21 Mai 2018
En passant par la Chine.
Phil Hogan, le commissaire européen à l’agriculture était une nouvelle fois en Chine la semaine passée. J’ai fait partie pour la deuxième fois au titre de l’interprofession des fruits et légumes (Interfel) de la délégation de 71 représentants des filières agricoles de 23 pays membres de l’UE qui l’accompagnait.
Traçabilité, qualité, diversité et sécurité sanitaire sont les principaux atouts de l’origine Europe pour l’agroalimentaire. Et la Chine annonce ouvertement maintenant qu’elle va être de plus en plus importatrice pour satisfaire les besoins de son 1.4 milliard d’habitants qui ne cesse de croître.
Avec seulement 12% de son vaste territoire en terres cultivables et malgré une nouvelle révolution agraire en cours, les besoins grandissants ne peuvent être couverts sans importation. Les nouvelles routes de la soie comme l’acquisition de terres tous azimuts sur la planète sont l’expression la plus spectaculaire de cette expansion nécessaire et vitale de la Chine hors de ses frontières.
C’est d’ailleurs ce qui explique que la guerre commerciale qui menaçait avec les Etats Unis n’aura pas lieu. Le vice premier ministre Liu He l’a annoncé via l’agence officielle Xinhua hier dimanche. Il a réussi semble-t-il à obtenir un peu de patience de la part des américains pour que s’effectue ce rééquilibrage commercial promis et inévitable entre eux.
Le président Trump a salué ce lundi cette paix des braves avec son sens de la nuance habituel. Il annonce que « la Chine a accepté d’acheter des montants colossaux de produits agricoles américains, pratiquement autant que nos fermiers peuvent en produire »
Le risque évidemment c’est que cela se fasse au détriment des européens dont l’organisation ne permet pas un mode de négociation équivalent. L’Europe est très ouverte à l’importation pour la Chine comme pour d’autres pays du monde. En revanche pour exporter en Chine, chacun des 28 Etats doit individuellement obtenir les sésames réglementaires auprès des autorités. Sans avoir rien à négocier en échange puisque l’Europe a déjà dit oui. Dans ce contexte, la mission du commissaire pour une meilleure réciprocité est assez improbable et les progrès sont très lents.
Difficile de dire ici en peu de mots la vitesse d’évolution de la Chine et la redoutable efficacité du président Xi Jiping et de son parti unique. Un pouvoir sans partage qui a conduit l’an passé à la fermeture brutale de 50000 usines qui ne respectaient pas la réglementation environnementale. Sans qu’à aucun moment les conséquences sur l’emploi n’aient pu atténuer la décision.
Un arbitraire qui a permis d’interrompre par exemple l’activité d’une boulangerie prospère, franchisée dans plusieurs villes, après qu’une dénonciation ait fait constater que de la farine périmée avait été utilisée. Le dirigeant français et ses équipes se sont retrouvés illico derrière les barreaux sans autre forme de procès.
A l’ambassade de France à Pékin était organisé vendredi matin un séminaire technique sur le savoir-faire et la sécurité sanitaire de l’offre française. Y participaient les représentants des fruits et légumes, des semences, de la viande, de la charcuterie ainsi que les représentants des douanes chinoises en charge des contrôles sanitaires.
C’est dans ce cadre que Bin Huang, directeur général du département d’agrément du CNCA (Certification et accréditation) et Han Yi, directeur du bureau de l’alimentation de l’administration des douanes, ont l’un et l’autre introduit puis clôturé la demie journée aux côtés de l’attaché agricole de l’ambassade, en rappelant pour l’occasion les objectifs du régime. L’un et l’autre ont cité Karl Marx et Xi Jiping. Les éléments de langage obligatoires ont bien été respectés.
La Chine annonce donc fièrement aujourd’hui qu’elle est importatrice d’agroalimentaire. Que son souci permanent c’est de permettre à chacun de ses ressortissants d’avoir un bon niveau de vie. Que l’éducation, l’énergie, les infrastructures et l’alimentation doivent être suffisantes pour tous, accomplissant ainsi ce projet à 100 ans commencé en octobre 1949 par lequel le communisme devait aboutir à cette société harmonieuse sans classe ou tous auraient un bon niveau de vie, dans un pays de beauté et d’harmonie avec la nature. Rendez-vous est pris pour fêter en 2049 l’accomplissement de ce qui n’est plus tout à fait une utopie.
Etonnant quand même d’entendre qu’il est normal et légitime que les entreprises cherchent à gagner de l’argent et qu’elles y soient encouragées. Mais que la limite, c’est que tout cela doit se faire en respectant scrupuleusement la loi, sinon gare.
Au pays de Confucius et de Lao Tseu, mais aussi maintenant de Xi Jiping dont la pensée fait l’objet de plusieurs petits livres rouges, au pays des paradoxes donc, le communisme prend des airs de libéralisme imposé, la démocratie en moins.
Les observateurs attentifs venus d’ailleurs et qui vivent sur place, inquiets évidemment de la sévérité de l’arbitraire, reconnaissent subjugués que le peuple n’est pas l’oublié, loin de là, du projet de l’Etat.
La longue histoire du pays, ses fondements philosophiques et culturels, la revendication de son passé récent comme de Marx, son socialisme de marché, tout cela concourt à une société prospère et puissante qui subjugue le visiteur.
On est bien loin de Cuba et de ses Castro castrateurs ou du Venezuela et de ses Chavez et Maduro marteaux. Et tout aussi loin de Jean Luc Mélenchon et de ses insoumis qui n’en valent pas un comme de Le Pen avec qui l’alliance antisystème objective à l’italienne illustre la décadence de la rationalité vers laquelle nous glissons dangereusement.
Marrant quand même que la Chine, ce pays communiste, ait parfaitement compris comment se forme le prix d’une marchandise dans une économie de marché ou se confronte librement l’offre et la demande. D’autant plus marrant comme on va le voir que l’on s’évertue à ne pas le comprendre en France.
A peine de retour, j’ai lu comme nombre d’entre vous sans doute l’interview de Stéphane Travers, le ministre de l’agriculture, dans le JDD.
Depuis l’absurdité économique prononcée en 2011 par Bruno Le Maire, alors ministre de l’agriculture, devant les participants au congrès de la Fédération Nationale des Fruits à Dax, je n’avais pas entendu pareilles sottises en matière d’économie agricole.
Bruno Le Maire, fier de lui et de sa contractualisation obligatoire dans les fruits et légumes, avait annoncé sans rire que les maraîchers et les arboriculteurs devaient connaître à trois ans quels seraient leurs prix de vente. Le public était resté coi tant le respect accordé à la fonction et la peur des représailles autorisent un ministre à dire n’importe quelle stupidité.
Aujourd’hui, c’est son digne successeur et collègue ministre qui annonce que la loi qu’il soumet est une vraie révolution parce que dorénavant les prix vont être proposés par l’agriculteur et qu’ils seront élaborés à partir de leurs prix de revient et d’indices divers. Bien entendu si les producteurs ou les acheteurs ne se conforment pas à cette moralisation salutaire de leur relation économique, le gendarme veillera et ils prendront une prune délivrée par la direction de la concurrence dont la doctrine est justement à l’opposé du contenu de la loi. L’avis de la concurrence qui a été remis au gouvernement à sa demande récemment dit très bien tout cela. Et bien sûr le cadre rappelé dans cet avis, européen et national, surpasse en droit ce que la loi peut contenir. Faut-il rappeler aussi que la compétence en matière de politique agricole a été transférée à l’UE.
Ce serait à se tordre de rire si cela ne venait s’ajouter à une multitude d’initiatives réglementaires de la même veine.
Cette loi et ses 18 articles est d’une inutilité absolue et bien sûr source d’emmerdements maximum pour l’économie et ses acteurs. Incompétence confondante ou jouissance perverse, j’ai de la peine à me prononcer sur le cheminement qui a pu conduire à ce naufrage de l’intelligence. A une calamité agricole de plus dont on aurait pu se passer.
Je vous mets l’interview in extenso en pièce jointe.
Mais il faut une suite à cet article pour expliciter mieux tout cela……
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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