30 Décembre 2019
Le 12 juin dernier, avec mes collègues arboriculteurs des Charentes nous faisions un tour de vergers pour avoir un regard croisé sur la conduite de nos arbres, leur état sanitaire et le nombre de fruits présents. Le gel avait été évité de peu. Quelques parcelles en revanche avaient été grêlées sévèrement avant que les filets n’aient pu être déployés. Mais la floraison ayant été abondante, la pollinisation efficace, la nouaison était étonnamment forte. La chute physiologique de juin qui permet un éclaircissage naturel des fruits s’était avérée par la suite très insuffisante et un éclaircissage manuel assez considérable devenait nécessaire.
Certaines parcelles ont ainsi consommé cette année près de 400 heures de travail manuel à l’hectare pour diminuer le nombre de fruits et permettre à ceux qui restent d’atteindre une taille conforme aux attentes du marché aux meilleurs prix. 5000 euros de l’hectare pour 50 tonnes de pommes, ce sont 10 centimes de main d’œuvre par kilo pour cette seule opération. Quelques douloureux centimes qui viennent s’ajouter au prix de revient déjà élevé de nos pommes. Autant dire que seules quelques variétés bien spécifiques peuvent supporter le coût de ce travail de dentellière.
Nous étions forcément inquiets lors de cette journée de la dépense à effectuer en même temps que du nombre de saisonniers qu’il allait falloir trouver. Mais l’arboriculteur est toujours porté par l’optimisme quand il voit une belle récolte pendante prometteuse sur ses arbres.
Chaque année est quand même une nouvelle loterie avec son lot de bonnes et de mauvaises surprises de la part de la physiologie, du climat, des maladies et ravageurs, mais aussi du marché dont on ne peut jamais bien prévoir ce qu’il sera. Et la récolte ce printemps s’annonçait donc élevée en Charente comme presque partout en France.
A la fin de cette journée stimulante, j’ai pris le TGV pour Roissy et le lendemain matin, le 13 juin, avec Josselin, le directeur de l’Association Nationale Pommes et Poires nous nous sommes envolés pour Varsovie, puis nous avons roulé vers Grojec au sud de la capitale. Dès 14 heures nous marchions dans les vergers de cette grande région de production polonaise en compagnie de Julia et d’Alessandro, nos homologues italiens du Trentin Haut Adige et de Dominik, le représentant de la pomme polonaise à WAPA (World Apple and Pear Association).
L’ambiance sur place était morose. Après une récolte géante l’année précédente, le retour à fleur avait été très irrégulier. Et le 7 mai un gel sévère avait détruit une bonne partie de la récolte dans de nombreux vergers dans tout le pays. La perspective d’une demi-récolte semblait se confirmer.
L’année précédente, en 2018, avec sans doute plus de 5 millions de tonnes récoltées, la Pologne était devenue le deuxième pays producteur du monde, loin derrière la Chine mais juste devant les États-Unis. Une situation complément folle pour un pays de 36 millions d’habitants qui avait perdu son principal marché avec l’embargo russe décrété depuis le 6 août 2014. La Russie importait jusqu’à 700 000 tonnes de pommes polonaises avant de fermer ses frontières. 12 % seulement de la récolte 2018 suffisent pour alimenter le marché intérieur polonais en pommes de table. Ce sont donc près de 70% des fruits qui ont été transformé en concentré ou en jus cette année là. Le solde de la récolte, soit un peu moins de 900 000 de tonnes, s’est diffusé un peu partout en Europe et au-delà.
Encore vers la Russie par des chemins détournés et au prix de quelques bakchichs administratifs. Vers l’Ukraine, le Moyen Orient, l’Inde ou l’Egypte aussi et à des prix qui ont défiés toute concurrence.
Et puis un tonnage significatif est aussi venu à l’ouest de l’Europe. En France, par exemple, ou sur la Marché d’Intérêt National de Rungis des palettes bien peu identifiées et faciles à franciser s’écoulaient à bien moins que la moitié du prix de celles en provenance des vergers des terroirs de l’hexagone.
L’absurde de la situation, c’est que cette surproduction est en très grande partie le fruit de politiques européennes de subventions totalement aveugles qui se sont déployées lors de l’entrée de la Pologne dans l’Union en 2004.
De visites en visites, nous avons pu vérifier sur place depuis cette date la dynamique irréelle des plantations qui se multipliaient. La stupeur était bien plus grande encore de voir sortir de terre une multitude de stations fruitières équipées des technologies dernier cri dont il se disait qu’elles ne coûtaient rien à leurs commanditaires. Aides européennes complétées des aides nationales et d’une certaine maîtrise de la sur- facturation avaient cet effet magique qui fait tourner la tête à tout entrepreneur.
Il était étonnant de voir se développer le verger et les équipements de conservation, de stockage et d’expédition par des arboriculteurs qui devenaient presque muets dès lors qu’ils étaient interrogés sur les marchés visés pour ces productions qui ne manqueraient pas d’arriver.
En fait la réponse était presque toujours la même, nous vendrons nos pommes en Russie.
A la suite de l’embargo russe, l’UE s’est empressée d’accorder des moyens pour la promotion de la pomme européenne à la Pologne sur des salons hors de l’Europe.
J’ai suivi de près les efforts improbables réalisés par nos collègues polonais pour trouver de nouveaux débouchés pour leurs pommes.
Au salon institutionnel pour les fruits et légumes de Pékin en novembre, un stand conforme aux exigences de la commission européenne accueillait de valeureux producteurs qui arpentaient les allées du salon en proposant à la dégustation leur variété nationale Szhampion.
Cette même Europe qui a perverti les comportements des arboriculteurs polonais, qui a faussé la concurrence dans les grandes largeurs contrairement à ses principes affichés, impose des codes de communication qui sont d’une aberration surréaliste. Seule l’origine Europe peut être promue avec ces fonds européens et en aucun cas le pays membre de ladite Europe. Ce qui est à se tordre de rire ou de honte, c’est selon. Imaginez en Chine des producteurs polonais accompagnés d’hôtesses en costume typique du pays au sein d’un stand qui doit absolument gommer la référence au pays membre de l’UE. Seule la ruse costumière permet de percevoir sous le vernis ubuesque d’Enjoy it’s from Europe que ce sont bien des polonais qui font la promotion de leurs pommes.
Mais je ne me moque pas puisque la France est logée à la même enseigne. Sauf qu’ayant plus d’antériorité nous sommes passés maître dans les messages subliminaux qui ne laissent aucun doute sur le pays représenté.
Pour autant, il faut beaucoup d’abnégation devant la subvention pour accepter cette hérésie de vouloir faire apparaître une origine européenne quand les identités nationales ou régionales ont seules un sens et une valeur pour les clients visés en matière de pommes.
Il faut aussi imaginer l’incompréhension et la compassion ironique de nos concurrents de Nouvelle Zélande, d’Australie ou des USA qui n’ont pas de lettres assez grandes pour dire avec fierté sur leurs stands de quel pays ils viennent. Et le décor vient appuyer cette identité clairement revendiquée.
Je ne comprends pas que l’on puisse s’habituer à cette aberration. L’Europe se veut déjà fédérale par la forme alors qu’elle en est à des années lumières sur le fond.
Si l’argent des États une fois devenu européen ne permet plus une communication autre qu’européenne, il faut baisser la contribution des États et leur laisser cette compétence. Une coopération des États nation réussie amènera bien plus vite l’attachement à l’Europe que cette politique de gribouille. Bon, les règles ont été récemment un peu infléchies et la mention du pays d’origine peut être indiquée dès lors que les proportions entre les caractères pour l’UE et le pays sont largement en faveur de l’union.
La Pologne grâce à Bianca, son active attachée agricole de l’ambassade à Pékin, a pu obtenir la validation de son protocole pour exporter en Chine en deux ans. La France était jusque là le seul pays européen à pouvoir exporter des pommes en Chine, et cela depuis 2001.
Au-delà de la farce de la communication imposée par l’Europe, qui subventionne avec l’argent des États membres, il apparaissait aussi qu’un marché ne se conquiert pas à la hussarde par le prix et avec n’importe quelle variété parce que l’on est en surproduction. Ou même parce que le président Xi Jiping veut faire une fleur à la Pologne.
Et c’est heureux, sinon nous n’aurions plus qu’à arracher nos propres vergers si la pomme n’était qu’une simple «commodity » ou matière première.
La conquête des marchés par la Pologne n’a pas fait de grands progrès depuis 2014 et là commercialisation de la récolte 2018 à été un enfer avec des prix extrêmement bas. Pour le marché de la transformation comme pour le frais.
La récolte 2019 qui s’annonçait plus faible d’une moitié après une année très difficile laissait entrevoir une continuité presque certaine dans la démoralisation des producteurs.
Face à cette situation qui inévitablement impacte aussi tous les producteurs d’Europe et au-delà, nous avons choisi avec nos collègues italiens de partager avec les arboriculteurs polonais nos expériences en matière d’organisation collective, de partage d’information, de prospective.
Le lendemain nous étions donc réunis sous l’égide de l’association européenne Freshfel pour définir les contours de notre travail en commun.
Une nouvelle rencontre a eu lieu à Varsovie en octobre au cours de laquelle nous avons pu entendre le ministre de l’agriculture, Krzysztof Ardanowski, reconduit à son poste nous dire sa politique. J’ai été frappé par la simplicité, la franchise et le pragmatisme dont il faisait preuve, le situant clairement dans l’acceptation sans faux fuyants de l’économie de marché. Ce qui n’est plus vraiment le cas en France.
Pour autant, si la faible récolte polonaise de 2019 nous offre un répit d’un an, le potentiel de production est bien en place pour atteindre de nouveaux records, si le ciel ne leur tombe pas une nouvelle fois sur la tête. Et parmi cet immense verger, il se trouve de plus en plus de variétés dites internationales qui sont directement en concurrence avec les nôtres sur nos marchés historiques.
Et nous allons voir que la Pologne n’est pas le seul pays qui va bousculer le commerce international des pommes sur lequel jusqu’ici la France excellait. Parce qu’après avoir été jusqu'en 2000 le premier pays exportateur de pommes au monde, la France continuait jusqu'en 2016 à faire bonne figure dans le classement. L’an passé à mis un coup d’arrêt assez brutal à cette performance.
La suite se passe en Ukraine…..
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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