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L’après Covid a commencé. Continuités, infléchissements et ruptures (2)

C’était il y a tout juste trois mois, le 12 mars. Seulement trois jours après que Guiseppe Conte ait mis à l’arrêt et aux abris toute l’Italie. Médusés, on apprenait au réveil que Donald Trump vidait le ciel sur le champ de toutes les liaisons aériennes avec l’Europe. La journée s’était poursuivie par un défilé à Matignon de tous les chapeaux à plume des partis et des institutions de la République. Bravaches et pérorants sur le perron, la plupart plaidait avec gravité pour le maintien des élections municipales les deux dimanches suivants. Emmanuel Macron, tiré par la manche et couvert par la science pour au moins un dimanche, garantissait à 20 heures au peuple de France que les urnes n’auraient pas le goût de cendre. Mais en même temps, la même science l’invitait à fermer les écoles le lundi suivant et à demander aux vieux de se terrer sans s’entêter, sauf pour aller voter.

Le samedi, c’est Edouard Philippe qui annonçait  la fermeture administrative des bars, restaurants et autres salles de spectacle dès le soir minuit. Chamboulé, j’ai attendu jusqu’à tard dans la nuit, portable en main sous la couette, l’alerte info qui au dernier moment annulerait les élections. C’était un virus et pas des terroristes bien sûr, mais la prophétie de Michel Houellebecq du report d’un scrutin dans « Soumission » était en train de se réaliser. J’en étais sûr.

Le vote, bien que très peu couru eu lieu. Et c’est le lundi soir, le 16 mars, que le Président a intimé aux français l’ordre de se confiner, tous ou presque, à partir du mardi midi. En même temps, on le sait maintenant, il espaçait implicitement à l'insu de son plein gré de trois mois et demi les deux tours des élections municipales. Ah! Si seulement ce temps de réflexion et l’air frais et humide de juin permettaient de mobiliser et de faire élire les bons ou les bonnes maires à Cognac comme à Bordeaux ou ailleurs. Mais c’est une autre histoire dont nous connaîtrons le dénouement le 28 juin.  

La perspective inéluctable d’un confinement généralisé comme en Italie a fait se précipiter la population inquiète dans les magasins alimentaires. « Ils n’achètent pas, ils pillent», me disait alors Jean-Charles, mon collègue paysan-commerçant en Vendée et Deux-Sèvres pendant ces jours de folie. Tout ce qui pouvait se conserver pour tenir un siège se vendait. Le périssable avait moins la cote. Les premières fraises ou asperges en ont fait les frais et une partie des lots est restée sur le carreau.

Le mardi à midi tout s’est arrêté. Le temps de maîtriser les autorisations de sorties et de se lasser très vite des nouilles ou du riz et les consommateurs ont repris quelques jours plus tard le chemin des magasins, des drives, des fermes et des rares marchés de plein vent qui n’étaient pas fermés. Avec toute la restauration extérieure interdite et les cordons bleus aux fourneaux, à domicile, l’activité de la distribution alimentaire ouverte a été boostée comme jamais auparavant.

Période improbable ou le monde à l’arrêt devait pourtant se nourrir, se soigner, être en sécurité et disposer d’eau, de gaz, d’électricité et de pétrole pour les quelques déplacements autorisés.

Aux côtés des soignants, des policiers, des transporteurs, des éboueurs, des réparateurs, des expéditeurs, des importateurs, des commerçants, des caissières et autres premiers de corvée, les agriculteurs ont poursuivi leur activité nourricière. Covid-19 ou pas, le rythme des saisons et des estomacs suit son cours.

Les agriculteurs n’en revenaient pas. Alors que c’était presque « farm business as usual »,  complications sanitaires et distanciation physique en plus, le regard sur eux changeait subitement. Leur existence d’un coup redevenait précieuse pour le pays. Une vaste opération, « des bras pour ton assiette », incitait les volontaires disponibles malgré eux à venir suppléer les saisonniers étrangers cantonnés hors des frontières. Et une armée de candidats s’est levée. Craignant sans doute, mais très injustement, d’avoir à faire à des bras cassés, les employeurs malheureusement ont fait des pieds et des mains pour faire venir malgré toutes les interdictions leurs travailleurs manuels endurcis et experts habituels.

Mais les mythes ont la vie dure. Le 1er mai, lors d’un Télé matin sur France 2, le journaliste Frédéric Vion, lobotomisé comme tant d’autres, a cru bon d’expliquer la vitalité retrouvée des abeilles par l’arrêt « notamment » des activités agricoles. Il fallait avoir les yeux bouchés d’une fosse septique de  préjugés pour dire une bêtise pareille. Une fois de plus, c’est le service public qui a eu la palme pour ses huiles éditoriales frelatées.

Dans les rangs des prêcheurs d’apocalypse, la menace d’une rédemption populaire de l’agriculture productiviste par l’effet Covid-19 est ainsi vite devenue bien plus effrayante que le virus lui-même. Au moment où l’activisme vert caca d’oie avait enfin fini par convaincre la sphère politico-médiatique que la bête immonde, toute constituée de lucre, de CO2, de particules fines, d’énergies fossiles et de pesticides chimiques, allait nous faucher comme les blés, nous faire crever de soif et nous cuire dans la géhenne, un virus très naturel et invisible lui coupait la mauvaise herbe sous le pied. C’était intolérable. Ils ne l’ont pas toléré.

Il fallait un lien de causalité entre l’horreur Covid-19 et l'abjecte agriculture productiviste. Est alors apparue cette idée tirée par les cheveux, ou les poils d'un cul -terreux, que les « épandages agricoles » pendant le confinement diffusaient dans les villages et les villes des particules fines qui affaiblissent les poumons des plus fragiles d’entre nous. Et qu’ainsi ils étaient en partie responsables de la propagation et de la dangerosité du virus. Des demandes ont alors été formulées auprès des autorités pour qu’elles exigent la suspension pour un temps des redoutables épandages d’engrais, d’amendements, de matières organiques et bien sûr de pesticides. Même débiles, les communiqués de ces sources d’eaux troubles trouvent toujours des échos complaisants dans les médias.

Déforestation et perte de la biodiversité sont aussi devenues avec certitude les causes des nouvelles promiscuités entre l’homme et l’animal qui ont engendré le virus. On se pince tant c’est bête à manger du foin. Mais des thèses très sérieuses sont venues crédibiliser cette crétinerie.

Il fallait aussi que le bio et le local soient encore plus légitimés par la crise sanitaire. Il n’y a pas eu beaucoup d’effort à faire tant l’idée salvatrice du bio à fins universelles est maintenant profondément ancrée dans l’inconscient collectif.

Viennent donc maintenant les orientations politiques édictées par la Commission Européenne où par les députés En Marche pour l’agriculture d’après Covid-19. Orientations qui ont enjambés le virus pour s’en trouver confortées, puisque ce sont strictement les mêmes qu’avant la crise sanitaire. Sur ce plan et à ce jour, le virus n’a pas fait de victimes. L’orage cytokinique n’a produit aucun éclair lumineux dans les hémicycles. Heureux pourtant les fêlés, disait Michel Audiard, car ils laisseront passer la lumière.  

Les jeunes agriculteurs avaient initié le slogan « de la fourche à la fourchette ». Ursula Van Der Leyen et la grosse Commission en ont un très approchant avec « Farm to fork (F2F) ». De la ferme à la fourchette est l'arbre mort qui gâche la forêt du Green Deal.

Biodiversité, impact carbone, durabilité, tous les mots valise y sont évidement. Mais les concepts sont toujours aussi éternellement creux. Ils sont la litanie bienveillante et incontournable pour dire que l'on adore Gaïa. Qui que l’on soit, il faut d’abord égrener le chapelet de ses bonnes intentions, sous peine d’être excommunié, avant de parler de son projet. Un élu doit nécessairement se prosterner devant la dame nature idéalisée en rabâchant ce mantra ou cette prière verte à points, c’est selon, sous peine d’enfer électoral.

Mais l’intention n’est plus suffisante. Il faut des indicateurs de la foi qui soient mesurables. Ce sera donc une réduction de 50% des pesticides et des engrais. Les parcelles certifiées AB, en agriculture biologique, devront atteindre 25% des surfaces cultivées en Europe. La surface agricole totale devra aussi être un peu réduite pour rendre des hectares à la nature inviolée.

Du côté des Marcheurs dont la titubation, voire la claudication, inquiète ces temps-ci, ces nobles objectifs pour nos campagnes se doublent de la sortie contrainte d’une économie de marché destructrice de paysans et d’insectes. Le prix de revient autoproclamé qu'il faut rémunérer est le nouveau totem autour duquel les commissions d’enquête de l’assemblée sont invitées à faire la danse du scalp des distributeurs avides de profits. J’en ai été le témoin audité à mon corps défendant.

Il y a au moins un objectif qui sera atteint, je le garantis. C’est l’augmentation sensible et douloureuse pour notre pouvoir d’achat d’une administration ad hoc et dingue comme de chercheurs introuvables chargés de résoudre cette quadrature du cercle absurde de par sa formulation . Et ils vont s’y adonner avec une abnégation de la rationalité la plus élémentaire qui démontrera que la soumission cupide et la servitude veule sont des passions tristes toujours d’avenir.

Pour satisfaire les croyances et les jalousies urbaines, l’impôt sera donc de plus en plus levé pour mettre à terre les paysans d'aujourd’hui. Ils sont définitivement déclarés coupables de ne pas correspondre au mythe que l’on s’en est fait dans les palais nationaux ou chez les éxodés ruraux qui culpabilisent sans fin de ne pas avoir la main verte. Mais habitués à courber l’échine et à endurer les paysans dureront et vaincront. Un principe de réalité et les ventres affamés, les a fait incontournables pour toujours.

Donc ce n’est pas ce qui est proféré qui va se passer. Des décisions seront prises évidement qui mettront en jachères bien des terres et qui ruineront nombre de paysans. C’est écrit dans les programmes. Ils seront malheureusement mis en œuvre. C’est le prix à payer pour que la pédagogie du réel se fasse auprès des mondes artificiels qui influencent ou nous gouvernent.

Reviendra alors le temps du réalisme et de l’affrontement assumé des hommes pour survivre face de l’adversité constante de la nature.

La réalité d’aujourd’hui ce sont des producteurs de cerises qui, de guerre lasse contre Drosophila Suzukii, sortent les tronçonneuses pour en finir avec leur combat sans armes. Une même menace pointe aussi pour la pêche. La betterave à sucre s’efface à son tour pour d’autres cultures encore possibles pour un temps. Du côté des pommes et des poires, c’est le puceron cendré aidé de l’hoplocampe, l’anthonome et autres tordeuses, punaises diaboliques ou feu bactérien qui ont maintenant gain de cause. Le banalin a quant à lui le champ libre pour trouer les noisettes.

Les faillites ne sont pas un argument dissuasif pour qu’un ministre prenne le risque de se voir reprocher d’avoir autorisé un produit chimique pour tuer ces vermines. Le symbole le plus retentissant sera atteint quand l’an prochain la DGAL sous recommandations de l’ANSES ne renouvellera pas la dérogation pour l’utilisation de l’huile de Neem. La matière active de cette huile issue des graines de l’argousier est l’azadirachtine. Elle est utilisée pour contrôler les populations de pucerons cendrés dans les vergers de pommes bio ou non. Adulée par les verts comme par Marie Monique Robin herself, cette substance est pourtant considérée comme trop dangereuse pour l’utilisateur au regard des critères en vigueur pour l’approbation des produits phytosanitaires. Le cuivre malgré l’aura fabuleuse dont il dispose prend le même chemin.

Autant dire que, si l’on abandonne le parti pris assumé de l’équilibre bénéfice risque en raison d’un refus strict de tout danger, la production naturelle sera alors la seule possible. Il ne fera plus bon dans cette perspective d’habiter loin des fermes, au cœur des villes, puisque n’y parviendront souvent que des fruits et légumes pourris. Sauf à considérer que nos voisins aient fait un autre choix et qu’ils puissent nous livrer les productions que nous ne voulons plus faire ici aux mêmes conditions.

L’agriculture aujourd’hui a besoin qu’on l’aide à lutter contre les maladies et ravageurs comme on veut le faire contre le virus Covid-19. Elle nécessite aussi que l’on se préoccupe de stocker l’eau quand elle est en excès l’hiver pour en disposer quand il fait sec. L’agriculture a aussi besoin de technologie, d’agrandissements des fermes, d’ingénieurs et de main d’œuvre qui accepte d’affronter tous les temps et la terre toujours trop basse.

Tout cela mérite une investigation plus approfondie pour être convaincante je le sais. J’y reviendrai plus apaisé peut-être lors d’un prochain épisode.

D’ici là, portez-vous bien et ne vous emportez pas après cette lecture. Attendez la suite….  

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À propos

Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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