24 Décembre 2022
Obsèques de maman le 21 novembre 2022
Qu’il est difficile, maman, de se résoudre aux adieux. Je sais que tu en es bien plus convaincue encore que nous tous, tes enfants et petits-enfants. Nous t’avons vu accompagner si assidument, si tendrement et jusqu’à leur dernier souffle ton papa, Raymond, puis ta maman Yvette et enfin ton mari, Paul. Tant qu’il y avait un battement de cœur, tu gardais espoir. La mort n’avait pas sa place dans ton vocabulaire tant ton parti pris pour la vie était grand.
Ces dernières semaines, ce sont tes enfants et tes petits enfants, et ô combien plus Michèle et Valérie, qui ont été à leur tour près de toi avec attention et amour. Nous voulions tant te garder avec nous encore et le plus longtemps possible.
Le passage devenu nécessaire entre les mains expertes de la chirurgienne s’était plutôt bien passé. Jour après jour depuis, nous attendions anxieux que tu reprennes des forces, que tu remontes la pente. Mais après 88 printemps et au moins autant d’épreuves difficiles, cela ne t’a pas été possible. Manger et boire était devenu un supplice. La force de parler te manquait. Au fil de cet interminable jeune, l’énergie vitale diminuait chaque jour un peu plus, inexorablement.
Apaisée contre la douleur, de plus en plus souvent le sommeil te gagnait. Mais quand tu ouvrais les yeux, nous avions droit à tes beaux sourires aimants que tu nous as toujours tant offerts. Même emprunts de tristesse, ils nous disaient encore et pour toujours ton amour de mère.
Famille, amis, voisins, salariés de l’entreprise, nous sommes nombreux aujourd’hui réunis autour de toi au moment où tu nous quittes pour rejoindre ton mari, tes parents, Manue et d’autres membres de notre famille au cimetière du Tâtre. Nous sommes là, entre vivants, tristes de ton départ, mais avec l’envie de nous rappeler ta vie et qui tu étais.
Tu es née aux Déffends le 22 février 1934 sur la commune du Tâtre, dans la maison de la ferme de tes parents, Raymond et Yvette. Tu seras une fille unique, choyée et aimée par tes parents comblés. On te baptise protestante au temple, à une centaine de mètres de ta maison.
Tu n’avais que cinq ans quand ton père a été mobilisé pour partir à la guerre à l’automne 1939, juste avant les vendanges. Il n’a pas eu à se battre tant la débâcle fut rapide. Fait prisonnier sans avoir tiré un coup de fusil, pendant cinq années il est resté malgré lui très loin de toi et de sa famille. Après le stalag, c’est au service d’une ferme et d’une laiterie en Allemagne qu’il a attendu la fin de la guerre. Plutôt chanceux sur son point de chute, il gardera d’assez bons souvenirs de son exil forcé, une pratique pas très littéraire de la langue de Goethe et une solide amitié avec son employeur.
Tu grandissais alors entourée de femmes et d’hommes trop âgés pour faire la guerre ou être appelés pour travailler outre Rhin. Des femmes, avec ta maman Yvette devant, qui s’échinaient à tenir la ferme en état et en veillant scrupuleusement à garder intactes les maigres économies laissées par ton père. Tout cela dans l’insécurité permanente et bien souvent la peur.
Avec la fin de la guerre, est venu le jour du retour de Raymond. Il était parti alors que tu n’avais que cinq ans. Après ces cinq années d’absence tu découvrais incrédule et un peu apeurée celui que l’on t’annonçait être ton père. Tu as réappris avec bonheur ensuite à être sa fille chérie.
C’est dans la cour de ta maison qu’un bal joyeux s’est tenu pour fêter le retour des hommes au village. C’était l’euphorie, une ambiance folle. Pour faire danser les villageois en liesse, Paul, ton futur mari était des musiciens. Il jouait de la clarinette. Il avait 14 ans et toi 10. Vous ne saviez pas encore que vous alliez être réunis quelques années plus tard par le mariage et passer votre vie ensemble.
Vos études se poursuivent, école primaire pour toi au Tâtre et collège de Barbezieux pour papa. Puis ce sont les travaux aux champs pour l’un comme pour l’autre, Paul aux Chaussades et toi Monique aux Deffends.
Paul part ensuite faire son service militaire de 18 mois à Oran en Algérie. Il y noue des amitiés durables. Il perfectionne opportunément aussi sa maîtrise de la musique et de la clarinette. C’était en 1950, quatre ans avant que ne commencent les troubles, les « évènements », dans ce département français de l’autre côté de la méditerranée.
Tu étais une très jolie jeune fille et papa un beau garçon. Vous vous êtes revus et retrouvés. Il t’a fait la cour et vous vous êtes mariés en aout 1953 au temple des Deffends. Tu avais 19 ans et papa 23. Papa, fils de Raymond qui était un athée endurci et marié civilement, avait grandi hors de la religion. Tu m’as dit souvent qu’il n’avait pas fait le fier dans ce temple pourtant peu impressionnant, qu’il était pâle et qu’il avait failli se sentir mal en te passant la bague au doigt. Cette alliance s’est quand même, ou pour cela, révélée être à toute épreuve.
Tu t’éloignes alors de tes parents pour te rapprocher de ta belle famille. Deux kilomètres à peine séparent les deux villages, mais le choc culturel entre Les Deffends et Les Chaussades est grand. Paul, ton mari, Robert, son frère et Yvonne ta belle -mère prennent des risques et bousculent l’ordre des choses sur la ferme. Tout cela sous l’œil plus sage et flegmatique de Raymond, ton beau-père. Un projet pousse l’autre et le rythme de travail est soutenu. Tu dois t’adapter à une ambiance bien plus chahutée qu’elle ne l’était chez tes parents.
Tu habites alors avec papa la maison au milieu du village des Chaussades qu’occupe aujourd’hui ton neveu Olivier et sa famille. De ce côté-ci de la route c’est Le Tâtre et de l’autre Reignac. Là où se trouvait l’étable et l’écurie. Magnifique longère si bien rénovée depuis par ta nièce Isabelle, Loïc et leurs filles.
C’est dans cette maison que nait des mains du docteur Pilet ta première fille Michèle en septembre 1954. Ce sera mon tour en décembre 1956, par très grand froid m’as-tu dit. Et puis Jean Claude en juillet 1958.
Valérie naîtra bien plus tard, en mai 1971. Cette fois-ci, tu auras droit à la maternité à Jonzac.
Nous, les enfants, nous vivons aux Chaussades des jours heureux. En dehors de l’école, je nous revois libres, jouant, et Jean Claude et moi, les garçons un peu sauvages, toujours partis avec notre fronde et notre arc, rêvant d’aventures en bricolant des cabanes dans les bois.
Pour toi maman ce n’était pas la même chanson. Il fallait tenir partout. S’occuper de la maison, des enfants, cuisiner et autant qu’il était possible, aller travailler aux champs et dans les vignes. Quelques rares moments de répit le dimanche pour un repas familial aux Deffends ou chez ta belle maman, Yvonne. L’été, c’était au bord de l’étang à Reniame, lieu de promenade prisé par le village, que tu goutais un peu de repos en bavardant et en nous regardant profiter infatigablement de l’eau.
Nous jouissions aussi en ce temps-là d’un immense privilège. Celui de partir chaque mois d’aout avec toi dans les Pyrénées à Cadéac, puis à Eaux Bonnes quand Michèle a eu besoin d’aller en cure. Que de bon air nous avons pu respirer. Que de jeux et de balades merveilleuses nous avons pu faire. Papa nous accompagnait sur place puis revenait nous chercher à la fin du séjour. Lorsqu’il était avec nous et que nous avions la voiture, cette vieille DS, nous sillonnions tous les cinq les Pyrénées de col en col et de vallées en vallées.
Papa travaillait dur avec son frère Robert pour faire croitre la ferme. Il fallait innover, trouver de nouvelles sources de revenus, investir, développer. Se séparer des vaches et commencer à penser à un verger de pommiers. Et c’est Paul qui défrichait les voies nouvelles, jamais en repos, imaginatif et grillant cigarettes sur cigarettes. Il t’en a fait voir as-tu souvent dit.
C’est ainsi qu’en 1967 nous quittons les Chaussades pour Le Tastet où nous sommes encore aujourd’hui. L’entreprise se développe. La fraise, la pomme, deviennent les nouveaux ateliers de l’exploitation, en plus de la vigne et des céréales. Un point de vente au bord de la route nationale 10 à deux voies et encore bordée de platanes est même construit pour vendre le pineau et le cognac de notre production.
Tu es encore plus partout qu’avant. A la vente l’été, à la cueillette des fraises au printemps, au tri et à l’expédition des pommes l’automne et l’hiver. Mais aussi aux fourneaux pour nourrir à midi une tablée nombreuse d’affamés, famille et ouvriers compris.
Et puis nous arrivons pour travailler, les uns après les autres. Michèle et Philippe d’abord. Jean Claude ensuite, moi définitivement en 1979 et Valérie bien plus tard en 1990. Il faut croire que nous n’avons pas pu nous éloigner de toi maman. Tu nous as trop gâtés, trop bien nourris, trop couvés puisque nous sommes encore tous là.
Chacun doit alors faire sa place et apporter sa contribution dans cette large association solidaire. Nous y parvenons lentement. Est ainsi venu le temps où nous avons eu la maîtrise de l’entreprise et ou papa a pu nous laisser les rennes et prendre administrativement sa retraite en 1991.
C’est alors que papa, Paul, ton mari turbulent, a commencé et développé une nouvelle entreprise. Un premier marché de plein vent à ouvrir, puis un second et ainsi de suite jusqu’à 24 marchés par semaines sous son autorité. Jusqu’à ce que la maladie l’éloigne des étals dix ans plus tard et l’emporte en 2001, à 71 ans. Fabrice venu nous rejoindre peu de temps avant a pris sa suite.
Tu étais seule depuis. Ton homme te manquait terriblement. On le savait toujours près de toi, en toi. Il t’a fallu réapprendre à vivre sans la présence physique de ton protecteur chéri. Mais nous étions à tes côtés et nous avons veillé à ce que tu ne manques jamais de rien. Michèle a été ton aidante très dévouée tout ce temps et jusqu’à la limite de ses forces quand il a fallu se résoudre à t’hospitaliser au début du mois de septembre.
Tu n’as que des petites filles. Bien après Aurélie née en 1978, il t’a fallu attendre 1994 et la naissance de Camille pour avoir une deuxième petite fille. Victoria est née ensuite en 1998, Julie en 2000 et Salomé en 2007. Justine, Raphaëlle et Judith sont entrées officiellement dans la famille cette année. Elles en faisaient partie de cœur depuis longtemps déjà. Après avoir été une première fois arrière- grand-mère lors de la naissance d’Eve, la fille d’Aurélie et de Simon, tu l’as été trois fois de plus par deux de tes trois nouvelles petites filles.
Que dire de toi de plus maman ? Que tu étais la dévotion la plus totale pour ta famille. Une mère courage qui vivait au rythme des joies et des douleurs des autres. Mais qui tempérait autant qu’il lui était possible les joies des uns si d’autres étaient à la peine. Toujours du côté des fragiles et des moins chanceux. Plaignant sans cesse le dur labeur des autres quand toi tu ne t’épargnais rien.
J’ai trouvé ce petit mot écrit lors de temps devenus plus calmes pour toi qui éclaire simplement ta philosophie de la vie : « Je reviens de ma promenade habituelle, nourrir mes bêtes, ces animaux merveilleux qui m’apportent beaucoup par leur tendresse. Il pleut, j’admire cette belle nature, la pluie tombe goutte à goutte sur mon parapluie, les bourgeons des pommiers vont éclater, les fleurs, le chant des oiseaux, en moi-même je pense que tout ça est un don de Dieu. A ajouter à ce tableau mes enfants, mes petites filles adorées. Dommage que tout ceci soit souvent assombri par la maladie, la perte des êtres chers, difficile d’accepter…..c’est la vie. »
Maman, il y a cinq ans déjà, au début de tes jours fragiles, quand après être tombée tu étais restée plusieurs semaines immobilisée, je t’avais donné à lire cet ode merveilleuse qu’est Le livre de ma mère d’Albert Cohen. Sans doute pour t’exprimer bien mieux que je n’aurais su le faire mon amour pour toi. Je sais qu’il t’avait plu.
Il est de coutume chez les protestants lors des enterrements de parler aux vivants. Alors, j’ai choisi de lire un texte de cette évangile dédiée à tous les fils et à toutes les mères, le chapitre 28. Et aux filles, puisqu’elles sont aussi des mères.
« Fils des mères encore vivantes, n’oubliez plus que vos mères sont mortelles. Je n’aurai pas écrit en vain, si l’un de vous, après avoir lu mon chant de mort, est plus doux avec sa mère, un soir, à cause de moi et de ma mère. Soyez doux chaque jour avec votre mère. Aimez-la mieux que je n’ai su aimer ma mère. Que chaque jour vous lui apportiez une joie, c’est ce que je vous dis du droit de mon regret, gravement du haut de mon deuil. Ces paroles que je vous adresse, fils des mères encore vivantes, sont les seules condoléances que moi-même je puisse m’offrir. Pendant qu’il est temps, fils, pendant qu’elle est encore là. Hâtez-vous, car bientôt l’immobilité sera sur sa face imperceptiblement souriante virginalement. Mais je vous connais, et rien ne vous ôtera à votre folle indifférence aussi longtemps que vos mères seront vivantes. Aucun fils ne sait vraiment que sa mère mourra et tous les fils se fâchent et s’impatientent contre leurs mères, les fous si tôt punis. »
Nous vous accueillons à la dure, à l’extérieur et le temps n’est plus trop clément. Maman ne souhaitait de cérémonie religieuse, elle ne demandait pas qu’officie un pasteur pour ses obsèques. Nous avons cependant gardé le rituel de nous réunir sur le pas de la porte de la maison, près du pin parasol que j’avais planté en 1992 en témoignage de notre appartenance originelle au christianisme par le protestantisme du côté de maman.
Maman avait glissé plusieurs fois et depuis des années quelques petits mots dans son livret de famille qui nous ont d’ailleurs guidé pour ses obsèques.
Elle écrivait en 2006, « quand ma vie s’achèvera, je veux des obsèques simples, comme mon cher Paul. Pas d’office religieux, bien que je n’aie rien contre mon église. C’est mon choix. J’ai toujours prié en silence. Je veux qu’il en soit ainsi ce jour. J’ai prié ce Dieu mystérieux qui a guidé mes pas, qui peut-être a contribué aux moments de bonheur que j’ai connus, qui dans ma souffrance n’a pas pu apaiser ma peine ».
Elle écrivait aussi, « quand je quitterai cette maison, avant de partir, vous me laisserez quelques minutes devant la porte, sans paroles, dans le silence, que je dise au revoir à tout ce que j’aimais et à vous mes enfants, et mes petites filles qui avez tant compté pour moi et pour votre papa.
Mes enfants je vous embrasse, de gros bisous à mes petites filles adorées, sans oublier Marilène, Fabrice, Manue et ses filles, Simon et ma petite Eve. Je pense aussi à Philippe, le papa d’Aurélie ».
Accordons lui-un peu de ce silence qu’elle souhaite.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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