27 Avril 2020
Tribune libre pour l’Arboriculture Fruitière.
Bien avant le 17 mars, la perspective d’un confinement avait déjà vivement stimulé les achats de pommes par les consommateurs inquiets, en France comme ailleurs. Passé une courte accalmie quand notre pays, puis d’autres, se sont mis à l’arrêt, la demande est vite redevenue très soutenue. Elle demeure supérieure à l’an passé encore aujourd’hui.
Le fruit préféré des français se conserve bien. La tension de la demande a permis d’en relever modérément le prix à l’expédition qui était à la peine depuis la dernière récolte. Pour autant, en rayon et sur les étals, la pomme reste très abordable. Ces deux qualités en ont fait le fruit valeur refuge de la population confinée.
C’est notre chance d’arboriculteur que les consommateurs aient croqué nos pommes sans discontinuer et que cesser l’activité n’ait jamais été une option. Qu’en station fruitière comme au verger, le travail devait nécessairement se poursuivre.
Parce que la difficulté d’assurer la sécurité des salariés ne sera pas moindre le 11 mai qu’elle ne l’était le 17 mars. Si ce n’est qu’il a fallu réagir très vite et user d’astuce pour y parvenir. Domination des peurs, gestes barrières, aménagements des postes de travail, masques en tissu de fabrication maison ou autres protections de fortune, lavage de mains et gel hydro-alcoolique fabriqué quelquefois à la demande par la pharmacie du village, tout ce dont sont capables de débrouille les paysans et leurs équipes a été mis en œuvre.
Parce qu’il fallait garder les enfants ou que certaines personnes étaient à risque, les effectifs se sont un temps réduit. Mais les vergers et les stations fruitières ont quand même tenu bon.
C’est aussi dans ces épreuves qu’il se confirme que l’Association Nationale Pommes Poires est un levier opérationnel collectif indispensable. En tout premier lieu parce qu’elle rompt l’isolement et permet l’échange d’expériences et le partage des problématiques auxquelles chacun fait face. Ensuite par la sélection quotidienne de l’information pertinente la plus utile qui est un précieux gain de temps. Et encore parce que les collaborateurs se sont mis immédiatement au travail pour rechercher des solutions à toutes les difficultés imprévisibles que nous devons affronter. Ceci bien sûr, en plus de tous les dossiers en cours qui ne connaissent pas vraiment de pause.
C’est allé de l’achat groupé de masques dont la première livraison vient d’être effectuée à la mobilisation des partenaires et des élus pour l’accès à la main d’œuvre saisonnière et son accueil dans de bonnes conditions de sécurité.
Les échanges avec les familles de toute la filière sont aussi devenus plus intenses. Les coopérations et les synergies avec le syndicalisme, Gefel, Interfel ou Freshfel et d’autres ont été optimisées.
Mais il est déjà temps de se projeter dans les semaines et les mois qui viennent.
La crise sanitaire n’est pas prête d’être terminée. A moins d’une bonne nouvelle sur la saisonnalité du virus qui le verrait bientôt disparaître, tant qu’il rôdera et qu’aucun traitement ou vaccin efficace ne l’auront rendu suffisamment inoffensif, nos comportements au quotidien ne redeviendront pas normaux.
Ce qui signifie que les dégâts déjà considérables sur l’économie et les finances privées et publiques en France et dans le monde vont encore nettement s’accentuer. S’il n’a fallu que quelques heures pour nous confiner, il faudra des semaines et des mois pour nous déconfiner totalement. Jusqu’à deux ans si l’on en croit les prévisions les plus prudentes.
Autant dire que la grande dépression dans laquelle le monde est entré va forcément donner lieu à des drames économiques et humains. Faillites d’entreprises, destruction d’emplois privés et publics, finances publiques à la dérive et donc grave crise financière, tout concoure à diminuer sévèrement le pouvoir d’achat des consommateurs.
La sensibilité aux prix va revenir en tête des préoccupations en même temps que nos prix de revient augmentent. En plus des gestes barrières et des aménagements de poste de travail, la filtration aux frontières qui va perdurer ainsi que les difficultés d’adaptation des logements pour y freiner la circulation du virus vont limiter l’accès à la main d’œuvre européenne et plus encore d’Afrique du Nord. Le recours à des saisonniers déjà présents sur le territoire ou rendus disponibles par la crise réduira sensiblement la productivité habituelle.
En revanche, il se peut que les efforts des consommateurs pour bien acheter les pommes comme les poires et les autres fruits et légumes au plus près des producteurs de nos terroirs, là où la vente est la plus soignée, perdure.
Nous devons donc plus que jamais nous mobiliser pour enchanter la pomme comme la poire afin qu’elles occupent plus de place encore dans le compotier et la corbeille de fruits en France comme sur nos autres marchés.
Nos terroirs, nos variétés, notre savoir-faire le permettent. Nous avons le label commun « Vergers Ecoresponsables » et sa déclinaison à venir en AB qui garantit le respect de la Charte Qualité des Pomiculteurs de France. C’est à dire l’agro-écologie appliquée et sans cesse en progrès, sur le chemin des crêtes du juste équilibre.
Pour parler marketing, ce label doit pouvoir agir comme un « nudge » auprès du consommateur. C’est-à-dire inciter à l’achat en ce qu’il doit exprimer spontanément ses attentes de nature, de qualité, de plaisir, de soins apportés par l’arboriculteur à ses arbres et à son environnement tout en restant accessible au plus grand nombre.
« Vergers Ecoresponsables » pourrait aussi, et c’est un vrai défi, rappeler le long et nécessaire compagnonnage, illustré des plus belles mythologies, de la pomme comme de la poire avec l’Homme depuis sa présence sur terre dans nos zones tempérées.
Si nous y parvenons, ce temps de Covid-19 aura alors eu au moins un aspect positif.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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