21 Septembre 2020
Aux confins de l’Asie Centrale, sur les pentes des Monts Célestes du massif du Tian-Shan, s’enracinent une multitude de pommiers sauvages. Apparus il y a plusieurs millions d’années à cet endroit du globe, ils forment toujours d’étonnantes forêts primaires. Le tout récent décryptage complet du génome de la pomme nous apprend que la quasi-totalité des variétés que nous croquons aujourd’hui sont issues de ce creuset lointain de l’espèce Malus Siversii.
Si l’on en croit l’agronome kazakh Aymak Djangaliev disparu en 2009 après avoir consacré sa vie à l’étude de ces arbres, c’est à l’ours frugivore que l’on doit les premières évolutions variétales. Les pépins des meilleurs fruits, selon le goût de l’animal, bénéficiaient après un passage par son tube digestif d’un avantage de fertilité certain. Au fil des millénaires, les descendances des meilleures pommes ont ainsi pu coloniser cette région.
C’est par les routes de la soie que la pomme a commencé ensuite sa dispersion à travers le monde. Les arabes, les grecs et les romains ont alors poursuivi le lent travail de sélection des meilleures variétés.
Le voyage s’est prolongé bien plus tard sur le continent américain jusqu’à ce qu’en 1890 des pépins semés au hasard donnent naissance en Virginie-Occidentale à une pomme prometteuse, la Golden Delicious. Et c’est cette variété que deux pionniers, Guy Chauffaille, commerçant en fruits, et son compère André Michon, ingénieur agronome, ont eu la riche idée d’implanter en terre limousine dès les années 50, entre Corrèze, Haute Vienne, Creuse et Dordogne.
Cette région d’élevage ou mûrissaient depuis deux siècles les pommes De L’Estre s’est révélée être un terroir d’exception pour cette variété jaune d’or venue d’outre Atlantique. Entre 250 et 450 mètres d’altitude, en plus d’être bien plus ferme et sucrée qu’en plaine, elle se pare souvent sous cette latitude d’une joue rose qui la fait s’arracher sur les marchés de l’hexagone et au-delà.
A force d’en façonner l’identité qui la différencie des Golden Delicious produites dans d’autres crus, les arboriculteurs l’ont dénommée Pomme du Limousin et ils ont obtenu pour elle et les terroirs spécifiques où elle est cultivée une Appellation d’Origine Protégée. La seule à ce jour pour une pomme en France.
La pomme nous conte à l’infini l’histoire des hommes et du monde. Le tropisme limousin autour de ce fruit pour cet ouvrage collectif d’universitaires en témoigne. Il enrichit d’éclairages inédits une littérature pourtant déjà bien fournie sur le sujet.
La mythologie abonde de symboliques multiples auxquelles se rattache la pomme. Sans doute parce qu’elle a occupé très tôt la première place dans la corbeille de fruits de nombre de civilisations naissantes.
Soif, faim, gourmandise, plaisir, désir, colère, sensualité ou superstition, la pomme est devenue le miroir à portée de main et de regard de tant de ses sentiments que l’homme l’a consciencieusement parabolée à son image.
Ecrivains, poètes, conteurs, chansonniers, essayistes, mais aussi dessinateurs, peintres, sculpteurs, ont peaufiné au fil de leurs œuvres le portrait de la pomme. Notre culture s’est ainsi nourrie de ce très long empilement de représentations diverses. Une pomme est pour cela bien plus qu’une pomme.
Le lecteur se réjouira du chapitre qui nous rappelle combien la pomme s’est faite habiller pour l’hiver, comme déshabiller pour l’été, sous nombre de plumes, de crayons, de claviers et de cordes vocales.
Chacun d’entre nous s’est entendu conter ou garde en lui le souvenir bucolique d’une pomme savoureuse d’antan ramassée sous un vieil arbre, au jardin, au bord d’un chemin, sur le pré ou au milieu d’un rang de vigne. Cet idyllique pommier perdu hante notre imaginaire. Il brouille encore insidieusement notre perception des pommes actuelles. D’autant plus si notre lien avec la nature s’est distendu. Il est pour cela plus difficile aujourd’hui d’apprécier à sa juste valeur le formidable travail des pomiculteurs et la qualité des pommes qu’ils obtiennent.
C’est tout le mérite de cet ouvrage que de décrire à partir de l’expérience limousine les réalités agronomiques et économiques de la production de pommes comme les nécessités techniques, logistiques, commerciales et marketing qu’il a fallu mettre en place pour atteindre et satisfaire le consommateur distant.
Pour achalander les étals des magasins et des marchés qui se concentrent chaque jour un peu plus au cœur et à la périphérie des villes, loin des vergers, l’arboriculteur se doit d’être à la fois un paysan talentueux et un industriel efficient.
La réussite de l’implantation et du développement de la pomme en limousin nécessitait à la fois un leadership entrepreneurial inspiré et en même temps une construction collective par les agriculteurs. Il se trouve que sur ces terres d’élevage, un solide esprit de coopération et de mutualisation s’est fortement développé de longue date. La diversification audacieuse que constitue l’arboriculture a ainsi pu trouver dans le mouvement coopératif les moyens et les leviers de son ambition.
Produire des pommes nécessite de lourds investissements, depuis le verger jusqu’aux stations fruitières où l’on calibre, trie et emballe les fruits, en passant par les entrepôts frigorifiques. Il faut investir dans le sol, le végétal, le matériel, les bâtiments, mais plus encore dans le savoir-faire agronomique, technique, commercial et bien sûr marketing.
De tout cela, l’ouvrage nous montre comment les hommes et les femmes du Limousin se sont acquittés avec brio.
Après la Pologne et l’Italie, la France avec un million et demi de tonnes de récolte annuelle en moyenne est encore aujourd’hui le troisième pays producteur de pommes de l’Union Européenne. Jusqu’en 2000, notre pays était le premier pays exportateur du monde pour ce fruit. Une arboriculture dynamisée par le retour des pieds-noirs d’Algérie au début des années 60 avait, surproduction oblige, mis sur les routes du monde des défricheurs de débouchés au long cours.
Notre part de marché en Europe et dans le monde s’amenuise malheureusement lentement depuis 20 ans. Elle progresse pourtant encore en Asie et Extrême Orient, en Amérique du Sud ou en Afrique équatoriale. Mais le volume global exporté est à la baisse et peine à se stabiliser. La concurrence est vive et nous ne sommes pas compétitifs sur les coûts.
Au-delà du dynamisme des entreprises exportatrices, notre résistance sur les marchés lointains tient à l’image de la France, à la réputation de son agriculture et à la qualité sanitaire de ses pommes.
Mais nul n’est prophète en son pays. Et c’est au moment où, comme le prouvent les analyses les plus poussées, les traces résiduelles des produits phytosanitaires utilisés pour la protection des fruits au verger sont devenues quasiment inexistantes que les suspicions sur la dangerosité des pommes ont investi l’espace médiatique.
Les pomiculteurs de France se sont engagés depuis le début des années 90 dans la mise en œuvre concrète et contrôlée de la Production Fruitière Intégrée, selon la définition qui en était donnée par l’Organisation Internationale de Lutte Biologique. Une expression qui a été remplacée depuis par agro-écologie.
Il s’agit d’une approche agronomique qui doit démontrer que l’arboriculteur s’est associé autant qu’il est possible le concours de la nature en limitant au strict minimum les intrants chimiques. Depuis trente ans maintenant que cet objectif guide les producteurs de pommes, leurs techniciens, les centres d’expérimentation et la recherche, un certain optimum collectif est atteint. L’évolution se poursuit maintenant au fur et à mesure ou de nouvelles maîtrises techniques innovantes font leurs preuves et peuvent être mises en œuvre dans les vergers sans prise de risque économique trop élevé.
L’Association Nationale Pommes et Poires qui compte en ses rangs près des trois quarts de la production de pommes en France et la quasi-totalité des vergers du limousin a fait de sa Charte qualité des pomiculteurs de France et de son label Vergers Ecoresponsable le cœur de son projet collectif.
C’est le système qualité le plus complet depuis le verger jusqu’à l’expédition des fruits. Mais en plus de la garantie de traçabilité de toutes les opérations culturales, il contient l’obligation des moyens nécessaires à la prise de décision agro-écologique, le conseil technique agrée indépendant et la mesure des résultats obtenus quant aux résidus sur les fruits.
Les arboriculteurs du limousin sont parmi les meilleurs élèves pour l’agro-écologie. Ils ont pourtant eu à subir avant les autres la dénonciation de la protection phytosanitaire de leurs vergers. La confrontation avec une association locale à Allassac et membre de Générations Futures menaçait de dégénérer. D’autant plus que les médias s’étaient emparés du sujet et mettaient de l’huile sur le feu.
Dans cette situation de crise, deux hommes ont choisi la non-violence et l’écoute réciproque. Par leur action, Laurent Rougerie, arboriculteur et président du Syndicat de Défense de la Pomme du Limousin et Fabrice Micouraud, président d’Allassac ONGF ont retourné la relation qui devenait délétère entre les arboriculteurs et les riverains. C’est ainsi qu’ils ont permis à leur région d’être la première à proposer une Charte de bon voisinage avec la validation de l’Etat et des collectivités locales.
Les principes de cette Charte ont été repris depuis par la Charte des Pomiculteurs de France et se mettent en œuvre utilement dans les autres régions.
Le déferlement médiatique contre les pesticides a évidemment laissé des traces et continue d’alimenter les polémiques dans tout le pays. On trouvera dans cet ouvrage des pages très utiles à la compréhension de l’impact sur les citoyens et consommateurs de l’agitation des peurs auxquelles ces polémiques ont donné lieu.
Dans ce contexte, l’avenir de l’arboriculture devient plus incertain que jamais. Puisque l’Etat a décidé d’enlever une à une de l’armoire à pharmacie de l’arboriculteur les matières actives qui permettent la lutte nécessaire contre les maladies et ravageurs des plantes. Le désarmement engagé a conduit en 2020 à un combat trop inégal entre les agressions subies et les capacités du pomiculteur à y faire face, y compris bien sûr en agriculture biologique. Les dégâts enregistrés ont amputé ici ou là les récoltes.
C’est donc du côté de l’amélioration variétale que toutes les énergies se mobilisent et que l’espoir renait. Une fructification régulière avec peu d’éclaircissage et la tolérance renforcée aux maladies et parasites est le nouveau fil d’Ariane qui guide les obtenteurs. Sans jamais oublier bien sûr le goût et la texture pour que le consommateur adhère aux nouvelles pommes proposées.
L’histoire de la pomme parmi les hommes n’est que l’incessante quête de la variété idéale et rêvée. Elle se poursuit aujourd’hui plus intensément que jamais dans les collines du Limousin comme dans les Monts Célestes à l’aube de l’humanité. Evelina et Opale sont deux variétés maintenant plantées aux côtés des meilleurs clones de Golden Delicious. Mais on le sait déjà, l’histoire ne s’arrêtera pas là.
Je suis heureux pour mes collègues arboriculteurs répartis sur ces quatre départements que recouvre l’appellation Pommes du Limousin du regard attentif et bienveillant qu’ont porté sur eux les universitaires qui signent cet ouvrage. Ils le méritent bien. Le métier est rude. Les formidables paysages vallonnés et verdoyants de prairies, de forêts et de vergers sont un ressourcement permanent qui leur donne l’énergie nécessaire. En revanche, les attaques médiatiques dont ils ont fait l’objet les ont meurtris au plus profond.
Espérons que ce livre bienvenu, riche d’informations et de pédagogie, touchera un large public et réparera en partie l’affront. Il contribuera ainsi au passage d’un nouveau cap difficile pour les arboriculteurs du Limousin comme du pays tout entier. Il confortera aussi j’en suis sûr l’envie de croquer à belles dents tous les amoureux de la Pomme du Limousin….et d’ailleurs.
Daniel SAUVAITRE
Arboriculteur en Charente.
Président de l’Association Nationale Pommes et Poires.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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