13 Avril 2008
La production agricole augmente, mais moins vite que la demande (lire l’article d’Eric Le Boucher paru dans le Monde d’hier). Alors les prix des denrées alimentaires flambent et nous assistons, incrédules, en ce début 2008 à des émeutes de la faim partout où la part du revenu consacrée à la nourriture est si élevée qu’il n’y a d’autre solution pour y faire face que le jeûne. Jacques Diouf, le directeur pour l’alimentation et l’agriculture de la FAO, déclarait le 11 avril à Rome que « la vérité c’est que déjà, des gens meurent dans ces émeutes (…) Mais ils ne se laisseront pas mourir sans rien faire. Ils réagiront ». Eric Orsenna et le cercle des économistes dans un ouvrage de plus en plus d’actualité paru en 2007 et qui s’intitule « un monde de ressources rares », rappellent pourtant qu’en 1996 au Sommet mondial de l’alimentation, les dirigeants s’étaient engagés au nom de leurs pays à réduire de moitié la faim d’ici 2015. L’objectif ne sera pas atteint. J’emprunte à Orsenna cette citation de Jean Bodin, économiste contemporain de Michel de Montaigne, qui écrivait « il faut que le peuple vive bon marché ». Et aussi celle de Gabriel Bonnot de Mably, auteur en 1789 de « Du commerce des grains », qui déclarait « je ne puis me passer un jour de pain sans avoir la mort devant les yeux ». Deux impératifs catégoriques qui sont toujours en vigueur et qui s'imposent à tous les gouvernements sous peine de révolution.
Avant-hier j’entendais le directeur d’Arvalis (Institut du végétal) nous dire dans le cadre d’un atelier Vivéa (fonds pour la formation des entrepreneurs du vivant) consacré au rôle de la formation dans la réduction de la consommation des produits phytosanitaires, que quand il se rend en Egypte ou dans d’autres pays importateurs de céréales, ses interlocuteurs lui demandent instamment que nous continuions à produire autant qu’il nous est possible pour mettre sur les marchés nos récoltes qui leur sont si nécessaires.
Le dilemme va inévitablement s’exacerber au fil des mois qui viennent entre d’un côté la pression des marchés qui vont inciter les agriculteurs à améliorer la productivité de toutes leurs parcelles et de l’autre la demande sociale relayée par le Grenelle de l’environnement qui va se traduire par des objectifs inverses de réductions d’intrants et de baisse de production. Dans le domaine des fruits et légumes que je connais mieux, l’ajout de contraintes réglementaires et la multiplication des impasses techniques de production qui se profilent déjà, vont se traduire par l’augmentation des importations. Nous prélèverons ainsi une part de plus en plus importante de notre nourriture sur la ration de ceux qui en ont le plus besoin. Sauf à considérer comme Marion Guillou, la directrice de l’INRA dont je ne suis toujours pas convaincu qu’elle a la main vraiment verte, que nous sommes capables de doubler la production actuelle dans le monde tout en étant écologiquement plus sûrs.
Je fais partie du groupe « Ecophytos 2018 » qui travaille sous l’égide de l’INRA sur les recettes à donner au ministre pour réduire de moitié les intrants de la production de pommes. Sans surprise et à ce stade de nos travaux je peux témoigner que l’objectif a peu de chance d’être atteint autrement que par la réduction de moitié des surfaces du verger français. Ce n’est ni la mauvaise volonté des arboriculteurs ou leur absence de technicité qui en est la cause mais plutôt l’inefficience pratique de notre recherche comme source du progrès technique et des améliorations génétiques. Mais c’est aussi en raison de la multiplication des obstacles à la proposition de solutions innovantes par l’industrie. On assiste me semble t-il à une réussite administrativo-politique très française de stérilisation du progrès. Mais ce n’est pas cette réponse qui est attendue puisqu’elle révèlerait au ministre qu’il fait fausse route en soupçonnant seulement les arboriculteurs et que la solution au problème passe par un travail sur les organisations dont il est responsable et que ça peut lui prendre un peu de temps.
Du côté de l’Europe ce n’est pas beaucoup mieux. On continue de se gargariser de la réussite de la politique agricole commune pour insister sur la nécessité de la maintenir longtemps. Il me semble pourtant que l’on ne souligne pas suffisamment que la réussite concerne la phase de développement des productions par les soutiens publics des prix. La mutation vers le découplage des aides s’accompagne plutôt de monstruosités administratives dans l’application concrète avec des effets franchement négatifs sur les exploitations et les contribuables. L’administration de l’agriculture à l’échelon européen et en France mobilise des moyens humains considérables pour des effets bénéfiques bien difficiles à évaluer. Agriculteurs, organisations professionnelles, politiques et administrations soutiennent ce dispositif, qui est tout sauf libéral contrairement aux idées reçues, par une sorte de collusion d’intérêts inavouables, masqués sous des objectifs le plus politiquement corrects possibles. Dans le domaine des céréales par exemple il va devenir difficile, il me semble, de justifier encore longtemps le dispositif d'aide si les cours restent élevés et rémunérateurs. Sauf si les américains persistent dans cette même voie. Pour l'instant la réaction de Michel Barnier aux émeutes de la faim, si j'en crois France Inter, va être de proposer aujourd'hui à ses collègues européens de privilègier l'utilisation des surfaces agricoles pour la seule nourriture des hommes.
Les producteurs de pommes doivent se doter dans les mois qui viennent d’une nouvelle organisation collective. La précédente va disparaître puisque l’Etat considère qu’elle n’est pas en phase avec les nouveaux textes européens et qu’elle coûte encore cher. Pour autant les pouvoirs publics, qui craignent que la réforme ne se traduise par la disparition pure et simple de toute forme d’organisation, proposent un cadre avec une sorte de chausse pied pour faire entrer les arboriculteurs récalcitrants dans le réceptacle. L’objectif étant encore et toujours d’imposer leur vision de l’économie administrée, sans soutiens financiers nationaux, en vogue au ministère et chez les apparatchiks de la profession qui trouvent que la démocratie a ses limites et qu’il est bien plus pertinent de s’imposer par la force et la grâce de l’Etat. Les conditions sont donc malheureusement une nouvelle fois réunies pour satisfaire la caste étatico-professionnelle et pour handicaper un peu plus une production à la peine et en constante réduction depuis 15 ans.
Pour me remonter le moral j’ai consulté le site de l’organisation de mes collègues producteurs de pommes de Nouvelle Zélande qui s’appelle Pipfruit New Zealand. J’avais rencontré sur place il y a trois ans maintenant les responsables de Pipfruit NZ et j’avais été convaincu par le pragmatisme, la simplicité et la pertinence de cette organisation entièrement assumée par les seuls arboriculteurs. En feuilletant les pages du site je m’extasie encore à la lecture des motivations et des finalités recherchées tout autant qu’à la découverte des moyens et des actions concrètes mises en œuvre. Sans doute parce que je m’aperçois que je propose une démarche vraiment très proche de celle ci. Le problème c’est qu’elle ne semble pas correspondre à la volonté majoritaire des protagonistes. Enfin pas encore…
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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