17 Août 2006
Lecture réservée aux pomiculteurs aguerris.
Les prévisions de récolte de pommes des 25 pays membres de l’Europe, ainsi que celles plus approximatives des autres pays producteurs de l’hémisphère nord, font l’objet d’un colloque annuel début août. Cette année la réunion avait lieu à Budapest. Il y a deux ans elle se tenait à Lublin en Pologne et l’an prochain ce sera sans doute à Vilnius en Lituanie. A la suite de l’adhésion des dix nouveaux pays à l’Europe et pour respecter le tour de rôle de chacun c’est l’est qui accueille et se trouve pour quelque temps encore sous les projecteurs. Avec 450.000 tonnes produites sur les 9.500.000 tonnes de l’Europe à 25, la Hongrie se classe en 5ème position derrière la Pologne, l’Italie, la France et l’Allemagne.
La commercialisation de la récolte 2005, plutôt aisée pour ce qui concerne les volumes, s’est faite à des niveaux de prix très en dessous des coûts de production pour ceux des arboriculteurs français dont le verger comprend principalement les grandes variétés «mondiales». La surprise du colloque a bien sûr été de constater que c’est la France qui a été la plus touchée par cette crise qui s’est traduite par l’arrachage de plus de 8% des vergers l’hiver dernier et de nombreux dépôts de Bilan. Rien de tel chez notre principal concurrent l’Italie qui semble plutôt satisfait du déroulement de la campagne passée. Après un pic atteint en 1999 et 2000 à 2.250.000 tonnes la France se prépare à récolter 1.580.000 tonnes cette année. Le mouvement de baisse s’est accéléré et semble devoir se poursuivre alors que l’Italie maintient son potentiel entre 2 et 2.100.000 tonnes sur la même période. Les spéculations vont bon train pour essayer de comprendre les raisons de ce décrochage entre nos deux pays. Deux explications principales souvent évoquées semblent assez crédibles. La première est relative au marché intérieur italien qui semble plus rémunérateur et moins dominé par la grande distribution que le nôtre. La deuxième concerne les très petites exploitations du Haut Adige qui récoltent plus de la moitié des pommes du pays et sont tenues par des double-actifs qui bénéficient d’une main d’œuvre familiale peu rémunérée. C’est sans doute cette situation qui a permis que, sur les autres marchés ou nous sommes en concurrence, nos collègues italiens aient pu consentir des prix aussi bas que ceux qui nous étaient offerts sans que l’impact sur les comptes de résultat des producteurs soit le même. Paradoxalement alors que toutes nos craintes d’arboriculteurs pour les années qui viennent se focalisent vers nos compétiteurs de l’est il m’a semblé à Budapest que si les raisons d’être inquiets ne manquent pas elles sont d’origines bien plus diverses qu’il n’y paraît au premier abord.
C’est le secrétaire d’état à l’agriculture de Hongrie qui a accueilli les congressistes. Il était plutôt morose. L’impact de l’adhésion à l’Europe pour l’instant lui semble assez négatif. La concurrence a mis à mal la production locale avec des fruits de moindre qualité, selon lui, et des prix de dumping. Dans ce nouveau cadre le recours aux subventions nationales pour soutenir les producteurs n’est plus possible. Il faut donc que les producteurs affrontent le marché avec un verger assez âgé et des variétés inadaptées aux attentes des consommateurs. Et le comble c’est que le mode d’organisation défini par l’OCM (organisation commune de marché) européenne qui permet de bénéficier des fonds opérationnels à hauteur de 4.5% de la valeur de la production commercialisée pour investir, nécessite le regroupement des producteurs en OP (organisation de producteurs). Le secrétaire d’Etat après avoir promené son regard sur l’assemblée et hésité un instant, a quand même prononcé le terme « coopérative » pour nous dire que pour les paysans hongrois OP est un peu un synonyme et provoque un même rejet catégorique. Ils ont trop souffert de ce mode d’organisation pour y adhérer maintenant que ce n’est plus obligatoire. Il est paradoxal et succulent quand même que la politique européenne puisse être taxée de collectiviste! Et sur ce point il faut bien reconnaître que bizarrement elle l’est. Cette situation et ce sentiment sont un peu les mêmes à des degrés divers dans les autres pays voisins de la Hongrie. L’intervention du professeur Eberhard Makosz pour la Pologne ne manquait pas de piquant non plus. Assez en phase avec le secrétaire d’Etat de Hongrie, pour son pays il a ajouté que cette année il y avait eu de graves problèmes de manque de main d’œuvre pour les cueillettes des petits fruits et que cela pouvait se reproduire pour les pommes parce que les polonais préfèrent venir travailler en Allemagne ou en France ou les salaires sont plus élevés et que la compensation par les travailleurs Ukrainiens devenait difficile. Les autorisations d’entrée sont très limitées maintenant.
Nous allons il me semble assister pour la pomme à une re-localisation progressive des productions au plus près des lieux de consommation. Les expéditions plus ou moins lointaines renchéries par le coût du transport, malgré les différentiels de coût de main d’œuvre ou de qualité de fruit, me semblent être orientées durablement à la baisse. Nous étions il y a peu encore le premier pays exportateur de pomme du monde avec une pomme sur trois expédiée hors de nos frontières. Il me semble que nous avons intérêt à nous intéresser de très près à nos consommateurs et à resserrer les liens avec eux. C’est là que ça se passe maintenant.
La Pologne souffre d’une grave sécheresse cette année et la récolte sera sans doute plus faible que prévu. A moins qu’il ne pleuve, ce qui a commencé. Le Val de Loire semble t’il souffre un peu plus que les autre régions de France de la sécheresse. Lors de la réunion des représentants des producteurs des différentes régions qui a précédé notre envol pour Budapest j’ai du faire répéter plusieurs fois mes collègues pour être sûr que j’avais bien entendu, tant l’histoire que l’on me rapportait était abracadabrantesque. Les agriculteurs, autres que les arboriculteurs, exaspérés par la sécheresse ont acquis la conviction que les producteurs de pommes financent par leur primes d’assurance grêle des avions qui traversent les nuages pour à la fois empêcher la grêle mais aussi incidemment la pluie. Des réunions ont lieu dans les villages, les autorités sont interpellées, un député s’en est mêlé. Ce n’est plus une hypothèse mais une certitude et ils ont décidé d’agir pour faire cesser ces actes criminels des arboriculteurs qui sont responsables de la sécheresse. Des articles de presse ont été publié pour relayer le problème. Aucun démenti ou preuve ne peuvent être apportés tant tous sont devenus hermétiques aux réalités. Un peu comme dans le désert où sous l’effet de la soif on peut-être convaincu d’apercevoir de l’eau quand ce n’est qu’un mirage. Un ami arboriculteur des Deux Sèvres m’a confirmé vivre la même psychose de la part de ses voisins. Mais me dit-il : « je n’essaie même plus de démentir, mon verger se trouve sur le couloir d’entraînement des mirages de la base aérienne ».
Ce grand délire m’a rappelé que le ciel et le temps qu’il fait sont propice à développer les croyances et les superstitions. Nous sommes membres du réseau Anelfa présent sur les deux départements de Charente et Charente maritime. Météo France donne l’alerte quand la grêle menace. Immédiatement tout le réseau fait brûler un mélange d’acétone et d’iodure d’argent pour « salir » les nuages. En théorie si des particules sont présentes en grande quantité dans les nuages au moment ou la grêle se forme, le nombre de grêlons sera très supérieur (puisqu’ils se forment autour d’une « poussière ») donc ils seront plus petits et quand ils toucheront le sol ils seront en eau, puisqu’ils auront pu fondre. Eh bien mon jeune voisin et quelques autres personnes, malgré mes explications, sont inébranlables sur leurs convictions puisqu’ils voient de leur propres yeux les nuages s’écarter quand le brûleur est en marche. Mais finalement qui s’intéresse à la vérité ? Ecoute, humilité et distanciation sont des qualités rares.
Faut-il vraiment verser des indemnités sécheresse à des agriculteurs aussi obscurantistes ?
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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