26 Décembre 2019
A l’aube d’une nouvelle année, on se retourne une dernière fois sur celle qui vient de s’achever et il est déjà grand temps de regarder devant, loin devant.
Mais pour se projeter efficacement vers l’avenir, il est nécessaire d’évaluer les menaces et les opportunités qui se sont faites jour ou précisées l’année écoulée, tout comme il faut bien connaître ses forces et ses faiblesses pour y faire face.
Je cite très souvent cette maxime de Bossuet qui nous dit que « dieu se rit des hommes qui déplorent les effets dont ils chérissent les causes ». Eh bien, il doit se tordre en se tenant les côtes ces temps-ci tant en maints domaines cette contradiction est poussée à l’extrême.
A cette aune divine, on peut par exemple se demander si le taux de CO2 dans l’atmosphère va continuer de croître ou bien se stabiliser puis baisser.
Du côté des effets que l’on déplore, on assiste à une quasi-unanimité parmi les politiques, les éditorialistes, les scientifiques, les militants d’ONG et bientôt les citoyens pour se plaindre des dérèglements climatiques qu’ils attribuent sans contestation possible aux émissions de CO2 liées aux activités humaines.
Logiquement il suffirait donc avec la même unanimité de décider d’en émettre bien moins, voire d’en absorber pour remédier aux effets redoutés.
Mais il se trouve que les mêmes chérissent bien plus encore les causes de l’augmentation du CO2 dans l’atmosphère. Comme l’explique très bien Jean Marc Jancovici, le quotidien de chacun d’entre nous participe de l’augmentation permanente des émissions de CO2 par la part qu’il s’octroie directement ou indirectement de consommation de ressources fossiles, pétrole, charbon, gaz, etc….
A moins d’un miracle, ce qui n’est pas l’hypothèse la plus probable, rien dans nos choix ou nos comportements ne laisse entrevoir une réduction sensible de nos émissions de CO2, en France comme ailleurs.
Des premières manifestations de gilets jaunes aux grèves de cette fin d’année, tout démontre le refus collectif d’une quelconque décroissance et bien au contraire l’envie de maintenir les acquis et si possible d’en obtenir toujours plus.
Les villes continuent de croître et d’attirer les populations. A la fois ilots de chaleur et lieux de consommation de plus en plus éloignées des lieux de production, les villes brulent de l’énergie pour se chauffer ou se refroidir et du transport routier pour acheminer les marchandises et les hommes.
Equipements et biens de consommation ont eux-mêmes nécessité beaucoup d’énergie pour être créés. A l’échelle du monde, la proportion des énergies renouvelables sur la totalité de l’énergie produite, même en y ajoutant le nucléaire, est encore très faible. Ce sont toujours les ressources fossiles, charbon, gaz et pétrole, qui permettent le niveau de vie que nous revendiquons avec son corolaire de temps de travail et d’âge de départ à la retraite.
Du côté de l’Etat, des collectivités et des organisations publiques, les besoins de financements sont toujours à la hausse. Et si, comme cela s’est produit, la consommation de gas-oil, ou d’essence diminue, vite l’Etat s’empresse d’augmenter les taxes qui s’appliquent pour que la recette ne baisse pas. Et on fait progresser en parallèle la taxation du gas-oil pour qu’elle rejoigne celle de l’essence au titre de la lutte contre la pollution. Pas un instant il n’est évoqué que les recettes en plus sur le gas-oil seront compensées par une baisse de la taxation sur l’essence. Les prélèvements obligatoires sont une roue crantée qui ne connait la progression que dans un sens.
Autant dire que rien ne permet de penser qu’à court terme les émissions de CO2 puissent baisser. Aucune technologie nouvelle connue, appréhendée dans sa globalité au regard des émissions de CO2, ne peut apporter une substitution suffisante aux ressources fossiles pour permettre le maintien de nos niveaux de vie.
Cette situation présente au moins un intérêt. C’est d’être quasiment sûr que l’on pourra vérifier concrètement la justesse des prédictions qui sont faites à ce jour en matière d’élévation du niveau des mers et des températures. Ce qui devrait rendre prudent quand même les scientifiques que la postérité intéresse.
Il est presque certain aussi que l’on pourra contrôler la pertinence des analyses de Jean Marc Jancovici. Selon lui, il sera impossible de trouver assez vite et en quantité des sources d’énergie de remplacement au charbon, au gaz et au pétrole qui permettent le maintien de nos niveaux de vie actuels. Et donc, dès lors que les ressources fossiles viendront à manquer, les conflits à tous les étages de la société et du monde se multiplieront pour que les plus forts s’en attribuent jusqu’à la dernière goutte restante. Ce n’est qu’à ce moment du basculement dans la frugalité forcée que les émissions de CO2 commenceront à baisser. Basculement qui coïncidera malheureusement avec une humanité qui s’entretuera. Mais c’est aussi à cet instant qu’il faut se souvenir que le pire n’est jamais sûr….
Redescendons maintenant au ras des pâquerettes pour porter notre regard sur l’agriculture.
Du côté des effets que l’on déplore ces temps-ci, il y a ce que l’on se plait à décrire comme une agriculture industrielle, intensive, avec sa mécanisation, sa consommation d’intrants que sont les engrais et les produits phytosanitaires. On doit y ajouter pour être complet les agriculteurs broyés par un modèle à bout de souffle dont on répète à l’envi qu’il faut en changer.
Les causes que chérissent nos mêmes concitoyens se trouvent du côté de leurs arbitrages de consommateurs qui privilégient nécessairement le prix et de plus en plus l’importation.
Pour ne citer que l’exemple des fruits et légumes, en 2000, 65% de ce qui était consommé en France était produit dans notre pays. Aujourd’hui ce n’est plus que 50%, et cette régression s’accélère nettement au fur et à mesure des contraintes imposées aux agriculteurs qui s’incrémentent bien plus vite dans notre pays qu’ailleurs dans le monde.
Les contradictions entre ce qui est professé et les comportements que l’on constate sont criantes. Nous importons finalement de plus en plus l’agriculture que nous ne voulons pas dans notre pays. Nous vantons l’Europe et son marché unique, mais nous nous empressons de définir des règles nationales qui vont au-delà de celles qui sont définies à l’échelle de l’Union Européenne. De sorte que nous donnons un avantage concurrentiel à nos voisins européens et au-delà, ce qui se traduit mécaniquement par des baisses de production et des hausses d’importations.
Nous préconisons un idéal de circuits courts, une agriculture de proximité, plus utilisatrice de main d’œuvre, sans engrais ni produits chimiques, moins productiviste, des productions de meilleure qualité dans de plus petites fermes. Alors que la réalité qui progresse de jour en jour, c’est de moins en moins d’installations d’agriculteurs, de moins en moins de main d’œuvre candidate aux travaux agricoles. On assiste à un agrandissement permanent des exploitations agricoles, à plus de mécanisation, de robotisation et de plus en plus d’importations.
Les politiques publiques qui revendiquent de lutter contre les effets qu’elles déplorent ne font en fait que les exacerber, à quelques alibis microscopiques près.
L’analyse de la situation de départ relève d’un dogme qui est allègrement repris en chœur à tous les étages par les décideurs publics et les médias. Les orientations et les décisions qui se prennent pour y remédier relèvent tout autant de dogmes. Et ces dogmes se fracassent évidement sur le mur des réalités.
Nous n’en sommes pour autant pas encore à la remise en cause de ces dogmes et au retour à une certaine rationalité. On en est plutôt à chercher des coupables, les mauvaises volontés.
Une tribune parue dimanche dernier dans le JDD, signée de Jean Baptiste Moreau et Stéphane Travers illustre à merveille cette dérive sans fin. Et ce qui ajoute à l’inextricable de la situation c’est que les auteurs sont très certainement de bonne foi.
Cette tribune s’intitule : « Qui en veut à la loi Egalim ? ». Cette loi censée améliorer le revenu des agriculteurs en imposant que les prix se construisent par les producteurs à partir de leur prix de revient n’a eu aucun effet. Le relèvement du seuil de revente à perte dans la distribution à 110% du prix d’achat n’a pas eu plus d’effet positif. En obligeant les distributeurs à faire un peu de marge sur Nutella et consorts, il était espéré que le produit obtenu permette de desserrer un peu l’étau sur les produits agricoles. Rien de tout cela ne s’est passé évidemment. Non pas parce qu’il y a eu de la mauvaise volonté des acteurs mais tout simplement parce le droit de la concurrence qui est plus en vigueur que jamais interdit que le prix soit autre chose que la confrontation entre l’offre et la demande entre opérateurs indépendants et en concurrence vive les uns avec les autres. Toute entente horizontale ou verticale est sévèrement condamnée.
Mais voilà, la loi ne peut en aucun cas être reconnue inutile et inapplicable. Il faut en politique maintenir l’illusion jusqu’au bout, dénoncer les coupables malveillants et promettre de faire une loi de plus pour les sanctionner durement. C’est parfaitement absurde et infondé, mais de partout on laisse dire et croire. L’irrationnel est toujours plus facile à vendre. L’illusion séduit.
Cette même loi prévoit d’imposer que la restauration collective s’approvisionne pour moitié avec des produits sous signe de qualité, sous certification environnementale et à 20% au moins en bio. Au plan national on atteint à peine 3 à 4% à ce jour. Compte tenu des contraintes budgétaires imposées par le même Etat qui impose ces nouvelles règles, compte tenu aussi des obligations à respecter pour les marchés publics, de l’absence de traçabilité pour les produits transformés, il y a fort à parier que nous serons loin du compte et que c’est encore l’importation qui l’emportera haut la main.
Il en va de même lorsque l’on déplore les étés trop chauds et trop secs en maudissant ce foutu capitalisme qui a trop envoyé de CO2 dans l’atmosphère, ce qui a déréglé le climat. On pleure, on maudit les Etats inconscients et irresponsables. Quelques semaines plus tard, c’est toujours le même raisonnement qui est employé, mais cette fois-ci c’est pour se plaindre des pluies et des inondations.
Pour au tant pas question de remettre en cause les politiques préconisées et les dogmes qu’elles servent. Il faut utiliser de moins en moins d’eau pour irriguer les cultures et en changer pour de moins consommatrices en eau si possible.
Stocker de l’eau l’hiver pour en avoir l’été n’est toujours pas à l’ordre du jour. La campagne se desséchera donc l’été et inondera l’hiver. Le thermomètre grimpera très haut dans les villes entourées de champs brulés. Pas question d’en faire des oasis.
La plan Ecophyto né du Grenelle de l’environnement sous Nicolas Sarkozy prévoyait que l’on réduise de 50% l’utilisation des produits phytosanitaires tout en maintenant le potentiel agricole de la France. Inutile de revenir sur l’absurdité du message auquel on essaie encore aujourd’hui de donner un sens. Les agriculteurs sont sans doute à ce jour assez proches d’une utilisation optimum des produits phytosanitaires au regard des conditions pédoclimatiques et de la pression des maladies et ravageurs que subissent leurs cultures. En tout cas, nul institut ou centre d’expérimentation n’est en capacité d’obtenir avec moins d’intrants d’aussi bons résultats technico-économiques qu’eux.
Mais qu’importent les réalités objectives. Le projet Ecophyto est aujourd’hui largement dépassé. L’objectif est devenu maintenant la sortie des pesticides, enfin des pesticides de synthèse seulement. Il faudra encore un peu de temps pour que la distinction entre pesticides de synthèse et pesticides naturels disparaissent. Cette segmentation n’a évidemment aucun sens dès lors que les critères pour obtenir l’homologation sont les mêmes et que nombre de substances naturelles se révèlent avoir bien des inconvénients. Heureusement le dogme et les croyances permettent de tordre les critères et d’absoudre bien des défauts que la chimie de synthèse ne peut pas s’autoriser.
Dans la tête des politiques, il suffit d’être convaincu que ce projet va dans le sens du progrès et de l’histoire pour le défendre becs et ongles. Bardés de certitudes, ils renvoient la balle aux scientifiques subventionnés dont la servilité volontaire si bien décrite par La Boétie empêche de refuser la commande. Il y a pourtant bien peu à attendre de révolutionnaire, de concret et d’utile du côté de l’INRA. A part des foutaises de triste facture comme les CEPP (Certificats d’économie de produits phytosanitaires) qui ne font pas avancer le schmilblick d’un iota, la créativité tourne court. Mais le révolver politique sur les tempes de l’institut parvient assez facilement à faire dire à peu près n’importe quoi. L’histoire ne se répète pas, mais elle bégaie toujours assez bien.
Qui dit importation, consommation mondialisée et concentration urbaine dit poids lourds sur les routes. Sans doute aussi transport aérien, ferroviaire, maritime et naval. Mais surtout transport routier puisque c’est le plus souple et le plus réactif.
La Charente en sait quelque chose. La géographie l’a placée sur le plus court chemin entre le sud, le nord et l’est de l’Europe. Mais voilà, les forces politiques ont privilégié de longue date d’autres départements pour y faire des autoroutes aux parcours touristiques allongés ou plus montagneux. Ce qui fait qu’aujourd’hui notre département est traversé par un fret géant sur des routes de fortune. A force d’à force du goudron a quand même été mis en plus grande quantité sous les roues des camions. La RN10 est à deux fois deux voies entre Bordeaux et Angoulême sans passage à niveau. Elle est aussi à deux fois deux voies au nord d’Angoulême en direction de Poitiers mais avec des passages à niveau. La vitesse y est limitée selon les tronçons à 90 ou 110 kilomètres à l’heure. En direction de Confolens et La Croisière vers la RCEA ce n’est plus tout à fait un chemin de terre mais il y a encore beaucoup à faire pour être à la hauteur du trafic supporté. Du côté des aménageurs, si sur l’axe nord sud les idées sont à peu près claires sur la pertinence géographique du tracé, il n’en est pas encore de même pour la route à l’est d’Angoulême. Le projet est encore d’achever un jour de mettre à deux fois deux voies la RN 141 vers Limoges. Ce qui est évidement une nécessité. En revanche il est toujours assez peu perçu que le fret européen n’a que faire de Limoges et de l’épingle à cheveu qu’il faut faire quand on y passe pour aller vers l’est. La route préconisée par la géographie et le relief passe par Confolens.
Devant une telle opportunité offerte par la géographie, quand des politiques visionnaires et forts sont en poste, ils ont tôt fait d’en tirer des conclusions et de créer l’infrastructure autoroutière payée par le fret qui amène prospérité, emploi et sécurité. Sauf en Charente seul département de France à ne pas avoir d’autoroute. On dit qu’il est traversé par les camions et contourné par les autoroutes.
L’exemple de ce qu’il faut faire a pourtant été montré au sud de Bordeaux où ce même fret a conduit à transformer la RN10 en autoroute concédée et payante.
Eh bien non, nous en sommes encore en Charente à geindre et à faire des pieds et des mains pour tenter de faire passer les camions ailleurs. Soit des trajets plus longs et plus consommateurs d’énergie. Ce qui n’est pas très bon pour le réchauffement climatique selon les convictions de ces mêmes personnes qui luttent pour détourner le fret. Mais on illustre là encore cette histoire d’effets redoutés en même temps que de causes chéries.
Revenons à l’agriculture. J’entends à longueur de journée qu’il nous faut changer de modèle. Que le modèle existant est mort. Que nous sommes décidemment indécrottables de ne pas le comprendre. A Bordeaux avec Alain Rousset comme à Paris avec tel ou tel ministre, dans les médias ou de la bouche des ONG, le message est partout le même.
Pour ce qui me concerne je ne comprends pas un traitre mot de ce que cela peut bien vouloir dire. Je vis aux côtés des agriculteurs une révolution permanente et une adaptation remarquable et intelligente de chacun d’eux. Cette idée du changement de modèle auquel on nous invite est idiote, incompréhensible et fumeuse. Son contenu n’est d’ailleurs jamais décrit et reste parfaitement irréel. C’est de l’ordre de cette autre société qui est possible dont on ne voit jamais à quoi elle peut bien ressembler.
En revanche les mêmes qui m’annoncent que mon modèle est mort ne se rendent pas compte que le leur meurt lentement mais très sûrement. J’avais évoqué lors d’une séance plénière à la Région à quel point il me paraissait absurde que l’on puisse souhaiter l’augmentation du budget européen pour pouvoir maintenir les aides européennes à destination de la Nouvelle Aquitaine à leur niveau actuel. Pour que les 330 millions annuels obtenus au titre des politiques de cohésion sociales soient maintenus alors qu’ils sont menacés par d’autres priorités européennes, il nous était demandé d’émettre le vœu de faire augmenter le budget européen. Cette augmentation proposée ramenée à l’échelle de la Nouvelle Aquitaine correspondait à faire contribuer notre territoire du même montant que celui que l’on voulait garder, soit 330 millions.
Je proposais que l’on s’évite ce circuit lointain et plein d’embûches administratives et politiques pour plutôt faire du circuit court et laisser l’argent en Nouvelle Aquitaine. Pour rénover un CFA ou un lavoir le principe de subsidiarité peut jouer efficacement à plein.
Mon intervention a suscité l’ire du président qui m’a comparé à Nigel Farage tant il avait perçu mon intervention comme anti européenne. Je crois bien au contraire que c’est cette obsession politique de l’action par la dépense publique qui est à bout souffle. Que l’apoplexie guette. Qu’elle est la cause de l’étranglement du pouvoir d’achat en renchérissant de surcoûts inutiles par l’impôt les biens et les services dont nous avons besoin.
En cette fin d’année 2019, la pression politique et médiatique pour aller droit dans le mur est énorme et il est difficile d’y résister tant on se sent un peu seul contre tous. Pour autant, j’ai la conviction que ce n’est vraiment pas le moment de renoncer à la rationalité pour obtempérer aux mots d’ordre que l’on nous martèle sans relâche. De nombreux points d’appui de cette rationalité nécessaire se font jour dans toutes les composantes de la société. Bien qu’infiniment minoritaires dans le bruit médiatique, ces forces agissantes ont pour elles le goût du concret, du tangible, la force du réel.
Refuser l’illusion, s’attacher au concret des comportements plutôt qu’à ce qui est dit. Que ce soit en économie ou en politique, pour produire une offre qui trouve preneur, c’est encore et toujours la voie à suivre.
Bonne année 2020.
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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