18 Février 2024
Cher Dédé, pour nous, Michèle, Valérie, Jean Claude et moi, tu étais le deuxième homme de la famille chez grand-mère et grand-père aux Deffends. On te voyait chez eux comme un fils adoptif, en tout cas bien plus que l’homme à tout faire à la maison comme sur la ferme. Tu vivais sous leur même toit du matin au soir. Ta chambre pour la nuit était juste de l’autre côté de la route qui traverse le village, au coin du hangar. Mais du petit déjeuner jusqu’au diner, avant comme après les travaux des champs, week-ends et jours fériés y compris, c’est à la même table qu’Yvette et Raymond que tu prenais tes repas.
Pendant toutes nos jeunes années, de passage aux Deffends ou lors des vacances d’été, c’est auprès de toi que nous avions envie de jouer. Nous ne te laissions aucun répit. Tu nous avais tout le temps sur ton dos, au sens propre comme au figuré. Pas question non plus pour toi de boire un café tranquille sans nous avoir sur tes genoux.
Aux côtés de grand-père, tu t’occupais chaque jour des quelques vaches qu’il fallait mener au pré et à l’étable pour les traire. Au rythme des saisons, tu étais de tous les travaux de la vigne et des champs. Lors des vendanges, tu étais le porteur de hotte. Le vidage des raisins dans le fouloir se faisait ensuite à la fourche. Et puis jusqu’à très tard le soir tu te relayais avec grand-père pour activer à la main le levier du pressoir hydraulique. C’était aussi le temps où après les foins et la moisson, la batteuse venait au cœur du village pour extraire le grain des gerbes d’orge, d’avoine ou de blé des fermes du voisinage. Il y avait alors au moins deux Gerbaude par an.
C’est dans cette ambiance familiale, villageoise et de labeur qu’enfants nous t’avons connu. Tu étais aussi le préposé au feu de javelles et aux grillades. Parce qu’il y avait toujours table ouverte chez les grands parents. Le facteur y avait son rond de serviette. Amis et ouvriers d’un jour y étanchaient largement faim et soif. Et systématiquement à la fin du déjeuner beaucoup parmi les gens du village venaient prendre le café et la goutte. Ton père Jean-René qui habitait au bout de la rue manquait rarement ce rendez-vous. On parlait chasse, pêche, du temps qu’il faisait et des mille histoires du village avant de reprendre le travail, chacun à son rythme.
Tu es né au Rambaud à Reignac le 27 novembre 1933. Très tôt au travail, tu as dû quitter l’école avant d’avoir pu bénéficier de cette instruction que tu aurais tant aimé avoir. Mais ta débrouillardise et ton adresse naturelle en toute chose ont très vite compensé ce manque que nul ne soupçonnait. Après avoir changé de commune et être arrivé aux Deffends, une fois effectué ton long service militaire en Algérie, grand-père t’a embauché. Vingt ans à ses côtés et puis c’est d’abord Jean Claude épaulé par papa qui a pris le relais en 1976 pour que grand-père puisse enfin prendre sa semi- retraite.
Une nouvelle étape venait de commencer pour toi avec nous. Plus de vaches, mais des pommiers, un étang à creuser, des bois à défricher, des drainages à poser pour assainir les terres, un chai, une distillerie à construire, une constante effervescence au quotidien te faisait entrer dans une nouvelle phase de ton métier. Et tu y excellais. Quel plaisir pour nous, jean Claude et moi que de travailler et d’apprendre avec toi. Ce sont près de vingt autres années pour toi que nous avons passés ensemble à travailler dur en se serrant les coudes.
A la charnière de ces deux temps sur la ferme de grand-père, tu as construit toi-même ta maison à la sortie du village pour enfin prendre ton indépendance. Sans pour autant distendre le moins du monde les liens si forts qui t’unissaient à Yvette et Raymond.
L’heure de la retraite est venue un peu avant tes 60 ans en 1992 en raison de quelques ennuis de santé. Tu n’en as pas été vraiment moins occupé pour autant. Tu étais toujours disponible pour rendre service chez l’un ou chez l’autre. Et puis il y avait ton jardin, la chasse, la pêche, les amis.
Nous nous sommes alors moins vus, bien sûr, tout au long de ces trente dernières années. Grand-père, puis grand-mère nous ont quittés. Papa juste après et maman il y a un peu plus d’un an. Elle était née peu après toi en février 1934. Tant que tout va bien, on se croise, on se dit bonjour, on vaque à ses occupations. Maman, Michèle et Valérie bénéficiaient très généreusement de tes légumes et prisaient leur passage chez toi comme tes livraisons chez elles. Depuis que Victoria nous a rejoints sur l’exploitation, elle s’arrêtait à son tour pour discuter avec toi, surtout au moment de la cueillette des cerises. Nous savons que cela te faisait plaisir que le lien familial se perpétue.
Mais voilà, les sérieux accidents de santé sont arrivés et nous ont à nouveau un peu rapprochés. Nous avons échangé sur ces belles années passées ensemble. Sur tous les bons et mauvais moments que nous avons partagés. Nous étions si proches, si complices pendant si longtemps.
Ces derniers jours t’ont vraiment été douloureux et pénibles. Toi qui as tant donné et fait pour les autres, tu trouvais le temps bien long et tu t’es quelquefois senti seul, malgré la famille autour de toi et nos quelques visites comme celles de tes amis. Ne plus pouvoir bouger ne te correspondait pas.
Dédé, tu es dans notre cœur comme un membre de la famille, bien plus qu’un ami. Tu as marqué profondément une bonne partie de notre vie et nous n’oublierons pas ta vivacité, ta gentillesse, ta bougonnerie, ton dévouement aux autres et tout ce que tu nous as appris.
Repose en paix. Tu l’as bien mérité.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
Voir le profil de Daniel Sauvaitre sur le portail Overblog