4 Janvier 2020
La visite du verger terminée, de retour à Dnipro, j’ai profité de quelques heures de libres ce jeudi après-midi du 15 août pour cette fois-ci visiter la ville avec l’assistance d’une guide parlant anglais.
Les mêmes lieux vus l’avant-veille sans bien les comprendre prenaient un tout autre intérêt. En particulier l’espace mémorial au cœur de la ville dédié à l’histoire récente du conflit dans le Donbass qui a quand même fait plus de 10000 morts depuis 2014.
Dnipro est une ville très russophone. Elle n’est qu’à 250 kilomètres de Donetsk qui se trouve au cœur de la zone du conflit qui perdure.
Pour autant la présentation qui est faite à Dnipro de cette guerre est strictement à charge contre l’agresseur russe. Les ukrainiens y tiennent exclusivement le rôle de très valeureux résistants à l’envahisseur.
J’ai bien tenté d’évoquer les soulèvements internes des ukrainiens pro-russes du Donbass à la suite de l’arrivée au pouvoir en 2014, après la révolution de Maïdan, d’un gouvernement pro-européen. Mon interlocutrice réfutait cette explication en attribuant exclusivement aux russes la responsabilité de l’invasion d’un pays souverain. Sa grand-mère était de Crimée et pour la voir, il lui fallait maintenant un visa pas simple à obtenir. On peut comprendre qu’il est difficile de faire dans la nuance dans ces circonstances.
L’élection récente de Volodymyr Zelenski en mai, personnage politique médiatique aux multiples facettes, semblait augurer d’une évolution plus conciliante à l’égard de la Russie. Sa popularité étant élevée, il se disait qu’il apaiserait peut-être les relations entre les deux pays.
C’est ce qui s’est confirmé depuis avec l’échange de prisonniers de ces deniers jours. Pour autant, l’un des deux négociateurs semble avoir plus gagné que l’autre.
Tout cela pour rappeler que la situation du pays n’est quand même pas encore des plus idéales pour y développer des projets très offensifs sur le marché international de la pomme.
Pour bien d'autres raisons encore, comme cela avait été rappelé par un stratège commercial lors du colloque la veille, l'Ukraine est l'origine avec la Pologne qui pâlit d'une image peu qualitative et n'a pas bonne renommée auprès des acheteurs, si ce n'est pour le prix évidement.
De retour de mon périple, j’ai fait un compte rendu de ce que j’avais vu et entendu à mes collègues belges, italiens et polonais de WAPA et de FRESHFEL.
Décision fut alors prise de nous rendre à la FAO à Rome pour y rencontrer Andriy Yarmak au plus tôt afin d’éclaircir ses motivations et ses analyses, ainsi que son rôle au sein de l’institution internationale. Sa liberté de parole et ses jugements comparatifs à la serpe entre les pays producteurs intriguait forcément.
De quel programme relevaient ses interventions pour inciter l’Ukraine et d’autres pays de la zone à investir dans des vergers de pommiers et quels étaient les moyens à sa disposition pour soutenir les projets ?
Rendez-vous fut pris pour le 31 octobre. Jusqu’à cette date chacun a eu le temps de découvrir grâce au Facebook de l’intéressé l’activisme tous azimuts à la fois enjoué et critique dont il fait preuve. La traduction en ligne laisse toutefois à désirer et les risques de se tromper sur le sens de ce qui est écrit est élevé.
Rome baignait sous le soleil en ce dernier jour d’octobre. Très tôt, par une belle lumière de lever du jour, je me suis offert le trajet à pied depuis mon hôtel situé à deux pas du Colisée jusqu’à celui de mes collègues proche du siège de la coopération agricole italienne vers la gare. Nous devions nous accorder sur la conduite de la réunion lors du petit déjeuner.
Je n’ai longtemps connu Rome qu’au travers le cinéma. « Vacances romaines », « La dolce vita », « Rome ville ouverte », et bien d’autres films de ma jeunesse cinéphile. Mais évidemment celui dont l’ambiance, les bruits et les images me revenaient encore à l’esprit en marchant dans les rues sont celles de « Roma » de Federico Fellini. Les déplacements, pour professionnels et fugaces qu’ils soient, sont aussi des moments de vrais petits bonheurs visuels et d’étonnements divers qu’il faut goûter avec délice.
Arrivée au Palazzo FAO, passage de la sécurité, traversée du parking de voitures très diplomatiques et nous sommes accueillis par un Andriy Yarmak décontracté en pull et jean juste de retour d’Uzbekistan.
Proposition nous est faite de tenir notre réunion à la cafétéria de la FAO, sur la terrasse genre rooftop d’où l’on a une vue imprenable sur le Colisée, le Forum et les magnifiques pins parasols, pour peaufiner la carte postale.
Nous nous préparions à une réunion plus formelle. Mais c’était une bien meilleure idée que d’échanger à l’air libre depuis cet endroit enchanteur.
Tout ce que j’avais entendu à Dnipro nous a été redit avec le même sentiment d’être dans le vrai, l’évidence. La réussite économique pour de belles pommes ukrainiennes est assuré. Les mauvais prix sont pour les vilaines pommes pas bonnes de Pologne.
En tant que Chief Investment Officer de l’Investment Center de la FAO pour la zone Europe, Asie Centrale, Moyen Orient, Afrique du Nord, Caraïbes et Amérique Latine, Andriy Yarmak bénéficie d’une très large autonomie et liberté de parole au sein de l’institution. Il présente d’ailleurs cet IC comme une source de profit et non de dépense pour la FAO puisqu’il y tient un rôle de consultant pour les investisseurs que sont la Banque Mondiale ou la Banque Européenne pour la Reconstruction et le Développement. La BERD, pour laquelle Jacques Attali, président des débuts de cette banque, souhaitait que le siège de Londres ait son marbre de Carrare.
Donc, ces banques qui se donnent pour mission de soutenir le développement de pays ciblés sollicitent des conseillers comme Andriy pour orienter leurs financements avec pertinence.
La spécialité d’Andriy, c’est le secteur horticole. Et de nous évoquer les chiffres de budgets alloués à tel ou tel pays qui ont fait tourner la tête de notre petite délégation.
La pomme fait donc partie des opportunités prioritaires proposées à ces banques par exemple pour l’Ukraine. Ces banques qui semble t’il s’en remettent largement à la perspicacité et à l’expertise d’Andriy et ne cherchent pas vraiment à solliciter un avis critique que d'autres observateurs plus capés pourraient leur donner.
Les montants qui justifient l’intervention de ces banques étant élevés, ce sont donc des projets d’ampleur qui sont retenus. Et donc ce sont des vergers immenses qui émergent. Pour autant, avec des conditions très avantageuses quand même, le montant financé ne dépasse pas 50%. Charge au pays d’y ajouter ou non des subventions directes et à l'investisseur de boucler le solde de son financement. C'est moins pire que ce qu'ont été les subventions nationales et européennes jusqu'à 100% de l'investissement pour la Pologne au début des années 2000
Ce qui apparaît, c’est que la combinaison des messages optimistes développeurs de la FAO combinés avec les apports des banques (World Bank et BERD) et le relais de volontarisme politique dans le pays concerné se traduit par de très gros investissements dans de non moins gros projets.
Et le rôle promotionnel d’Andriy ne se limite pas à cela. Il relate en effet qu’il organise pour les investisseurs des rencontres B to B avec les clients potentiels quand les productions se mettent en place. Se moquant au passage comme moi des soutiens étranges de communication de l’UE pour les marchés extérieurs par le biais des salons, il raconte quelques opérations récentes de mise en relation directe de producteurs Ukrainiens ou Serbes avec des clients de l’Europe du Nord.
Compte tenu de ce qu’une partie des fonds provient de l’UE et que ces programmes de développement sont soutenus par elle, mon collègue italien n’a pas pu se retenir de demander s’il pouvait aussi bénéficier de son épaulement efficace.
Pour saugrenue qu’elle ai pu paraître à Andriy, la question était évidemment très pertinente. Voir accompagner par la FAO auprès de ses clients de nouveaux fournisseurs créés en partie avec des fonds européens et des messages dévastateurs peut quand même énerver.
L’analyse économique qui conduit à ces propositions d’investissements ignore à notre sens totalement la situation réelle du secteur qu’à WAPA en revanche nous connaissons assez bien. La pomme n'est plus une "commodity", une matière première. La montée rapide d'une offre abondante sur un marché très compartimenté avec des consommateurs très peu mobiles dans leur choix ne peut que conduire à des séismes dévastateurs pour tous les producteurs.
Il a donc été décidé, malgré notre irritation, d’échanger positivement de façon assidue pour apporter nos éclairages respectifs sur l’état des lieux économique de la production et du marché.
Le Prognosfruit se tiendra en août 2020 en Serbie. A cette occasion, au sein d’un pays qui participe activement au développement des plantations à l’est, il est vivement souhaité que la FAO puisse présenter devant tous les représentants de la production de l’UE, mais aussi des USA, de la Chine et d'ailleurs, sa stratégie de soutien volontariste au développement de la production de pomme. Et quelles analyses du marché ou des attentes des consommateurs sous tendent cet activisme.
Si comme je le pense tout cela est quand même abracadabrantesque, nous ne serons pas de trop pour infléchir cette course folle nourrie d'illusions que stimule une institution internationale avec l'UE à ses côtés.
Après la catastrophe provoquée par les subventions européennes à la Pologne dont nous n'avons pas fini de payer le prix des effets pervers, aussi fou que cela puisse paraître, la FAO à pris le relais pour poursuivre l’aberration à la périphérie de l’Europe.
L’économie de marché et la liberté des échanges ne devient un problème que quand l’irresponsabilité politique et l’argent public s’en mêlent à mauvais escient.
Un saut outre Atlantique chez les américains est au menu de la suite…..
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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