1 Novembre 2012
Paris. Mardi matin, 8h, Hôtel du Brésil. Je reçois un coup de fil de mon ami Yves. C’est depuis Vernoux en Gâtine, au cœur de la France profonde, entouré de pommes Clochard et de vaches, qu’il me hurle dans les oreilles que Michel Sapin, le ministre du travail, est sur RTL et qu’il vient de dire des énormités à Jean Michel Apathie sur la fin de la défiscalisation des heures supplémentaires. « Tu te rends compte » me dit-il, « il a même osé déclarer que ça ne faisait que 5 euros de moins sur la feuille de paie des salariés. Branche-toi vite. Il est encore là pour répondre aux auditeurs. Appelle tout de suite la radio pour rétablir la vérité ».
Du doigt mouillé d’un type en train de se raser, j’effleure mon iPad pour couper la parole à Julie sur Europe 1 et me connecter fissa sur RTL. J’ai vite compris pourquoi Yves semblait suffoquer à l’autre bout du fil et la raison de son cri du coeur final. Au-delà de tout ce que l’on peut déraisonnablement imaginer, le supposé ministre du travail enchainait lourdement mensonges sur tromperies et commentaires tordus. Au Guinness des records de l’incompétence et de l’enfumage en politique, ce Sapin, c’est la forêt d’Hollande à lui tout seul.
Eh bien vous me croirez si vous voulez mes chers lecteurs, il ne s’est pas trouvé un fastchecker pour dénoncer les insultes à l’intelligence des travailleurs proférées par le ministre. L’exercice n’était pourtant pas difficile comme vous allez le voir bientôt.
Mais voilà, inutile que je m’énerve à mon tour. J’allais oublier une donnée fondamentale. Le ministre est de gauche mes chers lecteurs apolitiques. Il est donc du côté des salariés contre les méchants patrons. Tout ce qui permet de démontrer le contraire menace le dogme sacré. Dans ce cas, il n’y a plus de limites aux transgressions déontologiques nécessaires pour cacher l’évidence. Cette fin justifie les pires moyens.
Pour preuve de tout cela, je vous mets un lien vers la vidéo des échanges du ministre avec les auditeurs sur RTL ainsi que le savoureux script de son dialogue quelques minutes plus tôt avec Jean Michel Apathie.
Vous lirez donc et entendrez comme un florilège qu’il fallait mettre fin à cette disposition de la loi TEPA de Nicolas Sarkozy qui faisait que les heures supplémentaires étaient devenues moins chères que les heures normales, qu’ainsi le chômage s’était aggravé, que l’avantage concédé était très largement pour le patron et très peu pour le salarié, que les salariés étaient privés avec ces heures supplémentaires de leur droits à la retraite et au chômage qui vont avec normalement, que ces heures supplémentaires sont pour la plupart fictives, que la fin du dispositif représente très peu sur la feuille de paie et que bien entendu on ne comprend rien parce qu’on mélange tout.
Cet énarque de la promotion Voltaire a quand même été ministre de l’économie et des finances mes chers contribuables. On aurait aimé qu’il s’exclame au cours de l’émission comme Louis de Funès dans « La folie des grandeurs » de Gérard Oury : « mais je ne sais rien faire, je suis ministre ». Le gag aurait été signé Laurent Gerra et on aurait bien ri. Même pas en rêve malheureusement. On est bien dans la très triste réalité.
Il y aurait de quoi l’habiller pour l’hiver chez Karl Lagerfeld ou le « Toyotiser » en place de grève des travailleurs. Il réussit seulement à donner à l’expression macabre « ça sent le sapin » des notes malodorantes de mépris, de mensonge et d’incompétence.
PS : J’ai regroupé les nombreux articles que j’ai consacrés au sujet dans la catégorie « heures supplémentaires ». Où vous pourrez vérifier par vous-mêmes à quel point il est nécessaire de douter des « informations » que l’on vous assène et combien il est utile de faire ses propres recherches et analyses.
Ci-dessous l'intégralité de l'interview de Michel Sapin :
Jean-Michel Aphatie : Bonjour, Michel Sapin.
Michel Sapin
: Bonjour, Jean-Michel Aphatie.
Vous serez tout à l'heure avec le Premier ministre, Jean
Marc Ayrault qui signera les premières conventions d'emploi d'avenir, des emplois réservés aux Jeunes de moins de 25 ans peu ou pas qualifiés. Des emplois largement subventionnés destinés surtout
au secteur public ou para-public face au chômage qui monte. C'est vraiment une réponse ça, Michel Sapin ?
C'est une réponse ; et c'est une vraie réponse par rapport aux Jeunes qui sont sans emploi, sans formation. Jamais il n'y a eu autant
de Jeunes en France sans aucun emploi et sans aucune formation. Il faut donc répondre à ce qui est une forme de détresse sociale avec les conséquences que ça a sur la cohésion sociale. Si vous
voulez me faire dire que c'est "LA" réponse contre le chômage. Non, c'est une réponse pour une partie du problème : celui des Jeunes en très grande difficulté.
Et puis derrière, il y a le contrat génération qui a fait l'objet d'une grande négociation entre partenaires sociaux. Ca marche la
négociation entre partenaires sociaux. Ils ont abouti à un accord ; et ce contrat-génération, ce seront tous les Jeunes dans toutes les entreprises de France, et ce sera, je pense, un grand
moment, une grande décision qui permettra avec d'autres de lutter contre le chômage.
Depuis les TUC, ça fait 30 ans qu'on fait des subventions aux emplois Jeunes ; et on ne peut pas dire que la situation se soit
améliorée sur ce marché-là des Jeunes qui ont du mal à rentrer dans l'emploi.
Oui, mais ce n'est pas parce que certains auraient essayé, à Droite ou à Gauche, que pour autant on ne doit pas agir. C'est peut-être
en s'inspirant justement des expériences : celles qui ont réussi et celles qui n'ont pas réussi qu'on peut trouver le bon dispositif. Donc je le répète, là il ne s'agit pas de tous les Jeunes,
c'est-à-dire pour les emplois d'avenir, il s'agit de ceux qui sont, vous les connaissez : il y a des quartiers de France où 57, 60% des Jeunes sont sans emploi et sans formation ; donc, sans
destin ; sans avenir justement. Et c'est à ceux-là qu'il faut redonner un avenir.
Une phrase retient particulièrement l'attention, ce matin, Michel Sapin ...
J'ai vu ça.
... Jean Marc Ayrault, dans Le Parisien, à la question : les 39 heures ? Il
dit, "il n'y a pas de sujet tabou. Je ne suis pas dogmatique." Vous êtes prêt à
ouvrir le débat, Michel Sapin, sur le temps de travail ?
Le débat, il est ouvert.
Jamais un Socialiste n'a dit : discutons-en !
Le débat est ouvert.
J'entends la Droite nous dire : il faut supprimer les 35 heures.
Oui. Les chefs d'entreprise le disent.
J'entends certains chefs d'entreprise ...
Mais un Premier ministre qui le dit. C'est ça qui est fou !
Il faut supprimer les 35 heures ; et ce que dit, il faut couper la tête au canard là qui est en train de vouloir s'envoler
...
Oui, et il court vite là le canard, ce matin !
Ce que dit ... oui, oui, mais il va arrêter de courir.
Donc, ce que dit le Premier ministre : si vous voulez que le débat ait lieu, il aura lieu. Voilà ce qu'il répond à un lecteur du
Parisien.Le débat, il a lieu.
Une cacophonie
Monsieur Fillon comme Monsieur Copé sont d'accord sur une chose -ils ont peut-être un grand désaccord sur leur avenir-, ils sont
d'accord sur une chose : il faut supprimer les 35 heures.Eh bien, non Monsieur Aphatie, il ne faut pas supprimer ...
Eh bien, il n'y a pas de débat alors ?
Mais si, débattons-en ! Je vais vous apporter des arguments ...
(rire)
... pour vous dire pourquoi il ne faut pas supprimer les 35 heures.
Pourquoi le fait de supprimer les 35 heures, justement je réagissais en écoutant l'auditeur qui s'est totalement trompé sur le sens de
travailler 39 heures en étant payé 35 heures. Supprimer les 35 heures, c'est supprimer les Heures Supplémentaires. Supprimer les Heures Supplémentaires, c'est supprimer le fait que quand on
travaille au-delà de 35 heures, on est payé plus. C'est donc typiquement : travailler plus pour être payé moins. C'est ça que veulent les Français ? Vous croyez que c'est ça que veut le maçon qui
vient de s'adresser à nous ? Non.
Donc, il faut maintenir à 35 heures la durée légale du travail. Au-delà, ce sont des Heures Supplémentaires. Mais Monsieur Aphatie, il
faut aussi dialoguer dans les entreprises. C'est ce qui se passe déjà aujourd'hui. Les 35 heures, c'est la référence.
Mais dans les entreprises lorsque ça va très, très bien, qu'il y a beaucoup de boulot, on peut travailler plus en étant payé plus ; et
dans celles où ça va moins bien, on doit pouvoir mettre en oeuvre des accords dans l'entreprise qui permettent de traverser le moment le plus difficile en baissant, par exemple, la durée du temps
de travail.
Pouvons-nous convenir, Michel Sapin, que vous venez de couper les pattes du canard ?
Les pattes. Les ailes. Et la tête.
Donc, le Premier ministre a eu tort de s'exprimer comme il l'a fait ?
Non. C'est parce que vous ...
C'est un couac ?
C'est parce que vous interprétez ce qu'a dit le Premier ministre ...
On interprète ! Ecoutez ...
Ne lisez pas simplement une dépêche. Lisez l'ensemble de l'interview ...
Ah, mais je n'ai pas lu la dépêche ... c'est Le Parisien, bien sûr.
.... et vous verrez très exactement ce qui est dit lorsqu'on lui demande : est-ce que vous êtes prêt à ce qu'il y ait un débat sur le
sujet ? Il dit oui, aucun sujet n'est tabou. La preuve, nous venons d'en parler entre nous.
Mais s'il n'y a pas de sujet tabou ..
Eh bien, on en discute.
... si le Premier ministre dit : le sujet n'est pas tabou, c'est que dans sa tête, il se dit : eh bien, ce n'est peut-être pas
si bien que ça ! Discutons-en ! Sinon, il ne l'aurait pas dit. Il aurait fermé la porte comme tous les Socialistes l'ont fait jusqu'à présent.
Poussé jusqu'au bout, je coupe la tête du canard tout de suite.
Et donc, c'est un petit couac du Premier ministre.
Non, ce n'est même pas un couac. Le canard que vous lancez fait un couac. Pas celui auquel je viens de couper la tête.
Bon ! Mais enfin, vous avez coupé les ailes, les pattes ; mais je pense qu'il va courir
encore.
Eh bien non ; il va s'arrêter. Enfin, moi je connais que pas de canards qui ont ni tête ni pieds, ni ailes qui continuent à
courir. On fera le point ce soir.
Les Echos ont publié, lundi une étude fiduciaire qui dit que beaucoup de salariés -3% en moyenne de baisse de
salaire- dans les petites entreprises, du fait de la fin de la défiscalisation des Heures Supplémentaires. Au moment où vous augmentez les impôts et Pascal, l'auditeur qui était juste avant vous,
l'a dit : Au moment où vous augmentez les impôts, finie la défiscalisation des heures supplémentaires. Ca fait mal dans beaucoup de foyers. Vous en avez conscience ?
Ce n'est pas la défiscalisation parce qu'on mélange tout. On mélange tout.
Mais bien entendu, que nous en avons conscience ! Mais tous les observateurs depuis le début du jour où cette mesure a été prise, vous
savez c'est le fameux TEPA, celui de Travailler Plus pour gagner plus. On dit : dans une période d'augmentation du chômage, c'est une mauvaise décision. Il n'y pas un pays en EUROPE où on
subventionne les Heures Supplémentaires.
Le plus grand pays, celui qui traverse le mieux la crise, celui que nous prenons toujours à Droite ou à Gauche comme exemple :
l'Allemagne n'encourage pas les Heures Supplémentaires. Il permet, au contraire, de financer du chômage partiel. Cette mesure même si elle peut avoir eu un effet positif pour tel ou tel,
individuellement, a eu un effet négatif collectivement terrible. Parmi le million de chômeurs en plus de ces cinq dernières années, il y en a plusieurs centaines de milliers qui sont au chômage,
à cause des Heures Supplémentaires.
A cause des Heures Supplémentaires ?
Mais bien sûr, à cause de l'encouragement aux Heures Supplémentaires. Quand dans une entreprise, parce que ce n'est pas pour le
salarié que l'avantage principal existait, c'était pour l'entreprise; Quand dans une entreprise ...
Mais les salariés en profitent aussi !
Oui, ils en profitaient par ailleurs.
D'accord.
Mais c'est toujours la même chose. On dissimule le gros derrière le petit. Donc, le gros c'était l'entreprise. Et l'entreprise quand
elle a intérêt à payer, parce qu'elle paie moins chère des Heures Supplémentaires que des heures normales, qu'est-ce qu'elle fait ? Elle distribue des Heures Supplémentaires en plus, et elle
supprime des emplois en moins.
Ca a donc été une des mesures les plus catastrophiques pour l'économie française. Elle est à l'origine d'une grande partie des
chômeurs d'aujourd'hui. Et chacun est capable de le comprendre, y compris lorsqu'au bout du compte, il a 5 euros de moins sur sa feuille de paie à la fin du mois.
D'un mot, si la TVA augmente dans la restauration, des emplois seront menacés, Michel Sapin ?
Voyez, c'est terrible ces mesures-là. Ca a été totalement inutile. Ca a coûté plus de 3 milliards d'euros qui ont été payés par la
Dette.
Et si la TVA augmente, des emplois seront supprimés ?
Alors quand il faut réaugmenter, quand la TVA baisse, les prix ne baissent pas ; mais on est sûr que si on réaugmente la TVA, il va y
avoir un problème sur les prix parce que le restaurateur, il a empoché la différence lorsque ça a baissé et je crains qu'il reporte la différence sur le consommateur. C'est pour ça qu'il faut
réfléchir sur cette mesure ; c'est ce que nous faisons avant de prendre une décision.
Mais vous n'êtes pas donc favorable à l'augmentation de la TVA si je déduis ...
Non, je dis que c'est un sujet qu'il faut étudier. Ne simplifiez pas outrageusement les propos des uns et des autres. C'est une mesure
qui a été très mauvaise pour les Finances Publiques comme pour l'ensemble du secteur mais il faut réfléchir avant d'agir en sens inverse.
Michel Sapin qui a coupé les pattes du canard qui court encore.
La tête !
La tête, les ailes ...
Les pattes et le reste ...
Et le canard va courir toute la journée. Bonne
journée.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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