19 Août 2006
Ce que j’apprécie le plus dans les colloques comme le Prognosfruit ce sont les rencontres et les échanges que l’on peut avoir en dehors des communications officielles. C’est ainsi que vendredi pendant l’interruption de la mi journée pour le déjeuner (un self), je me suis assis à une table en compagnie de Kevin Moffit du Pear Bureau Northwest, de son collègue américain Chris Zanobini du California Pear Advisory Board, de Pierre Nicolas Pérèz de l’Associacao Basileira de Produtores et de Oded Ratner du Plants Board of Israël. Je me suis bien évidemment tout de suite adressé au ressortissant d’Israël pour le questionner sur la guerre. Il se trouve qu’il habite à 6 kilomètres de la frontière nord, que des bombes tombent aux alentours de sa maison et que son regard sur le conflit est forcément bien différent du nôtre. Mes questions et mes remarques très empruntes des commentaires et des analyses de la presse, en vigueur en France, avaient bien du mal à provoquer autre chose qu’un soulèvement d’épaule chez mon interlocuteur. A la table prudemment chacun restait à l’écart de cette conversation. Ce sujet gravissime ne supporte pas l’amateurisme et j’ai pu constater que la simple mise en ligne sur ce blog d’une tribune libre publiée dans un journal pouvait donner lieu à beaucoup de colère et d’incompréhension. J’ai beaucoup lu (Le Nouvel Obs, le Point, le Monde, le Figaro, The Economist et "Rendez vous avec l’Islam" d’Alexandre Adler) et questionné depuis et je ne sais pas encore si j’aurais la capacité à commenter cette guerre dramatique et à disserter sur ses protagonistes directs et indirects. En revanche j’espère aujourd’hui que la France sera clairement en phase dans l’action avec ses prises de positions des jours derniers pour ne pas donner des arguments au dénigrement qui commence.
Mais c’est d’autre chose dont je veux parler ici. Oded Ratner me demande si je connais Jean Marie Lespinasse. Je lui dit le connaître assez bien et je l’entends me dire qu’il l’a fait venir par deux fois en Israël et qu’il n’en revient toujours pas d’avoir pu ainsi augmenter le tonnage moyen récolté de pommes de plus de 10 tonnes à l’hectare dans son pays. C’est alors au tour de Pierre (il est originaire de Bretagne) qui représente les producteurs de pommes du Brésil de me dire que dans son pays aussi on modifie la conduite des arbres pour laisser se développer la branche fruitière et pratiquer sur certaines variétés l’extinction des boutons à fruits en surnombre. C’est par le Chili où un membre de l’association Mafcot diffuse cette conduite de l’arbre qu’est entrée cette technique au Brésil. J’ai lu il y a quelque temps dans le Good Fruit Grower de l’Etat de Washington qu’une délégation s’était rendue au Chili et avait découvert cette conduite étonnante des pommiers. J’étais allé en 1998 dans ce même Etat de Washington et avec Michel Ramonguilhem qui participe au groupe informel Mafcot (maîtrise de la fructification concepts et techniques) nous avions rencontré Bruce Barrit du Washington State University dont la spécialité est la conduite de l’arbre. Je me souviens qu’il avait été ironique à l’évocation d’une nouvelle conduite de l’arbre proposée par JML remarquant à la mention de son nom: « oh the breeder’s brother » (Yves Lespinasse son frère est hybrideur et dirige l’Inra d’Angers).
Partout où je suis allé dans le monde où il y a des pommiers Jean Marie Lespinasse est connu et la conduite des arbres est tôt ou tard influencée ou conforme à ses préconisations, et cela depuis plus de 30 ans maintenant.
Cet homme est un maître, au sens oriental du terme. Il conduit à "l’éveil" l’arboriculteur. C’est l’un des trois enfants d’une famille de viticulteur du bordelais. L’un de ses frères a fait des études et est entré à l’Inra par la grande porte, l’autre a repris l’exploitation familiale et comme je crois il n’y avait plus beaucoup de moyens pour payer de longues études au troisième, il est entré à l’Inra sans le diplôme d’ingénieur nécessaire pour pouvoir chercher et publier. Particulièrement doué et observateur en mêlant intuition et démonstration scientifique, il a pu lentement s’imposer et publier sous son propre nom, ce qui lui a été un temps impossible. Ce que j’aime chez cet homme de génie c’est sa capacité à sortir du cadre, à transgresser les règles, à comprendre l’arbre et les hommes en étant à leur écoute et au milieu d’eux. C’est aussi cette humilité et cette générosité qui l’a toujours conduit à montrer librement ses découvertes, à partager ses expériences, à toujours donner avant de recevoir des autres. Et ce qui est fulgurant c’est la vitesse à laquelle avec lui on passe du stade de la recherche à l’application au verger. Depuis qu’il est à la retraite il continue sa passion, la création variétale, et il publie aux éditions du Rouergue. Après « De la taille à la conduite » il vient d’écrire « Le jardin naturel » ou il explique sa pratique du jardinage naturel, la réconciliation simple mais savante de l’homme et de la nature. Une nouvelle communion possible entre tous les jardiniers de la terre.
J’ai reçu de lui en début d’année une copie du compte rendu montrant les origines de la variété de pomme Chanteclerc Belchard. La fiche des croisements effectués pour métaxènie (c’est l’étude de la forme du fruit que pourrait conférer le mâle au fruit de la femelle qui porte les futures graines) réalisée par un stagiaire polonais, W Dlieciol vers 1958, sous l’autorité de René Bernhard à la Grande Ferrade à Bordeaux, mentionne bien le croisement entre la Reinette de Parthenay et la Golden Délicious. Et c’est Angers qui a repris cette descendance pour la sélection fruitière dont a été issue la variété Belchard. Un vrai miracle !
Jean Marie Lespinasse, infatigable, participe aujourd’hui à une grosse pomologie réalisée avec Evelyne Letherme sur plus de 400 variétés de 15 espèces du grand Sud Ouest.
Il m’a appris beaucoup de choses concrètes pour mon métier mais c’est bien de l’homme qu’il est qu’il y a vraiment le plus à apprendre.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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