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Pommes, pommiers et pomiculteurs du nord de l'Inde (1)

« Alexander Coutts habitait cette maison. Elle est aujourd’hui en assez piteux état » me dit Upinder Sharma en me montrant en léger contrebas une construction à l’abandon. C’est donc ici, à Mashobra, un village situé à quinze kilomètres à l’est de Shimla, sur les lieux même où se trouve maintenant la station de recherche et d’expérimentation horticole de référence de l’Himachal Pradesh, que cet anglais qui était de son état tailleur du vice-roi de l’Inde, Lord Dufferin, a introduit au début de l’hiver de 1887 un grand nombre de variétés de pommes dans son lopin de terre en terrasses. Le verger qu’il créa alors est connu jusqu’à aujourd’hui sous le nom de « Hillock Head ». Un autre anglais avant lui, le capitaine A.A Lee, avait planté le premier verger de pommiers autour de 1860 à Bandrole, à mi-chemin entre Mandi et Manali dans la vallée de Kullu. D’autres ressortissants de l’empire britannique lui avaient ensuite emboité le pas alentour. Mais c’est un Américain de Philadelphie, Samuel Nicolas Stockes, qui a vraiment déclenché l’engouement pour le verger sur les collines des contreforts de l’Himalaya du nord-ouest de l’Inde en introduisant en 1918 à Kotgarh, village situé à 80 kilomètres à l’ouest de Shimla, la fameuse Red Delicious. Cette variété et la multitude de clones et d’hybrides auxquels elle a donné naissance identifient encore le type de pommes le plus prisé à ce jour à la fois par l’arboriculteur et par le consommateur indien.

Le pommier est apparu en premier en Asie Centrale. L’excellent documentaire réalisé en 2010 par Catherine Peix et qui s’intitule « aux origines de la pomme » est plus précis encore en pointant les montagnes du Tian Shan au Kazakhstan. Mais la partie du globe où ont poussé les premiers malus est sans doute bien plus vaste et comprend les régions himalayennes de l’Himachal Pradesh comme du Cachemire.

En tout cas, après une longue coexistence naturelle et sauvage entre les hommes et le pommier, puis de louables initiatives visionnaires de quelques pionniers à la fin des années 1800, la production commerciale des pommes a vraiment commencé il y a un siècle en Himachal Pradesh. Elle est florissante aujourd’hui et tout naturellement pleine de projets.

J’ai décidé l’hiver dernier d’aller à la découverte des lieux les plus insolites et les plus divers où se cultive le pommier dans le monde. Ce voyage de début mai en Inde légitime ce choix tant il a comblé mon envie d’étonnement et de mise en perspective de mon propre verger avec d’autres identités arboricoles et économiques. Bien que j’aie visité en premier le Cachemire, c’est par l’Himachal Pradesh que j’ai envie de commencer le récit de ce court périple.

Je suis arrivé à Shimla depuis Chandigarh le mercredi 3 mai après-midi. Au fur et à mesure que nous approchions de la capitale de l’Etat d’Himachal Pradesh qui fut un temps aussi la capitale d’été des Indes britanniques, Varun Walia, le chauffeur de ma voiture de location multipliait ostensiblement l’usage de son klaxon. Après quelques dizaines de kilomètres confortables sur la voie express himalayenne n°5, la route de montagne se faisait plus étroite et sinueuse. Les encombrements habituels de toute sorte devenaient plus gênants pour la circulation.  Campements de misère pour les plus démunis installés à raz la chaussée, installation de ruches sur les aires de stationnement pour profiter des floraisons saisonnières et vendre son miel, commerçants de tout types qui hèlent le voyageur, troupeaux et piétons divers, la route est le lieu où toute une vie trépidante s’agglutine. Et comme il faut bien se frayer un passage, le klaxon prévient le chaland en même temps que tous les véhicules motorisés ou non sur la chaussée. Varun prend en permanence tous les risques. Il lutte roue à roue pour ne jamais laisser un pouce de goudron aux autres chauffards qui sont évidement dans les mêmes dispositions que lui. Mais ce qui devrait me donner des sueurs froides, tant à chaque instant il y a risque d’accident, finit presque par devenir rassurant. Parce que chaque conducteur semble parfaitement à l’aise dans ce slalom déjanté et que toutes les embûches sont abordées avec un grand flegme, toutefois assez bruyant.

Grace à cette conduite sportive je suis arrivé avec une belle avance à mon rendez-vous de 16 h au siège de l’Himachal Pradesh Horticulture Development Project, à flanc de colline et au milieu de magnifiques cèdres de l’Himalaya. Je suis reçu par Sudesh Mokhta, le haut fonctionnaire qui préside l’organisation et deux de ses collaborateurs, les docteurs Archna Chauhan et Jagdish Chand Sharma. Le projet qu’ils conduisent est soutenu par la banque mondiale depuis 2016 avec un crédit de 135 millions de dollars. Le programme devait s’achever en juin de cette année. Cependant comme le budget semble n’être consommé qu’à hauteur de 75%, une année complémentaire a dû être sollicitée.  

Les motivations et les objectifs qui ont justifié la proposition de crédits de la banque mondiale sont simples. Il s’agit de soutenir les petits paysans et agro-entrepreneurs de l’Himachal Pradesh pour augmenter la productivité, la qualité et l’accès au marché d’une sélection de produits de l’horticulture dont principalement la pomme. Le verger de pommiers représente environ 100000 hectares pour autant d’arboriculteurs et une production moyenne qui se situe aux alentours de 600000 tonnes. Les progrès à réaliser sont nombreux et bien identifiés. Renouvellement du verger par des plantations à plus haute densité pour augmenter les tonnages récoltés à l’hectare qui oscillent encore entre 5 et 7 tonnes. Investissement dans la capacité de stockage en chambre froides qui à ce jour ne dépasse pas les 10 à 12 % des tonnages récoltés. Investissement dans du matériel de conditionnement des fruits et renforcement de la recherche et de l’expérimentation dans chaque district pour nourrir la formation des producteurs par des références concrètes.

L’opération la plus spectaculaire conduite par l’équipe en charge de la mise en œuvre du projet a été l’importation de 3 millions d’arbres à partir de pépinières américaines, hollandaises, belges et italiennes. Il semble cependant que pour des raisons de logistique ou de planification hasardeuse la réussite n’ait pas toujours été au rendez-vous. Les producteurs que je rencontrerai par la suite m’ont paru assez critiques sur la bonne maîtrise des opérations. L’un d’entre eux m’indiquant dubitatif qu’il n’avait pas connaissance de sites où ces arbres auraient bien pu être plantés. Les échanges avec mes interlocuteurs, qui ont réussi à dégager un peu de temps pour me recevoir bien qu’ils aient été sollicités tardivement, ont été parfaitement agréables. Pour autant je n’ai pas vraiment réussi à savoir quel était le bilan de ces sept années de mise en œuvre du projet et à quoi avaient servi les crédits octroyés par la banque mondiale. A l’exception notable de l’acquisition de plants en pépinière en Europe et aux USA. Je suppose que ma démarche mal identifiée a pu paraitre un peu intrusive et curieuse. La consultation du site internet dédié à ce dossier ne m’en apprend pas beaucoup plus. Il contient en revanche un certain nombre de publications techniques utiles à consulter.

Le lendemain, jeudi, je prends la route avec un Varun reposé au volant pour rejoindre Guma à 50 kilomètres à l’ouest de Shimla où je dois rencontrer Kunaal Singh Chauhan. Kunaal est un arboriculteur de 35 ans qui est également secrétaire général d’une association de 250 « progressive growers » de la région (PGA). En plus de son activité de producteur, il a développé un commerce d’infrastructures pour le palissage et la protection du verger contre la grêle qu’il importe d’Italie. Formé pour œuvrer dans l’informatique, il a choisi avec enthousiasme de revenir travailler sur la ferme familiale. De plus, il voyage beaucoup et connait bien l’arboriculture telle qu’on la pratique dans l’Etat de Washington, dans le Trentin Haut Adige, en Hollande ou ailleurs. Il est l’un des interlocuteurs privilégiés sur qui je compte pour comprendre ce qui se passe ici.

Nous faisons connaissance et échangeons à son bureau qui est ouvert sur la rue, tout comme les cases voisines où il entrepose son stock de fournitures pour le verger. De gros bambous de 7 ou 8 mètres de long qui sont utilisés pour soutenir les filets sont adossés à un muret le long de la route de l’autre côté de la chaussée. Un autre producteur, lui aussi pluriactif, tient en face du sien un commerce de produits phytosanitaires, d’engrais foliaires et d’une large gamme de solutions de biocontrôle. On s’interpelle à distance, un thé est servi en provenance d’on ne sait où. L’ambiance très vivante le long de la route qui traverse le village est caractéristique du monde d’avant l’aseptisation et le cloisonnement des actifs et des activités.

Un traitement doit être effectué sur son verger. Je l’accompagne pour assister à la mise en œuvre de l’opération. Le verger concerné est une jeune plantation à haute densité. HD, selon l’abréviation en vogue dans tout le monde arboricole local ces temps-ci. Palissage en poteaux ciment de 6 mètres qui soutiennent aussi les filets. Espacement entre rangs de 2.50 mètres et de 0.80 mètre sur le rang. La plantation de Galas et de Fuji est faite sur une butte recouverte d’une toile plastifiée. Des difficultés de reprise l’an passé ont conduit à de la mortalité et à des remplacements d’arbres ce printemps. La parcelle à flanc de colline, mais sur un espace peu pentu, ne dépasse pas les 4 à 5000 mètres carrés. Tout autour les terrasses où sont plantés les pommiers ont rarement cette surface.  Cette plantation est à 2500 mètres d’altitude.

La bouillie est préparée dans un bidon de 200 litres, près d’un abri au-dessus du verger. A côté de ce bidon se trouve une pompe qui alimente un très long tuyau qui doit permettre de pulvériser à la lance tous les arbres de la parcelle sans bouger le matériel. Un ouvrier s’emploie à faire suivre le tuyau pendant qu’un autre pulvérise à la lance la bouillie sur les arbres. Aucune protection n’est utilisée. J’ai donc pu retrouver cette sensation oubliée depuis bien longtemps des embruns sur la tête et de la respiration d’un air odorant chargé de pesticides et d’engrais foliaires divers. Mon étonnement ne suscite qu’un éclat de rire. L’équipe argue, sans y croire j’espère, qu’elle est immunisée.

Malgré l’ergonomie du verger liée au palissage, tous les travaux se font à la main. Un motoculteur peut être utilisé exceptionnellement pour travailler le sol. Le mode de conduite change mais sans aller pour l’instant vers la mécanisation. Même si la tendance est à l’implantation et à l’expérimentation de vergers à haute densité, une immense proportion des 100000 hectares actuels est constituée d’arbres en gobelets greffés sur des porte-greffes francs issus de semis. C’est-à-dire les plus vigoureux que l’on puisse avoir. Loin du porte greffe nanifiant numéro 9 d’East Malling qui est devenu au fil du temps mais plus pour très longtemps peut-être le standard des vergers haute densité.

Le verger traditionnel de l’Himachal est donc presque exclusivement en pente ou en terrasse, à flanc de hautes collines entre et 2000 et 4000 mètres d’altitude. Cette hauteur improbable est atteinte me dit-on dans la très réputée région de Kinnaur à 150 kilomètres à l’ouest d’où je suis. Les arbres sont vigoureux et ne sont pas soutenus par un palissage. En revanche, à la suite d’orages de grêle devenus plus fréquents, la protection par filets paragrêle posés sur de longs bambous venus d’Assam ou du Bengladesh s’est fortement développée. Les variétés dominantes sont toujours issues du groupe des rouges américaines.

Du côté du climat, la configuration est plutôt inhabituelle. Températures suffisamment froides l’hiver pour couvrir les besoins du pommier. Très peu de pluies du débourrement jusqu’à juin quand arrive l’eau de la mousson. Une configuration rêvée pour l’arboriculteur qui a peu à craindre de la tavelure en temps normal et peut se passer d’irrigation pour les arbres les plus puissamment enracinés et avec une charge en fruits maîtrisée. Mais voilà, cette année 2023 bouleverse les habitudes. Le printemps a été froid et pluvieux. La tavelure menace et avec une très mauvaise pollinisation liée aux températures basses et à l’humidité, la nouaison a été très faible et la récolte est déjà estimée à la moitié de son potentiel. Ici, pour exprimer le changement climatique mes interlocuteurs me disent qu’il fait maintenant le temps de l’Europe, qu’il fait froid.

Du côté des maladies et ravageurs, jusqu’à maintenant, c’est plutôt l’oïdium que la tavelure qui est redouté. Le carpocapse n’est pas présent et c’est le puceron lanigère en fin de saison dont on me parle et peu du puceron cendré. En revanche panonychus ulmi, l’araignée rouge, est difficile à contrôler. Je me suis évidemment interrogé sur l’agressivité des substances utilisées au cours de la saison sur les acariens prédateurs qui assurent dans nos vergers l’équilibre avec cette araignée de triste mémoire. C’est très probable, mais cela reste à démontrer. Au total, durant le cycle végétatif sept à huit interventions suffisent à une belle récolte. J’ai même l’intuition que ce pourrait être moins, si j’en crois le verger témoin de la station de Mashobra conçu pour une production naturelle complantée d’autres cultures, céréales ou légumineuses.

Ramesh Sharma, le directeur de l’implantation de Dev Bhumi à Matiana m’a rappelé le lendemain que la protection phytosanitaire était récente ici, une vingtaine d’années environ. Avant les producteurs se souciaient peu de la qualité de leurs fruits et récoltaient ce que la nature avait bien voulu leur donner. Même moches, déformés et tachés, tous les fruits se vendaient. Pas cher sans doute, mais tous avaient un marché. C’est alors qu’il a été démontré que des fruits de qualité et d’un meilleur calibre pouvaient être obtenus en apportant plus de soins aux arbres et en maîtrisant les agressions des maladies et ravageurs. Les bons prix obtenus pour les meilleurs fruits ont ainsi stimulé une forte émulation entre producteurs qui se sont mis à récolter de belles pommes et à très bien gagner leur vie. Les firmes phytosanitaires ont alors peut-être un peu poussé à la consommation. L’absence de conseillers techniques indépendants comme de centres d’expérimentations crédibles a laissé le champ libre aux prescriptions généreuses. L’évolution que l’on a pu connaître ailleurs se produira inévitablement ici aussi. C’est déjà en cours.

Le plus spectaculaire évidemment c’est que tous les travaux dans ces vergers se font à la main. La taille, l’éclaircissage des fruits et la cueillette, toutes ces opérations s’accomplissent en grimpant dans les arbres, sans échelle. Les fruits cueillis sont ensuite transportés à dos d’homme jusqu’au point de chargement du véhicule qui les convoiera vers le lieu de stockage ou de conditionnement et d’emballage si la vente sur les marchés est immédiate.

Différentes tailles de véhicules sont utilisées selon la qualité des chemins d’accès. Mais pour parvenir au point de chargement, il peut y avoir dans les cas extrêmes jusqu’à 2 kms à parcourir sur des terrains en pente dans certaines configurations. C’est évidement ce verger situé à 4000 mètres d’altitude dans la région de Kinnaur que l’on m’a indiqué tenir ce record et que je me suis promis d’aller voir la prochaine fois. Ce sont donc des porteurs népalais qui chaque année assurent ce transport. Deux aller-retours par jour avec 60 kilos de pommes sur le dos.

La récolte selon les variétés et les altitudes s’étale sur au moins deux mois et demi. Et 90 % des pommes sont vendues au fur et à mesure de la cueillette. Seulement 10% des fruits sont entreposés en chambre froide pour continuer d’achalander les marchés durant l’hiver. Parce que la chaine du froid est extrêmement limitée en volume, l’Inde est le pays du respect forcé de la saisonnalité pour la consommation des fruits et légumes produits sur le subcontinent.  

A ce sujet, la France doit sous peu émettre un décret pour définir la saisonnalité des fruits et légumes qu’il faudra afficher ou porter à la connaissance du consommateur par tout moyen approprié. Mais qu’est-ce que la saisonnalité quand on produit sous serre, que l’on conserve au froid et que l’on importe à contre saison. L’évidence moderne à mon sens est que l’on peut tout simplement considérer être de saison un fruit ou un légume que l’on peut trouver sur un étal. Mais du côté du ministère de la transition écologique, la tendance est plutôt de revenir au concept indien de la saisonnalité. C’est-à-dire qu’il faut rappeler au consommateur ce qu’est le cycle naturel des fruits et légumes dès lors que l’on renonce à utiliser une serre ou une chambre froide et que l’on d’abstient de recourir à l’importation. A l’heure de la visio-conférence et de la fibre optique, il serait très légitime et stratégique à mon sens d’accompagner la parution du décret sur la saisonnalité par un transfert symbolique fort. Celui du ministre et de ses équipes qui s’étiolent tristement à l’hôtel de Roquelaure sur le boulevard Saint Germain vers l’air pur et au plus près de la nature rêvée au cœur du Cantal ou de tout autre paradis terrestre du centre de la France. La pensée écologique s’en trouverait vraiment plus affutée.

Mais revenons à l’Inde. Les aléas logistiques qui sont nombreux ont pour conséquence une forte variabilité des prix sur les marchés. L’augmentation des capacités de stockage en chambres froides à atmosphère contrôlée est évidemment à l’ordre du jour. Trois ou quatre groupes puissants s’y emploient. La rareté du foncier et le relief ne facilitent quand même pas les choses.

Le plus surprenant m’est pour finir confié par Kunaal. Je venais dans cette région avec les articles de la presse locale et nationale indienne en tête qui s’étaient fait l’écho de manifestations d’arboriculteurs qui avaient soufferts de prix bas lors de la récolte précédente. Je m’entends alors dire que tout ne va peut-être pas si mal. Le prix de revient des pommes emballées et prêtes à quitter son entrepôt vers les marchés est me dit-il de 20 centimes d’euro. Le prix de vente qu’il obtient pour ses plus beaux fruits est de 2 euros. J’ai pu vérifier le lendemain auprès d’un opérateur important de la place que le prix de revient annoncé était à peu près le même. Un autre calcul sur la valeur moyenne obtenue pour tous les fruits confondus d’un lot moyen emballé, des plus gros aux plus petits et des plus beaux aux plus moches, se situait aux alentours de 75 centimes d’euro. Ce qui fait évidement près de quatre fois le prix de revient.

« J’ai beaucoup voyagé et je n’ai rencontré nulle part ailleurs dans le monde une telle rentabilité » poursuit Kunaal. Ce que je crois sans peine. A la suite, mon hôte m’a présenté plusieurs de ses collègues membres des « Progressive Growers » et pluriactifs, tous souriants, et dont il tenait à rappeler l’aisance financière. J’ai pu vérifier par moi-même en étant reçu dans la maison d’un arboriculteur le lendemain que l’intérieur était particulièrement soigné, décoré de bois sculpté et recouvert de beaux tapis. Mon accompagnant me précisant lui aussi que les arboriculteurs étaient plutôt riches et qu’ils mettaient beaucoup de leurs revenus dans l’intérieur de leurs grandes maisons qui trônent au milieu de leurs petits vergers et qui ornent les collines de leurs couleurs vives.

Le mystère pour moi reste quand même entier. Avec une surface moyenne d’un hectare, même avec des cultures dérobées et d’autres arbres fruitiers ici ou là, le chiffre d’affaires reconstitué, malgré une marge à faire rêver, n’aboutit pas à un revenu très élevé. La richesse que l’on évoque résulte plutôt à mon sens d’un mode de vie assez autarcique et sobre.

L’évolution du verger vers la haute densité est le grand sujet du jour pour les arboriculteurs. Les plus innovants s’y engagent. Mais tout est à expérimenter. Distances de plantation, porte-greffe, variété, fertilisation, palissage, irrigation, tout, absolument tout reste à vérifier. Le saut du système traditionnel qui semble bien maîtrisé mais peu productif vers un verger haute densité comme on le connaît dans le Haut Adige est une révolution. Je m’interroge aussi sur le rendement moyen actuel annoncé de 5 à 6 tonnes à l’hectare. Les plantations traditionnelles que j’ai pu voir, avec des arbres vigoureux et très bien conduits, compte tenu de la densité de plantation permet nécessairement des rendements bien supérieurs. Sans doute la notion de surface est-elle à relativiser. Puisque chaque arbre pris individuellement réalise il me semble son optimum.   

J’ai quitté Kunaal dans l’après-midi pour aller à Rampur 100 kilomètres plus loin afin d’échanger avec un distributeur de produits phytosanitaires dont le magasin ouvert sur la rue fait référence dans la région. Je souhaitais aussi profiter du bel hôtel Nau Nabh Heritage qui jouxte le royal Padam Palace. Une nuit dans cette bâtisse historique pour le quart d’un premier prix à Paris en ce moment.  

J’ai manqué de temps pour poursuivre ma route jusqu’à Kinnaur où je sais maintenant que se trouve la quintessence du verger des pommes himalayennes. Sur la route qui conduisait il y a bien longtemps à Lhassa au Tibet.

Retour le lendemain vendredi à Village Matiana où je suis attendu par Ramesh Sharma qui dirige le site de stockage, de calibrage et d’emballage de la société Dev Bhumi. La construction est assez vertigineuse. Sur 65 mètres de hauteur se superposent deux étages dédiés au calibrage des fruits équipés chacun d’une calibreuse Maf Rhoda fabriquée à Montauban, et en dessous comme au-dessus de six étages de chambres froides à atmosphère contrôlée. Production de froid par des compresseurs à l’ammoniac et transfert du froid vers les chambres avec de l’eau glycolée. La maintenance et le pilotage de ces chambres est assuré par Sudesh, un jeune technicien parfaitement à l’aise au milieu de ses machines. Je suis agréablement étonné par la qualité de l’organisation du travail d’emballage qui semble ne pas se satisfaire du coût très faible de la main d’œuvre et veille à une productivité voisine de celle que l’on recherche sous d’autres latitudes plus contraignantes. L’explication m’est donnée quant à la relation avec les producteurs. Un cahier des charges assez strict à la récolte est compensé par le paiement immédiat des fruits livrés. L’entreprise dispose d’implantations dans les grandes villes de l’Inde et maîtrise l’écoulement et la commercialisation des pommes en deuxième partie de saison à partir de février. Le 1-mcp est bien entendu utilisé pour optimiser la conservation. Il est de fabrication chinoise et à des prix qui défient toute concurrence évidemment.

Le site comprend un verger de démonstration pour les producteurs de la région qui commercent avec l’entreprise ainsi qu’une Guest house où j’ai eu le plaisir d’être nourri et logé. Je remercie vivement Ramesh et Sudesh pour leur accueil et l’entreprise pour son invitation. Technique, économie et visite de producteurs ont fait de cette journée une source précieuse d’informations. C’est aussi Ramesh qui m’a conseillé de faire une halte le lendemain à la station de recherche et d’expérimentation de Mashobra.

Je suis donc arrivé samedi matin sur le site occupé par cette station. Le gardien m’a annoncé et j’ai eu la chance qu’un chercheur soit présent et me fasse faire la visite. le Docteur Upinder Sharma est spécialiste des sols. Il suit aussi de près tous les travaux sur le pommier qui ont lieu sur le centre. Je retrouve ici des panneaux qui indiquent que des financements du projet soutenu par la banque mondiale ont été utilisés.

Upinder est très conscient de la nécessité d’un conseil technique indépendant et de l’importance d’avoir à proximité des arboriculteurs des sites de démonstration et de pédagogie sur tous les aspects de la culture de pommier en Himachal Pradesh. Au vu des essais de vergers conduits avec une belle réussite sans aucun intrant, je me dis que ce centre serait un paradis pour nos chercheurs de l’INRAe qui rêvent d’agroforesterie, de pré verger, de mélange de cultures ou de zéro phyto dont une méta étude à laquelle ils ont participé conclut à la possibilité. 2500 mètres d’altitude, un climat spécifique et un travail exclusivement manuel pour gérer un savant mélanges d’arbres et de plantes les ravirait j’en suis sûr. En tout cas j’en ai apprécié la découverte. Même si je ne suis pas sûr de pouvoir en importer le modèle.

J’ai ensuite fait une halte à Shimla pour aller scruter les rayons de deux librairies que l’on m’avait indiqué être sur la célèbre Mall Road. J’y ai trouvé deux précieux ouvrages. Un beau livre très scientifique qui s’intitule « The Apple. Improvement, production and post-harvest management » dont les auteurs sont K.L Chadha et R.P Awasthi. Le second est un petit livre sur la taille que je trouve très pertinent. Il s’intitule « Apple pruning simplified » et est écrit par Pankaj (Negi) Chauhan.

Je suis revenu dans la soirée à Chandigarh. Visite le lendemain tôt du marché de gros des fruits et légumes de la ville dans le secteur 26 avant un retour à Delhi. J’ai consacré mon lundi avant de repartir mardi pour Reignac à une visite plus complète du grand marché d’Azadpur Mandi accompagné par Monique Tran, conseillère agriculture de l’ambassade et de Piyush Saini de Business France. Immense merci à eux deux qui ont aussi organisé deux rendez-vous riches d’échanges et d’informations avec des entreprises leaders sur ce marché et à l’importation.

La suite de ce rapport concernera donc d’abord le Cachemire et puis les marchés et ce que j’y ai appris.

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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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