15 Février 2016
De nombreuses manifestations d’agriculteurs ont eu lieu ces derniers jours un peu partout en France. En Charente, comme en Charente Maritime ou bien ailleurs, les éleveurs laitiers ont quitté leurs étables, les céréaliers leurs champs inondés et pour qu’on les entende, ils sont allés ensemble bloquer avec force tracteurs l’entrée d’une centrale d’achat ou bien ralentir la circulation sur un grand axe routier comme à l’entrée d’une ville.
J’ai suivi cette actualité depuis Berlin où je participais au Fruit Logistica jusqu’au dimanche 7 février et puis toute cette semaine au travers d’échanges, de vive voix ou au téléphone avec mes collègues agriculteurs, qu’ils soient responsables professionnels ou non. Lundi, j’étais à l’assemblée générale des irrigants qui se tenait avec plus d’une centaine d’entre eux dans les locaux de la Chambre d’Agriculture à Angoulême. Et puis mercredi soir, je suis allé à la rencontre du groupe qui assurait le blocus de la base Lidl de Vars.
Les cours des céréales et plus encore ceux du porc ou du lait sont très bas. En tout cas bien en dessous du prix de revient de la plupart des exploitations agricoles. Pour certaines, le seuil de résistance économique est déjà bien enfoncé et à moins d’une remontée rapide des cours ou d’aides substantielles, la pérennité est menacée.
Ils ont pourtant le cuir dur les paysans et le travail ne leur fait pas peur. Et s’ils sont encore debout par les temps qui courent, c’est qu’en plus ils sont forcément ingénieux et brillants techniciens, qu’ils savent prendre des risques et ont bien souvent gagé leurs biens pour investir. Mais l’impasse de prix de marché trop bas peut avoir raison même des meilleurs. Pas besoin de discuter longtemps avec les uns et les autres autour du feu à l’entrée de la base Lidl pour comprendre tout ça.
Pris dans cet étau que demandent-ils ? Des prix rémunérateurs bien évidemment. Une reconnaissance de leur travail, ce qui leur semble aller de pair. Et puis aussi, bien plus qu’un moratoire sur l’empilement des contraintes et des normes qui pleuvent sur eux comme à Gravelotte depuis trop longtemps.
La question des prix est la plus complexe. Les autres demandes sont à la fois très simples à satisfaire, puisqu’elles ne relèvent que de la seule volonté politique, et en même temps il est difficile d’y répondre puisqu’elles nécessitent justement un changement de l’orientation politique poussive qui vient d’être confirmée par le remaniement du gouvernement.
Donc les prix. Spontanément c’est vers la grande distribution que se tournent tous les regards paysans. Sa puissance d’achat et la pression permanente sur les fournisseurs qu’elle exerce font d’elle la coupable idéale. Et il est indéniable que les grandes enseignes ne sont pas des clients faciles. Mais existe-t-il un seul client sensé au monde qui volontairement peut offrir pour un même produit un prix plus élevé que celui qu’un fournisseur lui soumet? Evidemment non?
Je l’ai déjà écrit l’été dernier sur ce blog au moment de la crise aigüe du porc, (Paysan libre, toujours tu chériras la terre….et tes clients) le producteur doit savoir au plus profond de lui-même qu’il est responsable du prix qu’il accepte pour ses produits. Aussi exigeant et douloureux que cela puisse paraître, c’est la première condition à remplir pour qu’il puisse envisager de reprendre en main librement son destin économique. Et c’est du côté des producteurs, où qu’ils soient dès lors qu’ils interviennent sur le même marché, qu’il faut chercher les causes des prix faibles.
De même que ce n’est pas Leclerc qui a fait baisser le cours du pétrole brut à la production, ce n’est pas lui non plus qui fait baisser le cours du lait. Mais de même que l’Arabie Saoudite ou l’Iran en augmentant leur production de barils sont à l’origine de l’abondance qui a fait baisser les cours, les pays du nord de l’Europe ont fait chuter les cours du lait en augmentant la leur à la fin des quotas. Dans le cas du lait, l’embargo russe, le ralentissement de la croissance en Chine, la baisse du pouvoir d’achat des pays dont l’économie est liée au pétrole ont nettement aggravé le déséquilibre.
C’est alors que s’exacerbent les avantages ou les handicaps de compétitivité des uns et des autres dans leur pays respectif. Tout comme s’évaluent aussi en fonds propres les capacités de résistance des éleveurs. Parce que ce n’est qu’après que le potentiel de production aura baissé par l’arrêt des élevages les plus fragiles que les cours remonteront.
Dans ce contexte, tout ce qui peut contribuer à augmenter la compétitivité et la résistance des éleveurs français doit être mis en œuvre. Et il faut très vite cesser de laisser croire que la solution serait de produire bio et de vendre en circuit court pour se libérer à bon compte des obligations qui incombent aux élus. Même si évidemment toutes les opportunités offertes par le marché et la demande des consommateurs doivent être saisies. Et elles le sont, bien heureusement. Cependant les volumes concernés sont infimes comparativement à la production totale objet de la crise.
Toutes les politiques publiques doivent tendre vers la création de conditions les plus favorables possibles à la production. Les messages politiques locaux ou nationaux doivent être empreints de pragmatisme, de réalisme économique, plutôt que d’être culpabilisants et d’inviter bêtement à des alternatives chimériques. L’accompagnement de l’administration doit aussi être actif et combattant aux côtés de la production. L’ambiance doit être à la qualité, à l’entreprise, à l’investissement, à l’agronomie, à la technologie, à la science, à la recherche, à l’expérimentation et à l’innovation permanente sans tabous. Autrement dit à l’économie « réelle » et à la satisfaction des demandes et des comportements « réels » des consommateurs, puisqu’il est nécessaire maintenant d’ajouter ce qualificatif quand on veut faire la distinction avec l’enfumage d’avant. Ah ce secrétariat à l’égalité réelle…
Je suis étonné qu’il soit si difficile de démasquer la tromperie inexcusable qui a consisté pour les mêmes politiques à agir sur le territoire national comme si nous étions en Suisse dans un marché protégé tout en libéralisant de plus en plus les marchés à l’échelle européenne. La fin des quotas illustre dramatiquement le prix à payer pour cette incohérence. Les hommes et les territoires en France sont pourtant en parfaite aptitude à relever le défi de la compétitivité si leur environnement public, réglementaire et normatif fait aussi le pari de la compétitivité avec les autres pays d’Europe.
Pour l’agriculteur, qu’il soit modeste et vendeur direct auprès des consommateurs ou sociétaire d’un immense groupe coopératif qui transforme ses produits pour les vendre sous marque sur tous les marchés de France, d’Europe et du monde, il doit toujours savoir qu’il est responsable de ce qu’il met en marché et des prix qu’il revendique. C’est ainsi que nait la conscience de la singularité qualitative qu’il faut réussir pour chercher en permanence à s’affranchir de la cotation générique indifférenciée des produits qui est presque toujours tirée vers le plus bas, sauf c’est vrai en cas de déficit conjoncturel. Mais la maîtrise du métier rend cette situation de plus en plus rare.
La liberté de produire et la fixation des prix par le marché qui l’accompagne, face à cette situation de crise, est à nouveau remise en cause. Les denrées agricoles auraient une telle spécificité en oscillant en permanence de la surproduction à la sous production qu’elles ne devraient pas relever de cette économie de marché qui convient bon an mal an aux autres biens et services. Pour le vivre intensément avec une production fruitière, je crois au contraire qu’il faut améliorer sans cesse la connaissance de l’offre, des stocks et des ventes pour les opérateurs, développer les outils de régulation comme les marchés à terme, les possibilités de provisions fiscales contra cycliques, enfin tous les outils de gestion qui permettent au producteur d’adapter sa gestion à la spécificité d’un produit. Et puis, la multiplication à l’infini des origines, des différentiations qualitatives et des marques permet de se sortir de la cotation basique d’une matière première.
La tentation du prix garanti et du quota protecteur est une constante pour tout entrepreneur tant la compétition est éprouvante. Mais l’économie de marché est, elle aussi, le pire des systèmes à l’exception de tous les autres.
Stéphane Le Foll est aujourd’hui à Bruxelles et nombre d’agriculteurs manifestent encore ce lundi pour qu’il ait la pression. Il a pointé la responsabilité de l’Europe dans cette crise la semaine passée. Il est prévu que les participants évoquent la situation du marché à l’heure du déjeuner.
J’attends ce qui va sortir de ces échanges pour poursuivre cet article…..
Je vous mets en lien la tribune publiée dans le Monde par Sylvie Brunel qui se révèle être la meilleure avocate du moment pour le monde agricole. De même qu’une vidéo de sa participation à une émission sur Canal + où elle brandit une pomme trouvée dans sa loge pour vanter les mérites des arboriculteurs. Que du bonheur.
Sylvie Brunel en face à face - Le Grand Journal du 09/02
Le meilleur du Grand Journal ! - CANALPLUS.FR
http://www.canalplus.fr/c-emissions/c-le-grand-journal/pid5411-le-grand-journal.html?vid=1360612
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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