6 Février 2011
Il me semble que je dois à Pascal, qui a pris le temps de commenter mon avant dernier article, d’être encore plus clair sur ma perception de la genèse de cette disposition absurde de la LMA qu’est l’obligation de proposer un contrat de trois ans à un producteur de fruits et légumes frais par son acheteur.
Pour cela je vous propose de lire très attentivement ce qu’ont exprimé sur le sujet le président de la Fédération Nationale des Producteurs de Fruits et le ministre de l’Agriculture dans leurs discours de clôture respectifs à Dax.
Voilà ce qu’a déclaré en premier Bruno Dupont :
« Je terminerai ces propos sur la LMAP et son volet commercial en évoquant la contractualisation.
Vous le savez, notre fédération y est favorable. Elle ne s’en est jamais cachée. Favorable car c’est un outil de sécurisation du revenu pour les producteurs. Un outil parmi d’autres, libres à eux de s’en saisir ou non.
Certains y voient une nouvelle forme d’esclavagisme des producteurs, de servage, une entrave à la liberté d’entreprendre librement et en toute responsabilité. N’est-ce pourtant pas tout l’inverse ? Le contrat ne va-t-il pas permettre aux producteurs d’instaurer une relation de confiance, un dialogue avec leurs acheteurs ? Un contrat est un engagement entre deux parties. Il impose une négociation préalable sur tout un ensemble de critères et pour le producteur une réflexion sur l’objectif qu’il assigne à la signature d’un tel outil. S’il désire couvrir tout ou partie de ses charges fixes, il optera pour contractualiser une partie de sa production dans des critères minimaux arrêtés. S’il désire jouer totalement sur le marché libre, il refusera tout contrat. S’il préfère un système totalement cadré, il visera à contractualiser toute sa production. En un mot, de sa stratégie d’entreprise, de sa responsabilité d’exploitant, de son analyse économique découleront ses choix et ses orientations tout autant que le contenu du contrat notamment en termes de modalité de détermination des prix.
J’ajouterai que les mêmes qui critiquent la contractualisation, louent le modèle de la transformation dans lequel la contractualisation est une pratique ancienne et bien rodée qui concerne une partie, et non pas tous, des produits qui seront transformés !
Quoiqu’il en soit et pour ne pas jouer le jeu de la polémique, je peux vous assurer de la contribution de la FNPF à faire avancer ce dossier et son application. La FNPF travaille au service des producteurs et va mettre en place avec la FNSEA un numéro vert pour répondre à leurs questions, leurs préoccupations, leurs inquiétudes face à un contrat reçu ou non.
Il restera à résoudre la question majeure et centrale des contrôles, de l’ensemble des parties concernées. Le débat que nous avons eu ce matin ne nous a pas rassurés. Il serait bon que vous convainquiez votre collègue du Ministère des Finances de mettre les moyens nécessaires au contrôle de la bonne application de l’ensemble des mesures contenues dans la LMAP.
Enfin, notre fédération attend beaucoup de l’interprofession sur le dossier de la contractualisation. Elle a eu bien du mal à avancer jusqu’à présent mais le travail va s’enclencher très rapidement pour que puisse enfin apparaître des contrats type sécurisant pour l’ensemble des parties ainsi que des indicateurs permettant d’avoir une meilleure connaissance des marchés en temps réel voire être des références pour la construction des prix des contrats. »
Et voici ce que lui a répondu dans la foulée Bruno Le Maire :
« Stabiliser les revenus c’est évidemment mettre en place des contrats. Moi, le débat sur les contrats, je suis prêt à l’ouvrir avec n’importe qui. Je vois bien que le contrat, c’est un changement de culture, pour tous les paysans français. Et je n’ai jamais prétendu que le contrat allait être une garantie de revenus élevés, de prix élevés. Ce n’est pas une solution magique. Mais le contrat c’est la stabilité et la visibilité.
Ensuite bien sûr, il faut se battre sur les autres dossiers, sur les coûts du travail, sur la compétitivité, sur le plan filière proposé par la FNPF. Mais tout ça ne sert à rien si le producteur n’a pas un contrat à long terme qui lui dit, voilà le revenu sur lequel je peux compter sur plusieurs années.
Et au cours des presque 2 années que j’ai passé dans ce Ministère maintenant, personne ne m’a apporté une solution plus convaincante pour stabiliser le revenu des producteurs, personne !
Et je me réjouis que la fédération accepte de jouer le jeu, parce que cela me parait indispensable. Ces contrats seront en place au 1er mars 2011 pour la filière fruits et je ne reculerai pas d’un jour la date. J’ai le regret de dire à tout ceux qui expriment des doutes, qui voudraient qu’on reporte sans cesse, mais ce sont en général les mêmes qui ensuite vous reprochent de ne pas avoir pris de décision et de ne pas avoir été assez courageux dans vos choix politiques.
J’assume le choix des contrats parce que c’est le choix de la stabilité du revenu. Si il y a une difficulté, je le rappelle, vous m’avez demandé un médiateur, il y a un médiateur. Nous allons le mettre en place. Il sera là pour vérifier que les contrats sont équilibrés et équitables. Que tout le monde s’y retrouve dans l’affaire.
Le rôle de l’Etat, c’est bien ça. Ce n’est pas d’apporter des subventions, de l’argent public en permanence, lorsqu’il y a une difficulté. C’est de vous permettre de vivre correctement de votre travail. C’est de vous faire gagner en compétitivité et réduire les coûts de production. Et c’est aussi d’être un arbitre lorsqu’il y a une difficulté.
S’il y a une difficulté sur la rédaction du contrat, si vous estimez que le contrat est léonin, au désavantage du producteur, il faut qu’il y ait un médiateur. Il y aura un médiateur pour jouer ce rôle.
Par ailleurs, j’ai demandé à mes services déconcentrés et aux chambres d’agriculture d’être à votre disposition pour régler un certain nombre de difficultés. »
L’accord semble si parfait entre le représentant des producteurs et le ministre que mon insistance à dénoncer cette disposition de la loi doit vous paraître bien anachronique et suspecte. D’autant plus que je revendique moi aussi la représentation d’un grand nombre de producteurs. Comment expliquer alors une telle distorsion entre ma position et celle de la Fnpf?
Jusqu’à ce jour, lorsque des situations identiques se produisaient dans la profession, la tradition était plutôt de ne rien dire ouvertement et de n’en penser pas moins tout en serrant très fort les dents. Pour ce qui me concerne ce temps là est révolu, si tant est que je ne me sois jamais tu par prudence. L’absolue nécessité pour notre pays et nos vergers de regagner en efficacité et en compétitivité est ma priorité. C’est pourquoi il me semble indispensable d’évoquer au grand jour les engrenages qui ont conduit à cette aberration de la contractualisation obligatoire dans la loi. Parce que la contractualisation n’est que l’écume d’un fonctionnement plus insidieux qu’il est nécessaire de bien comprendre pour éviter qu’il ne continue de nous emmener régulièrement dans le mur.
L’origine poétique de cette bêtise tient dans cette déclaration péremptoire du ministre : « Mais tout ça ne sert à rien si le producteur n’a pas un contrat à long terme qui lui dit, voilà le revenu sur lequel je peux compter sur plusieurs années».
Toute personne un tant soit peu impliquée dans l’économie des fruits et légumes frais est forcément très décontenancée devant ce bel irréalisme candide. Vous le savez bien maintenant, la variabilité imprévisible de ce que seront les cours des fruits et légumes frais interdit techniquement un marché à terme sur trois ans, définissant des prix et des volumes, qui pourrait être passé entre un producteur et son acheteur. Je le répète, l’incertitude sur les cours au stade de l’expédition empêche toute fixation de prix à l’avance au stade production sur une longue période.
L’intention louable du ministre vis-à-vis des producteurs n’a donc tout simplement aucun sens lorsqu’il s’agit de fruits et de légumes frais. Le problème, c’est que cette croyance totalement infondée a donné lieu à l’inscription dans la loi de la contractualisation obligatoire. Et non seulement cette disposition n’apporte rien, mais elle constitue concrètement un handicap majeur, avec de plus de très nombreux effets pervers collatéraux. Je vous ai déjà fait le descriptif d’un certain nombre de ces incidences contre productives. Je vous en ajouterai au moins une autre un peu plus loin.
Alors comment se fait-il qu’un ministre féru de littérature, mais qui n’a malheureusement pas lu Frédéric Bastiat, puisse poursuivre son erreur jusqu’à ce qu’il soit démontré, après la mise en œuvre de la loi, qu’aucun contrat, conforme à ses souhaits de revenu garanti pour le producteur, n’a pu être conclu dans le monde réel ?
Il faut se remettre dans le contexte de l’année 2009 et des graves crises du lait et de certains fruits et légumes. C’est aussi au cours de l’été 2009 que sur injonction de l’Europe, la France a du annoncer qu’elle allait demander le remboursement des aides qu’elle avait versées au secteur des fruits et légumes dans le cadre des « plans de campagne ». Il n’y avait donc plus les moyens financiers, ni la possibilité légale d’intervenir conjoncturellement de façon significative auprès des entreprises. La réflexion s’est donc engagée pour trouver une réponse structurelle pour éviter que ne se reproduisent très régulièrement les crises. Avec une attention toute particulière au secteur du lait dont la fin de l’encadrement des cours et de la production faisait craindre aux pouvoirs publics des crises à répétition durables.
C’est dans cette ambiance que, depuis les conseillers de l’Elysée, en passant par le Président de la République et le ministre de l’Agriculture, le concept de contractualisation obligatoire s’est peu à peu imposé. Cette nouvelle orientation devait traduire clairement le passage de l’implication de l’Etat auprès des agriculteurs en crise par la subvention à une nouvelle ère plus « libérale » ou ce sont aux acteurs de l’amont et de l’aval de coopérer ensemble pour limiter le mouvement erratique des cours et garantir un revenu au producteur en assumant le coût de revient de ses productions. Au cœur du projet se trouve cette idée intéressante qu’il faut changer les comportements et que la règle du jeu est déterminante pour cela. Une trop longue tradition de dirigisme a malheureusement conduit à aborder cette évolution prometteuse en transformant un peu vite une intuition, le contrat, en un nouveau dogme idiot, la contractualisation obligatoire à modalités définies par la loi et le décret. Pour ce qui concerne les comportements, c’est du côté de l’Etat qu’il y a d’abord fort à faire. Il ne semble pourtant pas utopique d’envisager de rechercher les solutions aux problèmes rencontrés en pratiquant une écoute fine des acteurs représentatifs et actifs du terrain.
Le contrat, c’est ce que pratiquent au quotidien les acteurs de la vie économique. Taper dans la main pour conclure une affaire, c’est un contrat. Signer un bon de commande ou facturer en stipulant des conditions générales de vente, c’est encore contractualiser. S’engager à livrer à un terme défini, une marchandise à un prix convenu à l’avance, c’est toujours un contrat. A chaque fois qu’un producteur et un fournisseur trouvent un intérêt commun à s’engager dans la durée selon des conditions fixées à l’avance, le recours au contrat écrit devient une évidence.
Je suis naturellement un adepte de l’utilisation du contrat écrit à chaque fois qu’il permet aux deux parties de sécuriser, d’authentifier une vente ou un approvisionnement à court ou moyen terme. En revanche, la production de fruits et légumes frais reste fondamentalement une entreprise incertaine que l’utilisation du contrat sous toutes ses formes ne peut pas rendre forcément moins aléatoire. Le contrat dans ce domaine d’activité a donc vocation à être utilisé en cohérence avec la nature et la spécificité des marchandises échangées et la réalité des engagements qui peuvent être pris dans le temps par les deux parties. En général sur cette planète, les pays qui optimisent les règles de l’économie de marché pour la meilleure efficience possible au bénéfice de leurs producteurs et de leurs consommateurs, s’en remettent à la responsabilité des acteurs pour utiliser comme ils l’entendent le droit du contrat. L’interposition de l’Etat dans cette mécanique de précision se traduit par bien plus que des grains de sable dans les engrenages.
Là où le contrat souhaité entre deux parties sert les intérêts des deux parties en ce qu’il existe par leur seule volonté, la contractualisation obligatoire avec une contenu défini par décret devient mécaniquement une aberration réglementaire et économique.
Depuis plusieurs semaines maintenant, je ne rencontre que des mines catastrophées devant la nécessité de mettre en œuvre au 1er mars ces contrats. Et tous les projets dont j’ai connaissance confirment que les rédactions emberlificotées qui remplissent de vide la paperasse obligatoire ne modifient pas d’un iota l’incertitude sur les volumes et les prix. La promesse du ministre envers les producteurs ne pourra donc pas être tenue. Ils ne seront pas plus qu’hier en situation de pouvoir connaître à l’avance leur revenu.
Alors puisque tous les acteurs économiques du secteur, qu’ils soient producteurs, expéditeurs, grossistes, grands distributeurs ou détaillants, savent pertinemment tout cela, comment cette disposition a-t-elle pu être inscrite dans la loi ?
L’association des différents fruits et légumes (GEFEL) a été auditée au Sénat sur ce projet. Nous nous étions attaché l’aide d’un juriste pour remettre un document écrit qui exprimait me semble t-il assez précisément ce qu’il nous semblait nécessaire d’inscrire dans la loi. Bien entendu nous précisions que la contractualisation obligatoire n’améliorerait, à notre sens, aucunement la situation des producteurs. Nos propositions ont circulé et toutes les personnes concernées ont pu en prendre connaissance, ministre y compris.
Mais nous étions bien seuls à douter des vertus de la contractualisation obligatoire puisqu’il nous revenait régulièrement que le syndicalisme était « pour ». Comment le syndicalisme a-t-il pu être « pour » quand l’immense majorité des producteurs, une fois informés du projet, désapprouvaient cette fausse solution?
La réponse a été révélée au grand jour lors du Congrès à Dax. La part du financement du syndicat par les cotisations des producteurs représente moins de 8% du budget et est en régression constante depuis plusieurs années. Cette situation conduit à une dépendance de plus en plus grande envers la bonne volonté du ministre et de la maison mère, la FNSEA. Très logiquement le syndicat devient par l’origine de son financement bien plus tourné vers le ministre et les choix politiques de la maison mère que vers la volonté des producteurs qui se détournent de plus en plus d’une voix qui n’est plus la leur.
Je suis dans une situation fondamentalement différente en ce que l’association que je préside, qui collecte pour les seules pommes et poires 50 fois plus de cotisations que le syndicat qui représente pourtant tous les fruits, est financièrement autonome à plus de 90%. Et les cotisations sont volontaires bien sûr. Autant vous dire qu’il vaut mieux que la stratégie conduite et les services rendus soient très en phase avec la volonté des membres, sinon, révocable ad nutum, je serai renvoyé illico presto et sans égard à mes chers vergers.
Comment comprendre que le ministre continue de se prêter à ce jeu de rôles déconnecté de la base active. En ces temps où sous d’autres latitudes les pouvoirs tombent d’avoir nié la volonté de leur peuple, il me semble qu’il y a nécessité absolue dans notre belle république éprise de démocratie de réfléchir autrement le progrès et les règles pour y parvenir.
Je disais tout à l’heure qu’à la liste des effets pervers de l’obligation de contractualiser, j’allais vous en ajouter un autre. Je vous en fais part maintenant. Depuis la fin de la semaine passée les rabais, ristournes et remises sont interdits pour les transactions qui concernent les fruits et légumes frais. Cette disposition en revanche fait bien l’unanimité du côté de la production, mais aussi d’une partie de la distribution. Cependant, certains opérateurs mal préparés à des transactions en prix absolument nets se fondent sur la volonté du législateur de promouvoir la contractualisation tous azimuts pour proposer à leurs fournisseurs de nouveaux contrats. Le problème c’est que ces contrats n’ont qu’une seule vocation, c’est de ré-instituer des rabais, ristournes et remises sous la forme de la rémunération d’une supposée coopération commerciale. Ces contrats consistent ainsi en un remplissage bavard de plusieurs pages dont la seule ligne concrète se trouve être celle ou le montant qui sera facturé au fournisseur, exprimé en pourcentage sur le chiffre d’affaire, est écrit noir sur blanc.
Même si l’on comprend le contrepied auquel doivent faire face un certain nombre de distributeurs, il est absolument nécessaire de faire disparaître uniformément cette nouvelle forme à peine déguisée des rabais. Puisque dans les fruits et légumes il n’y a quasiment pas de marques qui pourraient justifier un contenu à ces surprenantes coopérations commerciales. Voilà un domaine ou nous avons vraiment besoin de l’aide de l’Etat pour dire le droit et dénoncer un certain nombre de montages contractuels qui ont pour seul but de brouiller les négociations commerciales et assurer des marges arrières de confort.
Au diable les numéros verts et le médiateur mis en place pour tenter de limiter les dégâts de la contractualisation obligatoire et vive l’Etat qui dit le droit en matière de tricherie à la réintroduction insidieuse des rabais, remises et ristournes interdites.
Je rappelle aussi que ce dont nous avons le plus besoin pour améliorer l’économie des fruits et légumes et les revenus des producteurs, c’est de préciser le contenu de ce que les membres des associations produits, comme l’Anpp, peuvent faire ensemble en termes d’échange d’informations sur les marchés, les volumes et les prix, de concertation sur les prix à défendre. Jusqu’où il faut s’autoriser à aller avant de nuire aux intérêts des consommateurs, en accord avec l’autorité de la concurrence et la DGCCRF.
Voilà la voie qui peut permettre de gagner le pari de Pascal, qui est aussi le mien, organiser l’offre et la mise en marché pour ouvrir de nouvelles perspectives à la production.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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