27 Mai 2018
Gros abats d’eau hier soir sur la contrée. Une eau servie avec moult glaçons par endroits. Vignes, vergers et autres cultures ont été hachés menu sous la mitraille. Des Borderies jusqu’au Médoc, nombre d’hectares recouverts d’un manteau blanc se sont retrouvés comme en hiver. Tout ça avait pourtant commencé avec l’assombrissement du ciel par de gros nuages noirs. Farce, force et beauté des éléments.
L’iodure d’argent envoyée dans l’atmosphère dès le début d’après-midi à la suite de l’alerte grêle n’y a rien fait. Contre ce fléau, je ne connais que deux alternatives efficaces, le filet ou l’assurance. Je sais malheureusement que malgré la répétition des carnages dans notre région ces dernières années, beaucoup de surfaces agricoles ne sont couvertes ni par l’un, ni par l’autre.
Etre paysan, c’est un peu comme jouer au casino, mais en bien plus risqué évidemment. Puisque l’on mise son patrimoine chaque jour. C’est pourquoi, au fil du temps, l’agriculteur a cherché à tout mettre en œuvre pour maîtriser le plus possible de paramètres aléatoires qui concourent à la réussite de son activité.
D’un côté, avec des amortisseurs de crise qui régulent les résultats à la hausse comme à la baisse. C’est là que se situent les assurances, l’épargne, les stocks, les marchés à terme et toute la panoplie des outils qui permettent « de mépriser les hauts et de repriser les bas ».
Et de l’autre côté, avec toutes les techniques qui permettent de maîtriser les maladies et les ravageurs des cultures. Et bien plus encore celles qui limitent concrètement les conséquences des affres du climat sur les cultures. C’est là que l’on trouve les moyens de la protection contre la grêle, contre le gel, contre les excès d’eau ou contre la sécheresse.
Que l’agriculteur cherche à se protéger contre le gel ou la grêle ne fait pas débat dans la société. En revanche dès lors qu’il évoque l’irrigation, le débat se crispe dangereusement. Et je ne parle évidemment pas des pesticides.
Il n’y a pas pourtant pas d’agriculture sans eau. Quand elle ne tombe plus du ciel, il faut en prendre ailleurs, dans les nappes, les rivières ou les lacs. Avec le réchauffement climatique, l’évaporation augmente et à production agricole équivalente, il faut apporter de plus en plus d’eau.
Face à cette situation, il y a deux options. La première c’est de diminuer les surfaces de terre affectées aux céréales, aux oléo-protéagineux, à l’horticulture, à l’arboriculture et au maraîchage. L’importation compensera le déficit de production de denrées agricoles auquel nous aurons à faire face. Nous sommes déjà à la veille de dépasser les 50% de fruits et de légumes importés en France.
La seconde, plus ambitieuse, consiste à retenir, dans les nappes ou dans des réserves, l’eau en excès qui par chance tombe du ciel le plus souvent chaque hiver sur notre pays de cocagne.
Augmenter ainsi le disponible en eau pour le printemps, l’été et l’automne, c’est l’assurance de pouvoir satisfaire les besoins en eau des plantes. Mais c’est aussi une contribution essentielle à la limitation de la hausse des températures sur le territoire et particulièrement en ville.
Les hommes ont compris cela depuis les premiers âges de l’humanité. Mais ils semblent s’évertuer à l’oublier depuis qu’ils ont choisi en grand nombre de s’exiler de leurs cavernes et de la campagne pour vivre à l’écart des champs et de leurs durs labeurs, dans des villes artificielles, climatisées et aseptisées.
Depuis ces vastes enclaves du territoire ou l’on aime si peu la terre qu’on la recouvre de béton, de goudron, de plastic, de tôles et autres matériaux composites au travers lesquelles l’herbe ne doit pas pousser, puisque ce sont des zones Roundup free, une partie grandissante de la population du haut de ses donjons regarde les paysans au mieux comme des intrus, au pire comme de dangereux prédateurs.
Pour l’urbain, la contrepartie rédemptrice de son asile artificiel hors sol, sous cloche et pour souliers vernis, c’est une nature environnante primitive rêvée et sanctuarisée.
Moment de grande solitude pour moi quand, comme les autres participants venus pour une heure des quatre coins de la Nouvelle Aquitaine, après avoir brûlé beaucoup de pétrole dans d’épouvantables embouteillages pour parvenir rue de Sourdis à Bordeaux, j’écoute les débats qui se tiennent dans le cadre du GIA consacré à la transition écologique (Groupes Inter Assemblées qui réunit les conseillers régionaux et les membres du CESER).
C’est ainsi que mardi dernier, lorsqu’a été évoqué le schéma régional de l’eau dont nous allons débattre en séance plénière en juin et dont la partie qui concerne l’irrigation suscite de gros tiraillements dans les rangs de la majorité, j’ai pu entendre certains arguments qui en creux révèlent ce parti pris.
Vouloir retenir l’eau en excédent l’hiver pour en disposer le reste de l’année quand il en manque ne serait donc pas une bonne idée. Parce que les poissons migrateurs justement profitent des crues pour remonter les cours d’eau et contourner les obstacles mis par l’homme. Il ne serait donc pas juste de parler d’eau en trop qu’il serait possible de mettre de côté. L’alose en a trop besoin elle aussi. Elle doit être prioritaire évidemment. Et surtout pas ce paysan qui veut irriguer son maïs et dont le scandaleux goût du lucre conduit à piller toujours plus la belle nature.
Et puis ces fameux petits lacs collinaires à créer qui pourraient permettre de stocker un peu d’eau, ne seront-ils pas de dangereux bouillons de culture bourrés de bactéries liées au réchauffement climatique ?
Et puis enfin, comme l’a écrit le conseiller régional radical de gauche Benoît Biteau dans son livre « Paysan résistant », on sait aujourd’hui qu’agroforesterie et permaculture permettent aux plantes d’aller chercher avec leurs propres racines l’eau qui leur est nécessaire bien en profondeur dans les entrailles de la Terre.
Non, décidemment il n’y a pas de justification à l’irrigation en agriculture et il n’est donc pas légitime de faire investir la collectivité aux côtés des agriculteurs pour retenir de l’eau l’hiver quand il n’y en a finalement jamais trop. Il n’est d’ailleurs pas plus pertinent de laisser l’agriculteur creuser des trous ou faire des digues par ses propres moyens.
Voilà la toile de fond de ce que seront nos débats sur cette question au conseil Régional en juin. Ça promet non ?
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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