25 Décembre 2009
La Charente libre a publié hier un entretien avec Jean Yves Ambaud, maire de la très belle commune de Chatignac, président du syndicat mixte du pays sud Charente et politique à plein temps. Au moment où le parlement examine le projet de loi de réforme des collectivités territoriales, ses déclarations ont une résonnance bien singulière. Pour ce qui me concerne, j’y trouve un condensé très précis de tout ce qui justifie d’urgence une évolution profonde de notre organisation territoriale.
La vraie rupture selon Jean Yves serait de parvenir à la fusion des cinq communautés de communes du Sud Charente (3B, Blanzac, Montmoreau, Chalais, Aubeterre) en une seule. Michel Boutant et même François Burdeyron, le préfet d’avant, ont aussi défendu cette thèse de grandes communautés de communes à l’échelle du pays. A mon sens, pour définir la bonne dimension d’une communauté de communes il faut d’abord répondre à deux questions. La première c’est de savoir ce qui motive les communes pour coopérer ensemble? La seconde c’est de se demander comment la communauté de communes doit être organisée pour atteindre efficacement les objectifs qui lui sont assignés.
Les réponses pragmatiques communément admises sont les suivantes. La coopération est souhaitée pour créer et gérer les équipements et les services qui ne peuvent l’être par une seule commune et qui bénéficient à une population répartie sur plusieurs. L’organisation nécessaire pour cette coopération doit permettre à chacune des communes membres de participer activement aux prises de décisions et à leur mise en œuvre.
Si l’on croise ces deux paramètres et si l’on recherche une mise en commun maximum de ce qui doit l’être, les cantons d’aujourd’hui organisés autour d’un bourg centre seraient la bonne échelle. A chaque fois que l’on dépasse cet espace géographique pour optimiser les ressources financières et humaines on rend plus difficile l’implication et la solidarité des élus. Plus on réunit de communes et plus le nombre d’élus de l’assemblée délibérante est élevé. Et au-delà d’un certain seuil le raisonnement théorique de l’optimisation des moyens, qui demande un regroupement très large, devient impossible à mettre politiquement en œuvre.
Il n’y a pas de compromis idéal. Le regroupement ambitieux des 37 communes des 3B, soit trois cantons, réalisé dès l’origine en 1996 (à une près) est une très belle réussite à mettre au crédit des fondateurs de cette communauté. Le projet d’y faire entrer aujourd’hui la plupart des communes du blanzacais pour créer les 4B se nourrit de la démonstration qu’il est possible d’être efficace à 37 et qu’il doit être possible de l’être encore à 50. Si c’est réellement possible, on peut bien évidemment se demander pourquoi cela ne le serait plus à 92, c'est-à-dire à l’échelle des cinq communautés membres du syndicat mixte que préside Jean Yves Ambaud? Il n’est évidemment pas forcément impossible à priori d’assurer un fonctionnement démocratique de qualité avec une assemblée de plus de 150 personnes. Mais c’est quand même un challenge hautement improbable et à mon sens ce n’est absolument pas nécessaire. D’autant plus qu’à cette échelle on peut légitimement craindre que les communes aient plus de difficultés que de facilités pour coopérer ensemble.
Et puis ce n’est pas à ce jour la volonté exprimée par les communes du Sud Charente qui ont pris une autre orientation, c'est-à-dire le regroupement dans deux communautés, quatre cantons dans la première (4B) et trois dans la seconde (Montmoreau, Chalais, Aubeterre). Ce sont déjà des projets très difficiles à faire aboutir dans un délai raisonnable. Il faut d’ailleurs rappeler que l’objectif doit être de rendre des services à la population, pas de rechercher à l’infini la bonne dimension pour agir et n’être tourné que sur l’organisation administrative et politique du regroupement idéal. C’est nettement le principal écueil à éviter.
Le maire de Chatignac n’est pas de cet avis et c’est son droit. Mais d’où nous parle t-il pour exprimer une autre orientation que celle choisie par les communes du Sud Charente? Quel est donc ce pays dont le journaliste nous dit qu’il est sa terre d’avenir? Jean Yves est tout simplement et uniquement le président d’un syndicat mixte qui regroupe cinq communautés de communes et donc autant d’assemblées délibérantes. Son rôle consiste à animer et à mettre en œuvre la volonté des membres du syndicat. Paradoxe des paradoxes, le porte parole de la réunion de ces cinq communautés, et donc des cinq présidents dont se sont dotées les communes qui en sont membres, semble en complète opposition avec ceux qu’il représente. Dans le monde normal, quand on constate de tels désaccords on retire le mandat au président déviant et on en élit un autre qui soit plus en cohérence avec ses mandants. Dans le cas d’espèce ce n’est évidemment pas le cas. La raison en est malheureusement connue. Chaque communauté est représentée par un nombre tel d’élus que l’expression de la volonté des membres est rarement la même que celle qui s’exprime dans la communauté qu’ils sont sensés représenter. Ce qui devrait correspondre à la coopération entre cinq territoires devient une sorte de territoire évanescent et nébuleux qui transcende allègrement ceux qui le composent. Les autres collectivités (Région, Département et même allez savoir pourquoi Etat) qui passent par le syndicat pour distribuer un peu d’argent sur les territoires contribuent à mettre en apesanteur le président et son équipe. Autre paradoxe des paradoxes ce que je viens de décrire constitue aussi la principale explication de la lenteur du regroupement intercommunal et de l’existence encore aujourd’hui de communes isolées.
Pour justifier la nécessité du regroupement à l’échelle du Sud Charente tout entier, Jean Yves compare la taille de la communauté à obtenir avec le poids des communautés d’agglomérations. Il en conclut la nécessité de regrouper au moins 30000 habitants. Il fait état également de la difficulté supposée de la plus grosse communauté, c'est-à-dire les 3B, à financer ses projets. Il sous entend qu’un ensemble plus vaste y parviendrait plus facilement. Les limites pour les équipements et les services sur un territoire sont fixées par deux paramètres conjoints, l’espace et la population. Si pour réunir plus de population il faut plus d’espace, il est alors quasi impossible de concentrer les moyens sur un seul lieu. C’était exactement le cas pour le projet de piscine couverte. Pour l’utilisation scolaire qui motivait cette équipement, la zone de chalandise était très loin de concerner la totalité du Sud Charente et se limitait à peu près à la surface couverte par la communauté de communes. Le calcul théorique de la possibilité de créer cet équipement sur le seul fondement d’une population plus importante est donc parfaitement hors sujet.
En revanche ce qu’il ne dit pas c’est que les communautés seraient bien plus efficaces pour les habitants si elles pouvaient contractualiser directement avec les collectivités partenaires sans passer par ce « tue l’action » qu’est le syndicat mixte. Si c’était le cas, la motivation au regroupement serait autrement plus forte. L’économie de fonctionnement en argent et en temps d’élus et d’agents permettrait à elle seule de faire bien plus pour les habitants des communes regroupées.
Mais ce n’est pas pour demain. La réforme prévue ne supprimera pas les syndicats mixtes qui théoriquement n’existent que par la volonté des membres qui les constituent. On peut juste espérer que la promotion de la relation très directe entre les communautés de communes et les collectivités partenaires aidera les élus à rechercher plus d’efficacité en mettant le syndicat réellement à leur service pour les opérations qu’elles auront encore envie de faire ensemble.
Les contribuables n’ont pas fini de payer chèrement ce fantasme de pays, espace de projet sans compétence devenu espace politique inutilement coûteux qui bride l’action de ses membres.
A l’heure de la réédition des œuvres de Pierre Dac j’ai envie de lui laisser le mot de conclusion. Cette pensée profonde résume joliment, vous en conviendrez, ce que souhaitais vous dire :
« Rien ne peut servir à tout, mais tout peut très bien ne servir à rien ».
NB : J’ai emprunté le titre à une répartie célèbre des « Tontons flingueurs », signée Michel Audiard et qui pourrait servir à l’un ou l’autre des présidents de communautés de commune en exercice dans le Sud Charente. J’ai seulement remplacé Paris par pays. (vidéo)
« J’vais lui montrer qui c’est Raoul. Aux quatre coins du pays qu'on va le retrouver, éparpillé, par petits bouts, façon puzzle. Moi, quand on m'en fait trop, je correctionne plus, je dynamite, je disperse, je ventile ! »
Je suis arboriculteur, viticulteur et maire de Reignac. Mais aussi Président de l'Association Nationale Pommes Poires, membre de WAPA (World Apple and Pear Association) et secrétaire général d'Interfel.
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