1 Février 2015
Le congrès de la Fédération Nationale des Producteurs de Fruits s’est tenu mercredi et jeudi dernier à Tulle. Dans cette même salle où François Hollande a prononcé ses vœux aux corréziens quelques jours plus tôt. Le temps était donc forcément gris et pluvieux comme vous pouvez l’imaginer mes chers lecteurs.
Mais le climat n’était pas plus au beau fixe à l’intérieur. Les producteurs de fruits, très fragilisés en ce moment, ont en effet tenu à manifester leur colère à l’encontre du ministre de l’agriculture qui leur faisait faux bond pour prononcer le discours de clôture. C’est ainsi qu’au moment ou Hervé Durand, le directeur général adjoint de la DGPAAT commençait à s’acquitter de sa mission de remplacement, quelques producteurs de fruits ont brandi derrière lui des cartons recouverts des mots de leur ressentiment. Le préfet s’est alors levé et a quitté précipitamment la salle, suivi du directeur général adjoint, qui a remballé fizza son discours, et de tous les agents de l’Etat encore présents. Un coup de théâtre sans doute plus efficace que bien des palabres pour consacrer et faire savoir l’exaspération d’une profession qui se sent dangereusement malmenée et mal aimée.
Embargo russe, sévère concurrence des pays producteurs voisins, compétitivité défavorable et prix trop bas tendent les trésoreries et font craindre les fermes pour leur avenir. Dans ce contexte, l’accroissement des normes et le durcissement des réglementations font facilement déborder la coupe des fruits. Si en plus il plait au ministre de se la péter le jour même en décrétant 2015 l’an I de l’agroécologie, il n’y a alors rien d’étonnant à ce qu’il se prenne bruyamment une volée boomerang de bois vert dans le concept.
Parce que les arboriculteurs n’ont pas attendu 2015 pour faire progresser leur compréhension des interactions écologiques au verger, pour user de toutes les prophylaxies connues, pour fonder leurs décisions d’intervention sur des observations et des modélisations et pour utiliser en priorité les produits de « biocontrôle » contre les maladies et les ravageurs. Malgré tout cela, pour produire et vivre de leur métier, comme tous les paysans du monde dans les mêmes conditions agro climatiques et pour les mêmes cultures ils utilisent des produits phytosanitaires de protection des plantes, issus ou non de la chimie de synthèse.
A paramètres de production, de climat, d’espèces et de variétés constants, il y a peu de réduction quantitative de produits phytosanitaire possible. En revanche, de vraies ruptures sont accessibles par la mise en œuvre de moyens physiques tels que par exemple des bâches de protection contre la pluie ou des filets contre les insectes. Ou plus surement encore en optant pour des variétés génétiquement moins sensibles aux agressions des cryptogames et des autres ravageurs. Tout cela est étudié, expérimenté et proposé. La motivation des arboriculteurs pour évoluer vers des productions plus naturelles est très forte. Mais la contrainte économique l’est encore bien plus évidemment. Et seuls les consommateurs peuvent accélérer ces mutations en modifiant leur comportement devant les étals. Dans ce cadre, l’agriculture biologique n’est évidemment pas l’horizon indépassable à atteindre. Les frontières artificielles entre les modes de production ont, c’est ma conviction, vocation à s’effacer, tant la voie à suivre est médiane.
Dans sa volonté de justifier de résultats mesurables pour les français et de gagner en popularité, ce gouvernement emboîte le pas de son prédécesseur et s’obstine à fixer des objectifs quantitatifs. Moins 50 % à l’horizon 2025. Comme si d’évidence, la corrélation actuelle entre production et consommation d’intrants n’était pas déjà optimisée. Les fermes pilotes Dephy montrent pourtant qu’il n’y a quasiment aucune différence avec les autres fermes.
Le mot d’ordre à l’égard des paysans est donc d’économiser ce surplus de produits phytosanitaires dont les savants docteurs politiques et fonctionnaires ont décelé l’inutilité potentielle. Pour tout cartésien, c’est la mesure des impacts environnementaux, sur l’eau, sur la santé qui devrait être le seul indicateur probant à suivre. Mais cela est trop subtil sans doute pour des communicants politiques lourdingues.
Alors de très brillants fonctionnaires, qui ne savent pas faire pousser grand-chose si ce n’est des impôts, se sont livrés à leur passe temps favori en réponse à la commande politique. Ils ont imaginé un système complexe de bonus malus via un certificat d’économie phytosanitaire à l’adresse des marchands de produits. Il est demandé à ces derniers de conseiller leurs clients paysans pour qu’ils consomment moins de produits phytosanitaires. En mesurant l’écart de volume entre la moyenne des cinq ans d’avant le début de l’opération, en ôtant la plus forte et la plus faible, et l’évolution du volume de leurs ventes, l’Etat leur infligera ou une pénalité ou une subvention. Enfin quelque chose comme ça.
Lorsque j’ai été audité au tout début de ce projet, l’idée me paraissait si saugrenue que j’avais du mal à imaginer qu’elle puisse prospérer. Je me suis quand même précipité pour regarder la fiche Wikipédia d’Hélène Pelosse afin de mieux comprendre la personnalité d’une des principales chevilles ouvrières de ce nouveau coup tordu. J’ai complété mon enquête en googleisant les autres noms des missionnaires missionnés. De quoi avoir le vertige tant leurs parcours semblent brillantissimes. Le paradoxe ne m’en paraissait que plus grand encore. Comment avec une intelligence plutôt au dessus de la moyenne peut-on donner corps à cette idée absurde d’auto limitation des ventes de produits par des commerçants à qui il est demandé de conseiller la réduction de consommation à leur clients. Tout ça bien entendu devant être mesurable en jetons de Nodu (indicateur bâtard né d’Ecophyto 1) pour passer à la caisse à la fin de la partie.
Un arboriculteur a plusieurs fournisseurs d’intrants. Et il en change en permanence au gré des offres des uns et des autres. Son conseil est indépendant de ses fournisseurs. C’est l’exigence absolue de tout cahier des charges qui se respecte. La Charte qualité des pomiculteurs de France en a fait un point de contrôle disqualifiant. Parce que la décision d’intervenir dans un verger contre une maladie ou un ravageur ne peut pas se faire sous l’influence de l’intérêt économique d’un vendeur de produit. Même si certains sont très vertueux. A quoi va bien pouvoir servir alors le rétroviseur des cinq années passées puisque le périmètre de la clientèle des fournisseurs d’intrants évolue sans cesse ? La panoplie des produits vendus évolue également chaque année.
Vous comprenez aisément mes chers lecteurs que si la consommation des produits phytosanitaires diminue ce ne sera en aucun cas grâce à ces certificats absurdes qu’un humble titulaire d’un certificat d’étude aurait eu la sagesse de ne pas inventer. Sauf si nombre d’arboriculteurs à force de se faire ausculter le trou du Nodu finissent par arracher leur verger. Ou si les surcoûts du système ne viennent handicaper un peu plus la compétitivité déjà très en leur défaveur comparativement à leurs concurrents européens et mondiaux et disqualifient définitivement les plus acharnés du métier.
En revanche avec ces certificats, la France démontre une fois de plus qu’elle n’a toujours pas trouvé le remède à la croissance anarchique de ses lois, de ses normes et de ses règlements qui la ronge et de son administration qui la ruine.
Ces certificats d’économie phytosanitaires illustrent à mon sens à quel point le système politico administratif échappe à tout contrôle et tourne sur lui-même dans notre pays. Tous les sujets sont propices à justifier une nouvelle excroissance. Pour mettre un peu plus le joug sur une population du secteur concurrentiel qu’il faut dompter pour qu’elle rende des comptes en matière d’emploi, de croissance, d’impôts, de protection de l’environnement. Jusqu’à ce que l’on se rende enfin compte que l’Etat et le secteur public ne sont plus la solution mais qu’ils sont devenus le problème. Et que ce sont eux qu’il faut réformer et bien moins les soutiers du monde exposé qu’il convient bien au contraire de libérer nettement. Pour cela il faut que l’asphyxie soit bien plus forte encore. Grâce à ces déjà trop fameux certificats nous allons y parvenir un peu plus vite encore. Enfin un point positif finalement.
Je vous mets en pièces jointes deux articles qui illustrent mon sujet. Le premier article publié dans les Echos compare les évolutions de l'agriculture des deux côtés du Rhin ces dernières années. L'autre est signé Luc Ferry et vante l'ouvrage de Nicolas Bouzou que je vous recommande moi aussi et qui s'intitule "Pourquoi la lucidité habite à l'étranger?".
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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