5 Juin 2010
Le Parisien de mercredi annonçait en première page une interview décoiffante de Gérard Depardieu. Je n’ai pas été déçu. Il embrasse large le Gérard quand il se laisse aller à causer. Excessif, mal élevé, touche à tout sensible et généreux, ses vies éclectiques et intenses confèrent une résonnance particulière à ses déclarations. Il dit d’ailleurs au cours de cet échange avoir lu beaucoup d’excellents livres qu’il a pour la plupart complètement oubliés depuis et qu’en revanche les situations qu’il a vécues restent gravées à jamais dans sa mémoire et le constituent bien plus. D’évidence, ça se ressent et c’est ce qui incite si vivement à s’approcher pour écouter.
J’ai aussi ce souvenir précis des instants vécus, des rencontres, des témoignages d’expériences singulières. Inconsciemment sans doute, savoir cela me pousse à me mettre en situation pour apprendre, stimuler mes intuitions et trouver des réponses aux questions que je me pose. C’est à cela que je pensais mercredi soir dans le TGV qui m’amenait à Annecy pour y rencontrer une nouvelle fois les producteurs de Savoie en même temps que j’allais participer à une journée Bio sur le site du verger expérimental du lycée agricole de Poisy. « N’y allez pas », m’avait-on pourtant sincèrement conseillé, « vous n’y apprendrez rien ».
Alors j’ai écouté Aurélien et son frère Baptiste raconter leur expérience d’arboriculteurs bio. D’abord Aurélien, chargé de la vente, qui rappelle que ses parents se sont engagés dans la production biologique dès 1968, seuls, sans conseils, sans cahier des charges spécifique, sans certification et sans circuit commercial dédié. Simplement parce qu’ils voulaient produire différemment. Il a décrit le durcissement progressif du marché qui demande des fruits de plus en plus beaux en bio…et qui les trouve, moins chers, ailleurs, en Italie, en Espagne ou dans l’hémisphère sud.
Avec une production moyenne maximum de 20 tonnes à l’hectare, dont une bonne partie est transformée parce qu’elle n’est pas assez belle pour être vendue pour croquer dedans, des prix bataillés, boucler les fins d’année est de plus en plus difficile. C’est parfaitement paradoxal, au moment où la demande est au plus haut, la communication le plus universelle auprès des consommateurs, ces arboriculteurs Bio de longue date s’inquiètent pour demain. Et puis c’est au tour de Baptiste de parler du verger. Il raconte comment le plus souvent il ne peut pas travailler le sol sous le rang au printemps, parce que trop humide, trop argileux. Alors il fauche et une fois par an il passe la débroussailleuse. Mais ça coûte, la main d’œuvre est chère et c’est pénible. Et puis il pleut beaucoup en Savoie. Alors même en passant souvent déposer un peu de cuivre ou de soufre sur les feuilles, la tavelure infeste le verger. Et pourtant quand les vergers ont fleuri il faisait beau. Alors la pollinisation s’est si bien faite que les fruits sont trop nombreux. Il faut passer à la main les éclaircir et ça coûte. Pour l’alternance c’est trop tard. Trop de pépins se sont formés, le taux de gibbérellines trop élevé dans les arbres à bloqué l’induction florale pour l’année suivante. Déjà il sait qu’il y aura peu de fruits la récolte d’après. Evidemment pour les concurrents d’Italie ou d’ailleurs c’est plus facile. Moins de pluie et des produits de traitements utilisables chez eux en bio et pas chez nous font la compétition inégale. Alors il va falloir comme il dit mécaniser plus, pour nettoyer le sol ou pour éclaircir avec ce hérisson de fils qui tourne pour arracher au hasard des fleurs et donc diminuer le nombre de pommes à faire tomber à la main.
Il faudra aussi changer les variétés du verger, planter celles qui sont tolérantes à la tavelure. Mais voilà, elles ne sont pas si faciles que ça à vendre. Les consommateurs se font tirer l’oreille. Le marché veut de la Gala et de la golden bio. La salle s’énerve. Hérésie ! Imbécillité que tout ça. Oui mais les producteurs d’ailleurs en Europe et dans le monde réussissent eux. Et ils peuvent achalander moins cher douze mois sur douze les pommes favorites des clients, alors….Ça semble insoluble. Voilà des témoignages vrais, beaux, honnêtes, qui disent mieux que tous les messages des politiques, des conseilleurs ou des clients qui veulent le bio et l’argent du bio, les Belpomme véreux et autres prêcheurs d’apocalypse bien pensants, la difficulté de la tâche et le mérite de ces Depardieu paysans à la Manon des sources. Parce que ce sont bien des paysans de l’impossible, de plus en plus démunis des moyens de sauver les récoltes, parce que les matières actives qui sont utilisées pour les préparations qui peuvent servir à protéger un peu leurs cultures doivent elles aussi être inscrites à l’annexe 1 de la directive CEE 91/414. Et ensuite les spécialités commerciales ont l’obligation d’être homologuées comme toutes les autres, encore pays par pays. Mais comme elles sont d’efficacité aléatoire personne ne va se risquer à investir pour monter le dossier. On ne peut pas plus scabreux. On fait à la fois la promotion du Bio tout en retirant de fait la possibilité d’en faire vraiment. Alors c’est vrai, produire selon le cahier des charges Bio est plus ou moins facile selon l’espèce, fruitière et légumière, moins incertain en fonction d’où on se trouve et du climat qui y règne. La pomme n’est pas la plus favorisée pour réussir dans ce cadre.
Ecouter ces deux frères raconter ce qu’ils vivent, ce qu’ils endurent, me donne envie d’expliquer à tous ceux qui quotidiennement bavent stupidement sur l’agriculture productiviste, quel a été, quel est toujours le combat des agriculteurs. C’est pourtant simple à comprendre. Jour après jour, mois après mois, année après année, les paysans cherchent à diminuer l’aléatoire, à se préserver des caprices du temps, à s’assurer des récoltes les plus constantes possibles, à améliorer sans cesse la productivité tout en réduisant toujours la pénibilité. Tout ça pour vivre le plus possible comme les autres, pour organiser et diminuer leur temps de travail, obtenir une rémunération cohérente avec les autres activités économiques, pouvoir recruter de la main d’œuvre en respectant les normes en vigueur partout ailleurs. Ils n’ont fait que suivre de loin l’exemple du reste de la population qui a choisi de se construire une vie libérée du chaud, du froid et de la faim, de la pénibilité des travaux aux champs, dans des villes bien artificielles et aseptisées. Tout est allé de pair.
La perspective d’une demande forte, de prix rémunérateurs, le challenge technique, le plaisir de produire sans intrants qui inquiètent, attire encore de nouveaux et valeureux coolies pour retourner biologiquement la terre. Mais qu’on ne s’y trompe pas, la production Bio ne se développera que dans la proportion de la réussite des agriculteurs à en vivre en obtenant les produits attendus par le marché aux prix imposés par la concurrence et grâce à des itinéraires techniques bien sécurisés.
Cette même journée j’ai écouté attentivement les premiers résultats d’un beau programme d’expérimentation mis en œuvre en commun avec la Suisse qui vise à trouver des solutions techniques agrées Bio et à les inclure dans les itinéraires qualifiés de conventionnels. Marie et Jean Luc, tous deux techniciens passionnés, chacun travaillant d’un coté de la frontière, ont exposé les difficiles avancées dont nous attendons tant.
J’ai conforté une fois de plus mercredi ma conviction que les arboriculteurs doivent être très autonomes dans le choix de leurs méthodes de production. Ils ne doivent laisser personne faire à leur place les arbitrages techniques et économiques. Ne pas s’en laisser conter par les conseillers de tous poils qui se gardent bien de mettre en pratique ce qu’ils conseillent aux autres. Il y a lieu d’optimiser tout ce qui peut l’être, sans créer de frontière artificielle entre ce qui peut être employé pour produire et ce qui ne peut pas l’être, dès lors qu’une utilisation est légalement possible. A chacun d’optimiser ses stratégies de Production Fruitière Intégrée extrêmes (pour employer le vocabulaire anglo-saxon de référence) qui rejoignent inévitablement l’optimum économique et les attentes de la société au regard de la protection de l’environnement, de la sécurité sanitaire.
En matière de stratégie d’entreprise, il demeure dans ce domaine là de la production, comme dans tous les autres, indispensable de raisonner à partir du comportement des clients et non pas de leurs attitudes ou de celles des innombrables donneurs de leçons. C'est la première condition d'une éventuelle réussite.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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