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Ma pomme et la francophonie.

J’ai participé le 13 septembre à Bordeaux à la 25ème biennale de la francophonie à l’invitation de son président Roland Eluerd. Je vous ai recopié le texte qui m’a servi de support pour mon intervention.

Quels militants pour la francophonie du 21ème siècle ?

Francophonie et géographie amoureuse de la pomme dans le monde.

Ou comment les échanges commerciaux, techniques, scientifiques, botaniques et culturels autour de ce fruit participent du soutien à la francophonie. 

Mesdames et messieurs,

Lorsque Roland m’a demandé de participer à cette 25ème biennale de la langue française et d’y intervenir, j’ai comme cela m’arrive encore trop souvent donné mon accord avant même d’avoir bien saisi ce qui était attendu  de moi. Je m’identifie d’ailleurs pour l’occasion assez parfaitement avec l’adhésion universelle et spontanée que Woody Allen exprime ainsi: « la réponse est oui, mais quelle est la question ? »

Je connais la perspicacité de l’auteur érudit, talentueux et ardent défenseur de la langue française, du célèbre blog : « l’énergie des mots ». Je sais aussi la profondeur de la réflexion de l’intellectuel qui collectionne, comme il le dit lui-même, tous les parchemins universitaires possibles. C’est sans doute pour cela que, rassuré et admiratif, j’ai accepté la proposition sans vraiment réfléchir plus avant. J’ai supposé que Roland savait mieux que moi en quoi ma contribution pourrait être utile aux débats

C’est immédiatement après que ma confiance, doublée d’une relative inconscience, a fait place au doute et à l’inquiétude.

Je suis arboriculteur, en plus d’être viticulteur, dans les départements de Charente et de Charente Maritime. Et mes collègues producteurs m’ont, c’est vrai, confié la présidence de l’Association Nationale Pommes Poires. A ce titre, je participe à de nombreuses rencontres internationales en Europe, aux Etats-Unis ou ailleurs dans le monde.

Mais aurais-je du dire à Roland que hors des frontières de l’hexagone j’abandonne presque toujours la langue de Molière au profit, ou plutôt à la perte, d’un anglais technique, standardisé et d’une rare pauvreté qui ne devance que de très peu le langage des signes pour les descriptions littéraires et poétiques?

En quoi puis-je donc être utile à un colloque qui s’est donné pour thème l’identification des militants de la francophonie au 21èmesiècle ? A moins que mon rôle ne soit en creux et serve à mieux cerner les dérives à combattre et ceux qui s’en rendent coupables?

Il m’était quand même difficile de m’arrêter à ce constat peu flatteur. Je me suis donc interrogé pour savoir si, au-delà des apparences, je pouvais être moi aussi un peu l’un des vôtres.

Après tout, je tiens un blog en français depuis plus de huit ans, j’ai un compte twitter et je compte plus de 4000 amis sur Facebook répartis pour certains sur les quatre continents. Si l’effet papillon existe, mes écrits sur la toile ont peut-être une petite résonnance.

Les outils de communication ne cessent de m’étonner au regard de l’audience qu’ils permettent. Mais c’est surtout à partir de l’économie de la pomme qu’il m’a semblé utile d’observer le soutien à la francophonie auquel je participe sans doute un peu, comme de nombreux autres acteurs en France et dans d’autres pays francophones comme la Belgique Wallonne, la Suisse, le Québec, voire le Maroc, l’Algérie ou la Tunisie.

La pomme est apparue en Asie centrale il y a 65 millions d’années dans les montagnes célestes du Tian Shan au Kazakhstan, à la frontière de la Chine et du Kirghizstan. Elle voyage depuis au moins 12 000 ans déjà, portée par les nomades, puis par les caravanes de la route de la soie, les guerres et les migrations de population. Elle traverse les civilisations de l’Antiquité, croise les Perses et les grecs et arrive en Gaule par les Romains. Elle est le fruit illustre de la Renaissance. La pomme atteint alors les rives du nouveau monde à bord des caravelles des grands explorateurs.

De pollinisation croisée en semis de hasard, d’innombrables variétés de pommes d’aspects et de gouts divers naissent et couvrent progressivement tous les terroirs des régions tempérées du monde. Au fil des siècles et des ans, la quête sans fin de la nouvelle variété rêvée, enfin idéale, anime pépiniéristes et arboriculteurs du monde entier qui parcourent sans cesse la planète pour la trouver et la multiplier. La longue histoire de la pomme, c’est d’abord l’histoire de la sélection et de la création variétale. Entre l’arboriculteur et le croqueur de pomme, séduction et reconnaissance sont affaire de variété.  

C’est ainsi que la pomme voyage et se mondialise depuis ses origines. Le mouvement de globalisation se poursuit plus intensément que jamais encore aujourd’hui. La planète pomme est devenue un village où tout le monde se connait et où tout se sait. Il est possible de converser ou d’échanger avec chacun indépendamment de la distance facilement et presque gratuitement.

Depuis l’arrivée de la pomme en Europe, la France a pris toute sa place dans l’amélioration de cette espèce fruitière, dans la création variétale et la maîtrise de la conduite de l’arbre. Et puis jusqu’en 2000, la France était encore le premier pays exportateur de pommes du monde. D’autres nous ont un peu devancé par la suite, dans le même temps où la production nationale baissait. Une pomme française sur deux est cependant toujours consommée hors de l’hexagone. Et la pomme est toujours le fruit préféré des français.

La pomme est porteuse d’enjeux qui illustrent assez fidèlement les défis du pays que nous avons à relever, francophonie comprise. A l’heure où les échanges mondiaux s’intensifient, la pomme de nos vergers a vocation à être présente sur tous les marchés importateurs du monde. Au même titre que celles en provenance d’Italie, de Pologne, de Chine, des USA, du Chili, de la Nouvelle Zélande ou de l’Afrique du Sud.

Nous avons d’excellentes conditions climatiques et agronomiques, des terroirs précoces en Provence, certains plus productifs dans les vallées du Tarn et Garonne, d’autres plus tardifs en Val de Loire ou en altitude dans le Limousin, les Alpes et la Savoie. L’eau du ciel et des réserves naturelles est disponible en quantité suffisante. Toutes les variétés de pommes qui peuvent se cultiver dans le monde ont leur terroir d’élection en France. Pour autant la compétition est rude. Recherche, innovation, cadre réglementaire et administratif, ressources humaines, savoir faire, formation, tailles d’entreprises, marques, stratégies, volumes et qualités, technologie, logistique, coûts de revient, tous les termes de la compétitivité sont à optimiser pour concourir sur les marchés du monde.

Si l’on ne tient compte que des quantités produites, la langue de la pomme est le chinois. La moitié des 70 millions de tonnes récoltées chaque année dans le monde sont en effet cultivées en Chine. Mais la langue des échanges scientifiques, techniques et commerciaux pour la pomme est bien sûr l’anglais.  

Les français sont pourtant partout où l’avenir de la pomme s’invente au quotidien.

Tel arboriculteur des Deux Sèvres dont les quatre enfants ont complété leur apprentissage du métier, comme des compagnons, dans les vergers des deux hémisphères, a soutenu l’un deux qui s’en est allé planter en Biélorussie. Marié là bas, parlant russe, à la tête d’une exploitation importante, il est devenu le consultant recherché des grands projets qui fleurissent à l’est, des bords de la mer noire jusqu’au Kazakhstan.

Tel autre fils d’arboriculteur du Périgord a choisi de vivre en Nouvelle Zélande pour conduire les projets d’innovation variétale de pépiniéristes des quatre coins de la planète qui se sont associés, dont bien sûr des français.

Nombre de techniciens conseils ont franchi la méditerranée pour accompagner le développement de vergers au Maroc et en Algérie. Mais aussi en Amérique du sud en Argentine et au Chili.

Le président des producteurs de pomme brésiliens est français. Le président de l’association Pink Lady Europe est français. La pomme rose des amoureux qui s’est imposée sur la planète est entre de bonnes mains bien vertes originaires du Languedoc.

Il est utile de rappeler que nous devons aussi au retour des pieds noirs d’Algérie, en plus d’une coloration originale de la langue française, le développement dans les années 60 de grands vergers dans les vallées du Tarn et de la Garonne, en Provence ou dans le Val de Loire et le début de l’ambition d’exporter qui a rapidement conduit la France à la première place sur les marchés européens, mais aussi au Moyen Orient et en Asie. 

C’est un petit artisan de Montauban qui au cœur du premier département producteur de pommes de France s’est spécialisé dans le tri et l’emballage des fruits. L’entreprise qu’il a créée est devenue la première au monde sur ce créneau très spécifique.

C’est un autre très jeune chef d’entreprise implanté dans ce même département qui à la suite de son père maîtrise la technologie du contrôle de l’atmosphère des chambres froides. Ses outils ont bien d’autres applications dans l’industrie. Il est aujourd’hui l’un des premiers mondiaux sur ce créneau de la séparation de l’oxygène, du gaz carbonique  et de l’azote. Pour parfaire son portrait, il est aussi, comme son père avant lui, aux premières places du classement européen en vol à voile.

La recherche française, si elle n’a pas crée de variété mondiale comme a su le réussir celle de Nouvelle Zélande, n’en a pas moins influencé la conduite du pommier dans la plupart des vergers du monde. Les enseignements tirés de la compréhension de la physiologie du pommier ont conduit Jean Marie Lespinasse de l’INRA de Bordeaux, aujourd’hui retraité, à proposer une conduite de la branche fruitière qui a diffusé partout dans le monde. Son frère Yves, en charge de l’INRA d’Angers et lui aussi nouvellement retraité, est un scientifique tout aussi mondialement reconnu dans la discipline qui touche à la génétique et à l’hybridation du pommier. Tous les deux sont aussi fils de viticulteur bordelais.

Je pourrais continuer longtemps l’énumération de la présence de la France aux avants postes de l’aventure de la pomme dans le monde. Nous sommes pourtant aujourd’hui à la croisée des chemins. Les échanges commerciaux de pommes se développent régulièrement, mais la France n’occupe plus la première place. Malgré de trop nombreux handicaps, les producteurs de mon association ont pourtant choisi de relever le défi de reconquérir du terrain et du verger. Nos commerciaux sont déjà présents presque partout, reste à produire et à être compétitif.

Produire nécessite des travailleurs motivés et endurants. L’attrait pour le travail dans nos vergers est manifeste dans plusieurs pays d’Europe. Pologne, Bulgarie, Roumanie et plus récemment à nouveau Espagne et Portugal. Pour ces travailleurs à la recherche de meilleurs revenus, la langue française est un précieux sésame.

L’intérêt porté à une langue résulte d’une résonnance complexe qui mêle rayonnement intellectuel, identité culturelle, croissance démographique, influence géopolitique, dynamisme économique et vocation exportatrice.

Faire reconnaitre la diversité des terroirs de France par la richesse de l’offre variétale de pommes pour la consommation intérieure tout en orientant une offre plus segmentée et massive vers les destinations lointaines constitue le challenge dans lequel se sont engagés les arboriculteurs de France.

Ce rayonnement autour de la pomme a vocation à renforcer l’intérêt pour la langue associée à sa géographie et aux hommes et aux femmes qui en sont les auteurs.

Tout comme le vin et les fromages, la pomme participe de l’aura de la France et donc de la francophonie.

Chaque année se tient au début du mois d’aout, quelque part en Europe, le congrès Prognosfruit. Les représentants des producteurs de pomme de toute l’Europe se réunissent pour annoncer et partager leurs prévisions pour la récolte à venir. Analystes, experts, commerçants du monde entier se pressent aussi à ce rendez-vous pour tenter de prévoir les tendances du marché à venir.

L’association WAPA (World Apple and Pear Association), dont je suis depuis cette année le vice-président aux côtés du président de Nouvelle  Zélande, Peter Beaven, profite de cet évènement pour tenir sa deuxième grande réunion annuelle après celle de Berlin en février.

Après Graz en 2000, puis Trento, Cologne, Lublin, Nyborg, Budapest, Vilnius, Ashford, Maastricht, Kiev, Ljubljana, c’est à Toulouse l’an passé que des représentants de plus de 20 pays producteurs se sont retrouvés pour échanger sur l’économie de la pomme.

Cette année nous étions à Prague. La cheville ouvrière du Prognosfruit et de WAPA est un Belge francophone entouré d’une équipe qui maîtrise très bien le français. En amont du congrès, Philippe m’a interrogé pour savoir qu’elle serait l’ampleur de la délégation française à Prague pour mesurer l’intérêt économique d’assurer une traduction dans notre langue. Malgré la vingtaine de participants sur les 200 présents, c’est en anglais qu’il nous a fallu écouter les présentations et comprendre nos amis thèques, allemands où chinois.  

Mesdames et messieurs, la route de la pomme française est encore longue et semée d’embûches. Celle de la francophonie aussi. 

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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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S
<br /> Tu sais si besoin à reignac...il y a un tcheque qui parle tres bien le tcheque...<br />
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