait que le marketing de
la Charte
exclusivement réservé aux professionnels est resté très discret. La conséquence la plus grave à cela c’est que
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n’est pas devenue le soutien à l’identité de la pomme française que l’on escomptait.
Avant de proposer un nouveau plan d’action pour
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il convient donc d’abord d’approfondir l’étude de certains éléments du contexte d’aujourd’hui pour vérifier que
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a bien toujours un rôle à jouer pour les producteurs de pomme de France. Voici quelques questions auxquelles il peut-être utile de répondre. Comment s’élaborent les solutions techniques pour faire progresser
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sur les exploitations et quelle relation peut-il y avoir avec
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? Les évolutions réglementaires nationales ou européennes garantissent-elles seules une meilleure sécurité pour le consommateur et l’environnement? La prolifération des cahiers des charges imposés par la distribution supplée t-elle à
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? Face aux attaques médiatiques permanentes dont nous sommes l’objet quelle mission particulière peut-on confier à
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et quels atouts particuliers peut-elle conférer à la production de pomme en France?
Dans le numéro d’avril 2005 de la revue « Végétable » l’interview de Robert Habib, président du COSTEC fruits et légumes et directeur de recherche à l’INRA d’Avignon-Montfavet témoigne du chemin qu’il reste à parcourir pour instituer les synergies nécessaires entre tous les partenaires en France pour faire progresser la production fruitière intégrée. A la fin de la lecture de ce qu’il dit on se pince, on relit une seconde fois pour être bien sur que c’est vraiment écrit, mais il faut bien se rendre à l’évidence cet homme clé en France qui travaille sur la production fruitière intégrée ne sait pas que
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nationale de production fruitière intégrée des producteurs de pommes existe. Mieux que ça pour lui
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n’existe pas en France. En revanche si on l’écoute, en Italie et en Suisse c’est une réussite. Mais il explique que pourtant l’INRA y travaille à fond, avec cette approche globale, systémique, comme savent le faire les chercheurs qui combinent toutes les disciplines pour explorer les confins du possible. Le problème c’est qu’il vit entre son bureau et les quatre arbres de son verger laboratoire et qu’il n’a pas du foutre les pieds dans le verger d’un producteur de son pays depuis les années 70. En revanche il a du acheter une fois au supermarché une pomme italienne de la marque Melinda sur laquelle se trouvait une coccinelle. En cela il est la preuve vivante de l’importance du marketing et des labels cosmétiques. Aucun observateur sérieux ne se permettrait de dire de façon aussi éhontée que la pratique de
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est d’un meilleur niveau en Italie qu’en France sur l’ensemble du verger, lui si. Ce témoignage d’Habib démontre s’il en était encore besoin que nous allons devoir patiemment rechercher les voies d’une meilleure coordination des efforts de tous malgré un système français peu « écologique » en ce sens qu’il a plutôt vocation à épuiser les ressources de la planète tant il est d’un faible rendement au regard de l’énergie consommée. De plus il conduit chaque organisation à s’isoler et à s’éloigner des autres pour ne rendre des comptes qu’à elle même.
Pour ce qui concerne les réglementations d’autres aberrations sont à l’œuvre. Une pression très forte s’exerce auprès des pouvoirs publics pour réduire le tonnage de produits phytosanitaires utilisés en France. Nous souhaitons tous y parvenir mais pas de n’importe quelle manière. Nous avons besoin que des travaux de recherche permettent que l’on réussisse à maîtriser mieux les maladies cryptogamiques et les ravageurs en recourant à des solutions alternatives aux produits phytosanitaires et applicables sur des exploitations fruitières soumises aux contraintes économiques du marché. C’est ce que nous attendons de l’INRA et des chercheurs dont on souhaiterait qu’ils arrêtent de se regarder le nombril pour servir au plus près les attentes de l’activité économique réelle de la production. Elle participe avec les autres activités économiques du pays à alimenter le budget de la nation qui finance la recherche. De plus il serait cohérent que les pouvoirs publics mettent autant de zèle à promouvoir les solutions douces, qui marchent et sont homologuées ailleurs, qu’ils n’en mettent à interdire, supprimer et contrôler, sans réfléchir aux conséquences de ce qu’ils font. Il est tout aussi inquiétant de voir apparaître des décrets qui ne sont tout simplement pas applicables et qui auront pour seul rôle de servir d’alibi et de protection à une administration craintive. Mais peut-être que l’objectif c’est de faire disparaître la production un peu plus vite et supprimer ainsi la source supposée de tous nos maux. A cela il faut ajouter que l’élimination rapide de nombreuses matières actives de la phytopharmacie actuelle avec sa cohorte d’impasses pour la production restreint les possibilités d’intervention et peut conduire à l’augmentation des passages dans le verger avec des matières actives moins efficaces ou pour lesquelles des résistances seront apparues. Resserrer les contraintes en laissant les producteurs tenter de s’en accommoder est une approche qui nie la complexité de notre métier.
Du point de vue de la concurrence avec les autres cahiers des charges il faut bien reconnaître la très grande réussite d’Eurepgap. Voilà un référentiel de certification, et pour cela le Cofrac en France a du bousculer ses règles, qui s’est répandu comme une traînée de poudre chez les producteurs, aculés pour cela par le diktat de la distribution. Eurep prévoit maintenant d’inclure dans son référentiel un chapitre PFI concocté en dehors de la production et dont on espère qu’il contribuera bien à l’amélioration vraie des pratiques au verger. D’autant plus que les coûts facturés par Eurep sont très sensiblement en hausse. Mais de ce point de vue là il n’y a pas d’inquiétude à avoir puisque comme le répète inlassablement son dirigeant, le fringant Docteur Christian Möeller, Eurep est une « non profit organisation » au service du développement durable et du commerce équitable. Devant l’indéniable succès planétaire d’Eurep les OP de France et les commerciaux se sont interrogés pour savoir s’il y avait lieu de continuer d’appartenir également à
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, tant le sésame pour le marché semblait suffisant avec Eurep. C’est une des questions fondamentales à laquelle il faudra bien répondre. Est ce un asservissement ou une libération que de se fondre dans un standard international dans le même temps que l’on se fond dans la marque de son distributeur ? Mais la réponse fait-elle vraiment débat ?
Il n’y a pas qu’Eurep et de très nombreux cahiers des charges de la distribution s’imposent aux producteurs qui envisagent de commercer avec eux. Ils peuvent être contradictoires entre eux, ne rien apporter de tangible au consommateur mais peu importe puisqu’ils ont finalement pour but essentiel de servir l’image du distributeur. C’est d’ailleurs fou ce que nos clients sont créatifs pour nous imposer des contraintes qu’ils s’empressent d’éviter pour eux mêmes. Tous les consommateurs sont invités à venir toucher et tâter avec leurs mains sales les mêmes pommes qu’il a presque fallu travailler en milieu stérile avant. Faut-il se satisfaire de l’absurde de la situation ? Je crois là aussi deviner la réponse.
Ces quelques constats un peu brutaux manquent sans doute de nuance mais permettent je l’espère de dessiner en creux la stratégie à mettre en œuvre pour
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dans le but de renforcer et d’améliorer les résultats économiques de la pomme française. Le sens réactualisé du projet Charte et le plan d’action à mettre en œuvre pourraient alors être les suivants.
Pour ce qui concerne le système qualité de
la Charte
, le plan de contrôle pour toutes les exploitations engagées a été unifié pour tout le pays. Il demeure cependant quelques obligations à respecter dans la référentiel de
la Charte
qui ne sont pas présentes dans le référentiel d’Eurepgap. A l’inverse quelques points de contrôle d’Eurepgap ne sont pas dans
la Charte. Au
moment ou Eurep introduit dans son cahier des charges une évaluation de
la PFI
nous allons donc pouvoir une nouvelle fois nous poser la question de savoir si le nouveau plan de contrôle d’Eurep est pertinent à cet égard et s’il n’y a pas lieu d’adopter pour
la Charte
un référentiel identique au leur, auquel on ajouterait quelques points bien spécifiques à
la PFI. Ceci
présenterait l’avantage de compter dans les effectifs de
la Charte
, toutes les exploitations certifiées Eurep. Cette première étape peut se réaliser très vite et aucun frein ne doit pouvoir venir la contrarier :
la Charte
s’est adaptée à nos structures et doit encore continuer à le faire, nous restons d’ailleurs à votre écoute Dans la même perspective le benchmarking avec Eurepgap permettrait alors avec une parfaite réciprocité de délivrer la certification Eurepgap pour toutes les exploitations certifiées par
la Charte. La
spécificité principale de
la Charte
qui repose sur l’obligation pour toutes les exploitations membres d’être suivies et conseillées par un technicien agrée par
la Charte
ainsi que quelques points propres à la production de pommes demeureraient bien sûr dans les deux cas. Le groupe technique EurepGAP France, via l’AGPM (Maïs Doux) a démontré l’efficience du Benchmarking et son grand intérêt. Cette seconde étape si elle devait être souhaitée n’a aucun caractère d’urgence. Ce qui est devenu bien plus important ce sont les autres rôles que nous souhaitons voir remplir par
la Charte
et qui ne sont pas suffisamment travaillés à ce jour.
Tout d’abord
la Charte
par la voix de la commission technique et avec la légitimité de représenter la quasi totalité des producteurs de pommes membres de l’organisation économique, voire de quelques autres, doit maintenant être beaucoup plus présente auprès des pouvoirs publics à tous les échelons pour mieux faire comprendre les réalités techniques et économiques vécues sur le terrain par les arboriculteurs. S’il est vraiment souhaité que les réglementations qui s’appliquent à notre métier aient bien les effets escomptés pour l’environnement, les consommateurs et la protection des travailleurs, nous serons entendus et très utiles.
La Charte
doit maintenant aussi devenir de manière plus affirmée le moteur de la demande des solutions à apporter pour permettre des avancées significatives de
la Production Fruitière
Intégrée. Cette action doit s’exercer auprès de tous les partenaires concernés, l’INRA, le CTIFL,
la Protection
des Végétaux, les firmes phytosanitaires et les stations expérimentales.
Et puis surtout le logo de
la Charte
(la pomme dans la main) doit devenir pour tous les opérateurs de la filière, mais aussi maintenant les consommateurs, le signe de reconnaissance d’un engagement, d’un savoir faire, de toute une organisation des producteurs français au service de la société pour nourrir les hommes dans le respect de l’environnement et des hommes. C’est ma conviction mais nous devons en débattre pour le plus grand bénéfice de la production française.
Je souhaite que ces propositions pour de nouvelles orientations pour notre Charte de Production Fruitière Intégrée soient débattues, amendées et complétées et que nous puissions tous ensemble nous donner les moyens de les mettre en œuvre. Cette stratégie peut contribuer à maintenir et développer à nouveau la production de pommes en France.
J’attends vos remarques, vos réactions sur le forum du site www.chartepfi.com ou sur ma boite de messagerie personnelle : d.sauvaitre@tastet.biz